Chronique du jour : KIOSQUE ARABE
Sh�herazade et la haine sans entraves
Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com


Sh�herazade n�est pas all�e au bout de ses contes fantastiques. Avant qu�elle ne termine de raconter le happyend du �Voleur de Baghdad�, Shahrayar, son �poux et bourreau, l�a �trangl�e. Un rien trop platoniques, ces histoires � r�ver les yeux ouverts et pas de quoi mettre en branle la libido d�un roi blas�. Le prince Ahmad a donc eu la t�te coup�e, le petit voleur, Abu, qui devait venir � sa rescousse, s�est retrouv� enferm� dans la fiole magique, � la place du m�chant g�nie.
La fille du sultan finira comme captive dans le harem du vizir Djaffar, o� elle aura des difficult�s � captiver l�attention du ma�tre, vu la forte concurrence. Sindbad, le marin, s�est noy� au large de Ghazaouet, en essayant d�aider des harraga � atteindre les c�tes de l�Espagne chr�tienne. Aladin s�est fait exploser, comme un vulgaire apprenti terroriste, en manipulant sa lampe magique. Quant aux s�urs de Sh�herazade, elles se sont exil�es du c�t� de Hassi- Messaoud, � l�ombre des derricks et des torch�res, embl�mes de modernit�. Shahrayar les y a retrouv�es et leur a d�p�ch� ses pr�cheurs, ses lapidateurs et ses d�fenseurs de la morale extra-muros. Les s�urs de Sh�herazade, qui ne savent pas nager, ont fui plein sud, vers le nouvel eldorado p�trolier, mais en vain. Leur calvaire dure encore ! Comment pourront-elles croire qu�il y a encore une place pour elles, l�-haut, quand les promis aux douceurs des rives du �Kawthar� (1) leur disent le contraire ici-bas ? Comment ne pas perdre la foi quand des hommes, habill�s de pi�t�, font de votre vie terrestre un enfer, sans espoir de salut ? Lorsque les minarets lancent des messages de haine et de violence, alors qu�on nous dit qu�ils ont �t� �rig�s pour porter tr�s loin le message divin ? Si des petits minarets de province nous font d�sesp�rer de la religieuse humanit�, que faut-il attendre du �grand minaret� qu�on nous promet ? Des impr�cations, des excommunications ou des appels � voter �oui� quand on a envie de dire �non� ? Tout porte � croire que nous nous portons massivement vers le pire, en d�pit des efforts prodigu�s pour nous convaincre du contraire. En passant derni�rement devant la statue de Nasreddine Baba-Aroudj, sur les hauteurs d�Alger, j�ai pens� � ce que serait le comble du masochisme alg�rien. �a consisterait � s�asseoir au pied de ladite statue et � d�vorer goul�ment un article d�fendant la moralit� du dey Hussein (2). Ce qui serait encore plus excitant, c�est de se faire matraquer par un policier, pour cause de sit-in ill�gal, les manifestations �tant interdites dans la capitale. Revenons au dey Hussein : comme le savent tous les Alg�riens, ottomans ou non, il a quitt� le pays, au lendemain de la conqu�te d�Alger, avec ses femmes et ses richesses, la primaut� �tant revenue aux secondes. On a beau �tre entour� de femmes, on n�en est pas moins vieux et impotent, pour ne pas dire autre chose. Or, c�est pr�cis�ment � la suite d�une trahison conjugale que Shahrayar a d�cid� de se venger de toutes les femmes qui seraient recrut�es dans son harem. Est-ce � cause des infortunes conjugales du prince que des avocats �gyptiens se seraient mis en t�te de faire interdire le livre des Mille et une Nuits ? Il est vrai que ce monument de la litt�rature arabe fait �tat de relations adult�res et d�amourettes ill�gales et clandestines, voire contre nature. Il est connu, par ailleurs, que la soci�t� �gyptienne, en particulier, et les soci�t�s arabes et musulmanes, en g�n�ral, sont immunis�es contre ces d�viations. Sachant cela et connaissant la m�le combativit� du barreau �gyptien, on comprend mal que ces hommes se soient baptis�s �avocats sans entraves�. Cela veut-il dire qu�ils se sentent libres de faire ce qu�ils veulent ou qu�ils se sont lib�r�s de toutes les entraves, juridiques et autres, qui auraient frein�, voire paralys� leurs mouvements ? En fait, et selon la presse �gyptienne, l�action intent�e par ce collectif, �sans entraves�, vise simplement � faire interdire une r��dition des Mille et une Nuits par une institution publique. Le fait que cette institution soit dirig�e par l��crivain Djamal Ghitany (3), connu pour �tre peu conforme aux canons islamistes, n�est sans doute pas �tranger � cette initiative. Toujours est-il que tous les intellectuels �gyptiens, plus ou moins progressistes, sont mont�s au cr�neau pour d�fendre Sh�herazade et ses contes. Lors d�une conf�rence de presse organis�e en r�ponse � l�initiative des �avocats sans entraves�, Djamal Ghitany a affirm� que �les attaques contre les Mille et une Nuits sont semblables � la tentative d�assassinat de Naguib Mahfouz. Elles sont �galement assimilables � tous les actes de violence qui se commettent au nom de la religion, pour atteindre des objectifs douteux. �Ce livre est l�un des plus pudiques de la litt�rature arabe, a encore soulign� Djamal Ghitany, en r�ponse aux accusations islamistes, et il a inspir� de tr�s nombreux �crivains dans le monde�. Sur ce th�me, l��crivaine saoudienne Zeynab Hafni rappelle les propos de l��crivain Gabriel Garcia Marquez affirmant que les Mille et une Nuits �tait l�un des livres qui l�avaient le plus influenc� et fertilis� son imagination. Elle pr�cise que ce livre a fait l�objet de la premi�re th�se universitaire soutenue par une �gyptienne, Suhail Kalamaoui, devant l�illustre Tah Hussein. La campagne des avocats est un message aux ministres arabes de la Culture afin qu�ils interdisent les �uvres du patrimoine comme les Mille et une Nuits, mais aussi Le Collier de la Colombe d�Ibn Hazm Al-Andaloussi, ou encore le Livre des Chants de Asfahani. Des �uvres qui sont n�es dans une p�riode tr�s riche, o� r�gnait une libert� de cr�ation qui n�existe plus de nos jours, note enfin Zeynab Hafni qui a d�fray� la chronique, il y a quatre ans, avec son roman Malamih ( Physionomies). Agress�e partout, p�nitente perp�tuelle, voil�e jusqu�� la pupille et vivant dans des patries-purgatoires , Sh�herazade a cru bon de se r�fugier en France, pays des droits de la femme et des libert�s. Elle est tomb�e dans les rets d�un citoyen fran�ais polygame, pour qui �avoir des ma�tresses, c�est permis par l�Islam�. La Mosqu�e de Paris, moins indign�e par la polygamie que par son contenu, proteste. Qualifier des co�pouses de ma�tresses est une h�r�sie. Il faut � tout prix respecter les formes : une co�pouse, �a peut �tre une ex-amante l�gitim�e ou l�galis�e par la formule rituelle. De toute mani�re, l�Islam de France est regard� par l�autre bout de la lorgnette, celui qui fait voir la burka, alors que les int�gristes occupent des quartiers entiers. Alors, pour les beaux yeux de Sh�herazade, puisqu�ils sont tout ce qui nous est donn� encore � voir, lisons et relisons les Mille et une Nuits, pour leur montrer que nous n�avons pas tout perdu.
(1) Est-il besoin de pr�ciser ici qu�il s�agit de la fameuse rivi�re de l��den, o� l�on peut notamment boire � sati�t�, sans ressentir les affres de la gueule de bois.
(2) En quoi la d�nonciation de la vie dissolue et de la veulerie du dey Hussein peut-elle nous �clabousser. Le dey et sa suite ont quitt� le pays comme des occupants chass�s par des occupants plus forts. Que dis-je : ils ont quitt� l�Alg�rie comme un locataire ind�licat, sans payer leur loyer et en emportant les meubles et l�argenterie.
(3) Il faut sans doute rappeler que l�auteur de l�inoubliable Zeyni Barakat est l�un des rares intellectuels �gyptiens � avoir r�sist� � la vague de furie antialg�rienne qui s�est empar�e de l��gypte, apr�s le match d�Oum-Durman.
A. H.

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