Actualit�s : D�bat sur Amirouche : d�passer l�hagiographie et la technique de �l�homme de paille�
Par Mourad Benachenhou


Apparemment, les adeptes du �amirouchisme � ne trouveraient acceptables que l�une des trois versions suivantes de sa vie, pr�sent�es isol�ment ou combin�es en un syncr�tisme fondant une nouvelle secte de caract�re quasi-religieux et un culte, celui de Amirouche :
a) La version �Western spaghetti� telle qu�illustr�e par le film-culte Le Bon, la Brute et le M�chant compl�t�e par les personnages du fossoyeur et de l�officier f�lon ; Amirouche serait �videmment le Bon; on laisse � tout un chacun de distribuer les r�les restant � d�autres personnages de la p�riode historique en cause.
b) La version �Histoire du martyr d�un saint� avec un saint, qui serait, indubitablement, Amirouche, un tra�tre, un juge et un bourreau, et m�me le d�tail important du double �enterrement�, sans lequel cette version ne serait pas compl�te ; l� aussi que tout un chacun peut distribuer � sa guise les r�les restants.
c) La version �L�gende inca�, o� Amirouche serait un dieu inca r�incarn� qui aurait besoin de sang humain pour vivre une seconde vie avec l�assurance de l��ternit� ; et les victimes de la Bleuite ne seraient que les offrandes sacrificielles n�cessaires pour assurer cette immortalit�.
Cependant, beaucoup appartiennent, et c�est probablement leur erreur et leur tort aux yeux des tenants de ce nouveau �culte�, au groupe de ceux qui proclament, en toute simplicit�, que Amirouche �tait un homme ordinaire, dont le caract�re extraordinaire s�est r�v�l� au cours d�une �preuve impos�e par des circonstances historiques � tout le peuple alg�rien, et que son histoire personnelle refl�te � la fois son humanit�, avec ses forces et ses faiblesses, ses moments de cruaut� comme ses instants de g�n�rosit�, d�un c�t�, et de l�autre, ses qualit�s intrins�ques de leadership qui ont fait de lui un homme historique aux dimensions exceptionnelles. C�est en coh�rence avec cette vue r�aliste que j�ai apport� ma modeste participation au d�bat soulev� par la biographie de Amirouche, biographie dont l�auteur se trouve �tre le chef d�un parti politique, par d�finition un homme visant � atteindre des objectifs politiques par la r��criture de l�Histoire, et ne cherchant pas syst�matiquement � recr�er une histoire de mani�re neutre et scientifique. Il n�est pas question de faire le reproche � cet auteur d�avoir r�alis� une �uvre essentiellement partisane ; c�est son libre choix et il se doit de l�assumer totalement et sans r�serve. Mais qu�on ne force pas au silence ceux qui ne sont pas d�accord avec cette version, m�me si l�on soup�onne que leurs propres vues sont teint�es d�un biais partisan. La licence que s�accorde ce chef de parti ne peut �tre un privil�ge qui lui serait r�serv� � titre exclusif, car si c��tait le cas, o� est la libert� de pens�e et d�expression ? Et au vu de ses choix politiques d�clar�s, et plus particuli�rement de ses convictions d�mocratiques maintes fois proclam�es, cet auteur devrait �tre le premier � voler au secours de ceux qu�on emp�che de contribuer � faire avancer la connaissance de l�histoire de l�Alg�rie, sous le pr�texte que leur t�moignage serait teint� de penchants ou d�objectifs politiques cach�s. Ce que l�on constate, c�est que le d�bat, tel qu�il a �t� orient�, n�a rien de d�mocratique, et qu�il a vis� � imposer une seule vue en provenance d�une seule source et d�une seule r�gion du pays. De plus, on a recours � la technique connue de �l�homme de paille�, o� on fait semblant de s�attaquer � une ou plusieurs personnes jouissant d�une certaine notori�t�, et encore en vie, mais qu�on r�invente, en faisant d�elles une description qui conforte dans leurs vues les monopolistes qui veulent imposer leur version, et pour les besoins d�un d�bat fictif � sens unique, dont ils manipulent les th�mes et l�amplitude. Il est donc n�cessaire de ramener ce d�bat aux points r�els qu�il soul�ve, qui sont trop connus maintenant pour qu�on ait � les mentionner encore une fois, et non tenter � tout prix de le maintenir sur une voie de monorail qui ne m�ne nulle part et qui forme un cercle vicieux, jusqu�� pr�sent sans cesse parcouru et reparcouru. Ce d�bat prouve, s�il le fallait encore, que le plus grand obstacle au progr�s politique, qui n'est � confondre ni avec le progr�s technique, ni avec le progr�s culturel, est l'absence de progr�s mental chez une partie particuli�rement activiste de l��lite alg�rienne, qui continue � cultiver le populisme � fleur de peau, populisme qui a permis la lib�ration de l'Alg�rie, mais a depuis longtemps perdu de son efficacit� sociale. Le mythe du h�ros sans taches, sans peur et sans reproche, dont le prototype est �le Sahib Ezzaman� de l'ancienne tradition populaire, continue � �tre entretenu par une �lite qui, pourtant, se pr�tend r�solument ouverte aux id�es politiques et sociales du monde moderne, et fr�quente les cercles cosmopolites g�n�rateurs de l�opinion publique � l��chelle de la plan�te. On perp�tue, m�me dans les cercles alg�riens qui se piquent de modernisme avanc�, la culture hagiographique, ou histoire des saints, qu'on confond avec la biographie des acteurs importants de notre histoire.
En conclusion
1) En parall�le � un s�rieux travail de recherche historique, qui, de par sa nature, prendra du temps et des efforts intenses, mais qui devient de plus en plus indispensable pour arr�ter les d�rives partisanes et r�gionalistes actuelles, il serait utile que quelques chercheurs effectuent l�analyse du contenu et des techniques diverses de rh�torique utilis�es dans le d�bat et des arguments avanc�s par les uns et les autres.
2) Cette analyse pourrait r�v�ler ce que ce d�bat, m�me biais� et � sens unique, refl�te comme retards dans les esprits qui se proclament les plus �clair�s, et comme obstacles mentaux � la mise en place d'un syst�me politique moderne en Alg�rie.
3) Elle prouverait que le syst�me politique actuel, que tout un chacun accuse de tous les maux, n�est pas une cr�ation �sui generis� dont une minorit� assumerait seule la responsabilit�.
4) Elle d�mentirait ce que veulent faire croire certains qui se targuent d�en constituer l�opposition et d��tre � m�me d�y concevoir une alternative, et prouverait que ce syst�me repr�sente bien une image fid�le du niveau d��volution de ces �lites face aux d�fis du quotidien et du futur.
5) Si ce travail de r�flexion �tait men�, m�me les insultes et les invectives lanc�es unilat�ralement n'auraient pas �t� finalement inutiles, car r�v�latrices d'une tournure d�esprit r�pandue chez une bonne partie de notre �lite, qui tarde � se d�tacher des atavismes venus du fond de notre histoire, et � progresser, mais �galement des racines profondes de cette crise que tout un chacun ressent, mais dont personne, et aucun groupe de quelque nature qu�il soit, et quelles que soient ses convictions, ses certitudes et ses affirmations, n�a la solution imm�diate, car, pour autant qu�elle existerait en puissance, elle prendrait beaucoup de temps pour m�rir.
6) Le d�bat sur la vie et la mort de Amirouche d�passe donc, et de loin, les limites r�gionales ou ethniques et les d�tails anecdotiques ou cruciaux dans lesquels certains veulent le maintenir.
7) En r�duisant ce d�bat � un monologue utilisant la technique us�e de �l�homme de paille�, ses partisans r�duisent la dimension historique et humaine de Amirouche, et la port�e des probl�mes nationaux que le traitement de son histoire personnelle a pos�s et continue � soulever au-del� des d�tails de sa vie et de sa mort.
M. B.

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