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FONCIER AGRICOLE
Le texte de loi enfin dévoilé


Depuis l’accession de l’Algérie à l’indépendance, le problème des «terres agricoles du domaine privé de l’État» demeure sans véritable solution. Un problème que tous les gouvernants redoutent depuis 1962. Et pour cause.
Kamel Amarni - Alger (Le Soir) - Tout à la fois historique, idéologique, économique, politique et même émotionnelle, cette affaire du foncier agricole a toujours constitué un objet de convoitise et de lutte de pouvoir. Pour mieux saisir les termes du problème, il faut d’abord savoir que «les terres agricoles du domaine privé de l’État» sont, en fait, les meilleures terres d’Algérie. D’une superficie de 2,5 millions d’hectares, ce sont ces terres-là qui ont été prises par les colons, progressivement et au fil des années et des révoltes (l’émir Abdelkader, El-Mokrani, Fatma N’soumer, etc.). À chaque fois qu’une région se soulevait, l’armée française réprimait la population, puis la dépossédait de ses terres pour les attribuer aux colons venus de toute l’Europe du Sud. Au début du 20e siècle déjà, les meilleures terres algériennes sont passées entre les mains de colons français, espagnols, maltais, italiens, corses, etc. Et, à l’indépendance, ces mêmes terres seront considérées comme des biens vacants. Mais contrairement au «bâti» (villas, logements, ateliers, usines, etc.), ces bien vacants-là sont réclamés par leurs propriétaires et leurs descendants d’origine algérienne qui devinrent, d’ailleurs, objectivement, les plus acharnés des adversaires de la Révolution agraire de Houari Boumediène.
L’État s’empare de tout
Mais à ces expropriétaires, dont certains disposent même d’actes de possession, les dirigeants de l’Algérie indépendante opposent un argument massue : c’est la Révolution qui a repris ces terres aux colons au prix que l’on sait. Et la Révolution étant l’œuvre du peuple algérien, les terres récupérées appartiennent, dès lors, à tout le peuple. À l’État, donc. D’où la décision de Boumediène de nationaliser ces mêmes terres et de lancer sa fameuse «Révolution agraire» sous le slogan «la terre à celui qui la travaille».
Première concession : le droit de jouissance
Ce n’est qu’en 1987 que l’ancien ministre de l’Agriculture, Kasdi Merbah, enterrait définitivement la politique de Boumediène en la matière, en instituant le droit de jouissance, via la loi n° 87- 19 du 8 décembre1987. Un droit de jouissance de 99 ans, ne concernant, toutefois, pas les «biens superficiaires», c’est-à-dire les constructions réalisées sur ces mêmes terres. Ce qui a ouvert la brèche à bien des dépassements. Certains ont en, d’ailleurs, profité pour dévoyer tout simplement les terres en question de leur vocation. Au point où certaines terres, de la meilleure qualité pourtant, ont tout bonnement disparu sous de nouvelles villas ou des cités entières.
De la jouissance à la concession : l’État reprend son bien
En 2008, Abdelaziz Bouteflika lance sa loi : «n° 08-16 du 3 août 2008 portant orientation agricole». Puis, s’apercevant que rien n’a vraiment évolué en dépit de ce texte, il s’emportera carrément lors d’une réunion du Conseil des ministres, ordonnant sèchement au gouvernement «d’enterrer» la loi de Kasdi Merbah et la remplacer par une nouvelle loi. Ce qui fut fait en un temps assez court. Mais, coup de théâtre, il rejette la première mouture. Il édicte alors les termes essentiels de la loi qu’il veut : «Je ne veux plus entendre parler de droit de jouissance. Pas plus que de ces 99 ans ! Ce sera de la concession pour seulement 40 ans et même le bâti est concerné», tranchait-il devant ses ministres médusés ! C’est alors que le ministre de l’Agriculture, Rachid Benaïssa, de «refaire» sa copie. Cela donnera «l’avant-projet de loi fixant les conditions et modalités d’exploitation des terres agricoles du domaine privé de l’État», qu’a adopté le Conseil des ministres le 11 mai dernier et dont Le Soir d’Algérie a pu obtenir une copie. Dans l’exposé même des motifs, il est expressément précisé que «les dispositions portant conversion du droit de jouissance en droit de concession seront appliquées par l’administration dans un délai ne dépassant pas trois ans à compter de la publication au Journal officiel de cette loi qui abrogera la loi n° 87-19 du 8 décembre 1987». La couleur ainsi annoncée, la nouvelle loi modifie, d’emblée et profondément, la nature et le mode d’exploitation des terres. Supprimant définitivement le mode de droit de jouissance, désormais remplacé par la concession, l’article 4 énonce clairement déjà «la concession est l’acte par lequel l’État consent à une personne physique de nationalité algérienne, ciaprès désignée «exploitant concessionnaire», le droit d’exploiter des terres agricoles du domaine privé de l’État ainsi que les biens superficiaires y rattachés, sur la base d’un cahier des charges fixé par voie réglementaire, pour une durée maximale de 40 ans renouvelable, moyennant le paiement d’une redevance annuelle dont les modalités de fixation, de recouvrement et d’affectation sont déterminées par la loi de finances. Au sens de la présente loi, il est entendu par «biens superficiaires» l’ensemble des biens rattachés à l’exploitation agricole notamment les constructions, les plantations et les infrastructures hydrauliques». Tout ou presque est dans cet article 4 : l’État reprend ses biens et rien n’appartient désormais à l’exploitant. Y compris les bâtis, habitations comprises. De même qu’en imposant paiement d’une redevance, l’État y sera doublement bénéficiaire : cela lui permettra de fructifier les terres via les recettes des redevances imposées en même temps que cela inciterait les exploitants à rentabiliser leurs exploitations. Aussi, et outre l’exclusion de toute personne ayant eu un comportement anti-national durant la Révolution, cette loi exclut également tout prétendant n’étant pas de nationalité algérienne. Mais pas seulement. «Sont exclues du bénéfice des dispositions de la présente loi, lit-on dans l’article 7, les personnes : - ayant pris possession des terres agricoles citées à l’article 2 ci-dessus ou ayant procédé à des transactions ou acquis des droits de jouissance et/ou des biens superficiaires en violation des dispositions législatives et réglementaires en vigueur ; ayant fait l’objet de déchéance prononcée par voie judiciaire ; dont les arrêtés d’attribution ont été annulés par les walis». Il est aisé d’imaginer le nombre de ces «indus» bénéficiaires lorsqu’on sait que ces mêmes terres sont réparties sur pas moins de 1 519 communes à travers le territoire national. Obligation est, par ailleurs, faite à l’ensemble des membres des exploitations agricoles actuels «de déposer auprès de l’Office national des terres agricoles leur demande de conversion du droit de jouissance perpétuelle en droit de concession (article 9)». De (signer) dûment un cahier des charges liant «l’exploitant à l’ONTA (...) qui procède à l’immatriculation de l’exploitation agricole au fichier des exploitations agricoles tenu à cet effet» (article 10). Pour s’assurer aussi du maintien de la vocation agricole de l’exploitation, l’article 21 de ladite loi énonce clairement que «les exploitants concessionnaires sont tenus de conduire directement et personnellement leurs exploitations agricoles. Lorsque l’exploitation agricole comprend plusieurs exploitants concessionnaires, ils sont tenus, par convention non opposable au tiers, de déterminer leur rapport et notamment : le mode de désignation du représentant de l’exploitation agricole ; le ou les modes de participation de chacun d’eux aux travaux de l’exploitation agricole ; la répartition et l’usage du revenu». Aussi est-il connu qu’en Algérie, les litiges inhérents aux histoires d’héritage finissent souvent par mettre «hors d’usage» de larges surfaces agricoles, le législateur introduit un article, le 23, pour garantir la pérennité de l’exploitation. «Lorsque l’exploitation agricole comprend plusieurs exploitants concessionnaires, la résiliation de l’acte de concession ou le décès d’un ou de plusieurs d’entre eux ne doivent pas avoir pour effet l’arrêt de l’exploitation régulière des terres agricoles et des biens superficiaires, objet de la concession.» Ainsi, «dans le cas de décès (article 24), les successeurs et ayants droit disposent d’un délai d’une année à compter du décès pour : - choisir l’un d’entre eux pour les représenter et assumer les droits et charges dans l’exploitation de leur auteur ; se désister, à titre onéreux ou gracieux, au profit de l’un d’entre eux ; céder leur droit dans les conditions fixées par la présente loi». Passé ce délai sans que les concernés aient opté pour l’une de ces options, c’est l’ONTA qui est habilité «à saisir la juridiction compétente».
L’État peut sévir à tout moment

Cette loi régit aussi bien l’octroi de la concession que sa fin. L’article 25 prévoit trois cas de figure où est prononcée cette fin. «À l’expiration de la durée légale de la concession lorsque celle-ci n’est pas renouvelée ; à la demande du concessionnaire avant l’expiration de la concession ; par suite d’un manquement aux obligations du concessionnaire. Dans tous les cas cité ci-dessus, les terres concédées ainsi que les biens superficiaires, y compris les locaux à usage d’habitation, sont repris par l’État, dans la situation où ils se trouvent.» L’administration des domaines concédant, toutefois, le cas échéant, une indemnisation avec «déduction de 10 % à titre de réparation dans le cas d’un manquement aux obligations de l’exploitant concessionnaire». Les manquements aux obligations de l’exploitant concessionnaire sont définis par l’article 28 : «Le détournement de la vocation agricole des terres et/ou des biens superficiaires ; la non-exploitation des terres et/ou des biens superficiaires durant une période d’une année ; la sous-location des terres et/ou des biens superficiaires ; le non-paiement de la redevance à l’issue de deux termes consécutifs.» Cette loi qui se décline en trente quatre articles accorde, enfin, aux exploitants un délai de 18 mois pour procéder à leur conversion du droit de jouissance perpétuelle en droit de concession. «À l’expiration du délai (...) et après deux mises en demeure restées infructueuses (...), les exploitants agricoles ou leurs ayants droit, n’ayant pas déposé leurs demandes, sont considérés comme ayant renoncé à leurs droits.» À bien lire cette nouvelle loi, il va sans dire qu’il s’agit là d’une législation qui va radicalement révolutionner la politique agricole du pays. Avec, il faut bien l’attendre, de fortes résistances à venir...
K. A.



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