Chronique du jour : KIOSQUE ARABE
Voir et entendre � la rigueur
Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com


George Clooney s'est sp�cialis� depuis deux ou trois ans dans les films publicitaires pour une marque de cafeti�res tr�s connue. La derni�re en date me semble �tre la plus r�ussie et la plus attrayante : on y voit le grand acteur am�ricain faire l'emplette d'une de ces machines � caf� miraculeuses dans un magasin sp�cialis�. Au moment o� il sort sur le trottoir avec sa nouvelle acquisition, c'est la tuile, sous la forme d'un piano tomb� des �tages sup�rieurs.
Ah, l'heureuse cit� o� il pleut des pianos, au lieu de sacs � ordures ! C'est donc sur un air de piano d�saccord� que notre ami Clooney quitte ce monde, si funeste pour la branche pieuse de l'humanit�. En d�pit de la violence suppos�e (il y a des choses qu'on ne montre pas), de sa br�ve rencontre avec le lourd instrument de musique, l'acteur n'a pas l�ch� sa cafeti�re. C'est vous dire combien il y tenait. Il monte donc les marches ouat�es qui conduisent aux appartements c�lestes, sans un faux pli � son costume et sans aucune plaie ou estafilades sur son visage. C'est que, contrairement � d'autres, George Clooney d�funt n'est pas pass� par la case de �l'interrogatoire � et des �affres du tombeau�, comme on le promet aux bons croyants. Je ne sais pas quelle est la religion de George Clooney, mais je suis certain qu'il n'est pas musulman, m�me en cachette. Sinon, il n'aurait pas �t� dispens� de l'entretien fatidique, et il ne serait pas arriv� dans cet �tat-l� aux �tages sup�rieurs. Sinon, ce serait une cruelle injustice pour ceux � qui on apprend, d�s l'enfance, que les parois du tombeau se resserrent et les broient jusqu'� les transformer en osselets. Frais et dispos, donc, et tout nouveau propri�taire d'une cafeti�re, de la marque que vous savez, George arrive devant un homme en blanc (1). L� encore, l'injustice est �vidente, avec la diff�rence de traitement, la star se conduit comme telle et proteste poliment, et sans crainte, que ce n'est pas encore son heure ! Que diable ! On est en d�mocratie, dans ce monde imaginaire, pour d�c�d�s r�calcitrants. �Mais si�, r�pond doucement, mais fermement, son interlocuteur inconnu, jou� par un autre acteur c�l�bre, John Malkovitch. Ce dernier lorgne alors, sans se g�ner, vers le sac dans la main droite de Clooney. On peut s'arranger, dit John Malkovitch, dont l'int�r�t pour la cafeti�re ne s'est pas rel�ch�. Ainsi donc, il n'y a pas que dans les caf�s d'Alger qu'on trouve du mauvais caf�, l�-bas aussi, les �N�� sont rares et hors de prix. La preuve, c'est que le brave Clooney s'est retrouv� sur terre, bien vivant, et le piano-tueur s'est �cras� sur le trottoir, sans faire de victimes. Moralit� : on nous marque encore des points, m�me quand c'est du cin�ma. Imaginez notre vedette nationale Sid-Ahmed Agoumi, film�e par Ahmed Rachedi et n�gociant avec le Cr�ateur, ou son repr�sentant, un prompt repli tactique ! Je suis s�r que ni Agoumi, ni Rachedi ne se hasarderaient � de telles sp�culations m�taphysiques. Ils ont d�j� assez de mal � travailler au bon rythme, en respectant scrupuleusement les conventions en la mati�re. Et puis, qui accepterait de jouer Dieu, ou le faisant fonction, quand nos acteurs refusent des r�les de soldats fran�ais ou de harkis ? On ne peut pas avancer dans un monde qui recule : le Qatar r�unit depuis plusieurs mois s�minaires et colloques autour de son projet de lancer une superproduction consacr�e � la vie du Proph�te. Alors que le cin�ma occidental a consid�rablement �volu�, en quelques d�cennies, en mati�re de repr�sentation des personnages bibliques, nos th�ologiens s'accrochent encore � la proscription des images. Aujourd'hui, voir Mo�se- Moussa ou J�sus-A�ssa, jou�s par des acteurs n'est plus un tabou, alors qu'il y a cinquante ans � peine, le second �tait encore repr�sent� par un halo de lumi�re. Seuls quelques rares r�alisateurs arabes ont os� faire tomber quelques cloisons, comme Mustapha Al-Akkad, qui a film� des acteurs interpr�tant des Compagnons, comme Hamza. Ce qui ne l'a pas mis � l'abri des traits vengeurs des fondamentalistes, qui adorent aujourd'hui ce qu'ils �taient pr�ts � br�ler hier. Paradoxalement, ce sont eux qui encouragent le plus la diffusion du film d'Al-Akkad Al- Rissala, utilis� comme arme de s�duction par le wahhabisme. C'est un peu le m�me genre qu'une soci�t� du Qatar a voulu renouveler avec un budget de plus de 200 millions de dollars (2), mais elle exigeait des garanties religieuses �manant de toute la communaut� musulmane. Al- Azhar a �t� notamment sollicit�e, mais elle a oppos� une fin de nonrecevoir, ce qui n'est pas �tonnant, vu la qualit� des relations actuelles entre l'�gypte et le Qatar. Dans une fatwa publi�e en mars dernier, Al- Azhar a renouvel� son interdiction de repr�senter les proph�tes, les ap�tres et les compagnons (3) dans des films, des pi�ces ou des �uvres artistiques. L'�dit d'Al-Azhar stipule que toute infraction � cette fatwa serait assimil�e � un p�ch� mortel, qui exclurait de fait ses auteurs de la communaut�. Le mot �takfir�, ou excommunication, n'est pas utilis�, mais le r�sultat est le m�me. Al- Ahazar appose ses scell�s sur les portes d�j� verrouill�es de l'ijtihad, en mati�re de culture. Alors, que faut-il montrer et que faut-il cacher ? C'est aussi une question de point de vue : nous n'aimons pas, ou plus, Nancy Agram parce qu'elle s'est m�l�e de ce qui ne la regardait pas en arbitrant en faveur de l'�gypte, au d�triment de l'Alg�rie, apr�s un match de football, alors qu'elle est libanaise. � cause de ses pr�f�rences marqu�es pour les �gyptiens, elle a perdu ma sympathie, mais de l� � vouloir lui interdire de chanter en Alg�rie, c'est une autre histoire. D'autant plus que les arguments, cette fois-ci, sont teint�s de bigoterie et de tartufferie locales. Nancy serait ainsi rejet�e, non parce qu'elle nous a insult�s, mais parce qu'elle met des tenues ultra-l�g�res qui provoquent nos sens en �veil. �Ce n'est pas vrai�, r�plique l'organisation religieuse Hamassouna (qui veut dire litt�ralement �notre ferveur �, ou �notre ardeur�). Hamassouna, qui a �tabli une liste noire des artistes non conformes � la morale islamique, d�fend Nancy. Elle estime, au contraire, que Nancy a fait des efforts ces derniers temps en mettant des tenues moins affriolantes. Elle chante aussi des chansons respectables pour les enfants, contrairement � Ha�fa qui met du sexe m�me dans ses comptines. Bref, Nancy Agram est assez morale et pudique pour venir chanter en Alg�rie, terre des plus fervents d�fenseurs de la vertu et de l'�thique religieuses. Il reste juste un petit d�tail � r�gler : puisque Nancy a promis � ses avocats islamistes de se mettre bient�t au hidjab, pourrait-elle faire une autre promesse aux Alg�riens ? Celle de refaire, mais en sens inverse, les dix-neuf op�rations de chirurgie esth�tique gr�ce auxquelles elle nous a tous roul�s dans la farine.
A. H.
(1) Comme mes coreligionnaires m'interdisent d'aller trop loin, je choisis de laisser libre cours � votre imagination, et pour autant que votre foi le permet, le personnage peut-�tre Saint-Pierre ou Dieu lui-m�me. Azra�l �tant encore occup� en bas � interviewer les musulmans.
(2) A titre de comparaison, le film Titanic a co�t� aussi la somme de 200 millions de dollars, et il d�tient le record des recettes au cin�ma. Il est en passe d'�tre battu par Avatar , du m�me r�alisateur, qui a co�t� 315 millions de dollars, mais qui promet de pulv�riser tous les records de b�n�fices.
(3) Un hommage ici � l'�crivain �gyptien Oussama Anour Okacha qui est d�c�d� vendredi dernier au Caire. Il avait �t� violemment attaqu� par les milieux islamistes pour avoir os� critiquer Amr Ibn-al'as, le conqu�rant, ou devrais-je dire �l'ouvreur�, de l'�gypte.

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