Mondial : LA COUPE DU MONDE DE MOHAMED BENCHICOU
Le ghetto qui s�est tromp� de slogan


Au bidonville, on ne recevait pas l�APS et personne ne sut alors que �l'espoir rena�t � l'est du pays apr�s le nul des Verts face � l'Angleterre�, comme nous le promettait l�agence de presse officielle, celle-l� dont le pr�sident Bouteflika est le r�dacteur en chef. �A Constantine, Batna, Jijel, Annaba, S�tif, Bordj-Bou- Arr�ridj ou Skikda, les supporters le font savoir et le font surtout entendre. La nuit sera verte.� Mais au bidonville de Sidi-Salem, dans la commune d�El- Bouni, pr�s d�Annaba, on ne lit pas l�APS, et des centaines de personnes ont envahi la voie publique, dress� des barrages sur l�autoroute, ferm� le tron�on menant � l�a�roport Rabah-Bitat et, tout cela, non pas aux cris de �One, twoo, three, viva l�Alg�rie� mais sous un slogan bizarre : �Assez du bidonville ! Nous voulons �tre recas�s !� En p�riode de Coupe du monde, il ne faut pas se tromper d�anxi�t�.
La nation, absorb�e par le prochain duel Bougherra-Donovan, n�a plus le temps de penser aux basses �preuves d�ici-bas. A-t-on id�e de crier �nous voulons �tre recas�s !�, au lendemain du match nul face � l�Angleterre, quand le grand mot d�ordre national est �ma�k ya elkhadra � et que la question-cl� tourne autour de la titularisation de Boudebouz et du repositionnement de Matmour ? Mais c��taient des habitants de bidonvilles, des gens qui ne lisent pas l�APS, qui ne savent donc pas que � l'espoir rena�t � l'est du pays apr�s le nul des Verts face � l'Angleterre�. En p�riode de Coupe du monde, il ne faut se tromper ni de slogan ni de manifestation : la rue n�est tol�r�e que pour crier sa joie de fan, pas sa col�re d�exclu. La m�prise peut, d�ailleurs, co�ter cher. A ceux qui investissent la rue en p�riode de Coupe du monde en vocif�rant autre chose que �One, twoo, three, viva l�Alg�rie�, l�Etat r�serve un ch�timent � base de trique et de gourdin. Plus de 20 �meutiers arr�t�s et traduits devant le juge d�instruction pr�s le tribunal d�El-Hadjar. Quinze policiers bless�s par des jets de pierres et des cocktails Molotov. Tout cela se produisit alors que l�heure, grave, �tait � la tactique : 4-4-2 ou 4-3-3 ? Sidi-Salem s�est r�volt�, en effet, le jour o� l�on r�alisait que l��quipe nationale devait opter pour l�offensive et inscrire des buts puisque le r�glement du Mondial pr�voit le recours au goal-average g�n�ral en cas d��galit� de points. Oui, des habitants de bidonvilles, des gens qui ne lisent pas l�APS, qui ne savent donc pas que �l'espoir rena�t � l'est du pays apr�s le nul des Verts face � l'Angleterre�. Il n�est pourtant pas tr�s loin, le baraquement Sidi Salem, � 6 km seulement du chef-lieu de la wilaya, 3000 familles qui vivent, la majorit� depuis plus d�une cinquantaine d�ann�es, dans la mis�re, sous les grosses villas des parvenus qui surplombent Annaba, Sidi-Salem, un amas de taudis gangren� par le stupre, o� r�gnent la drogue et la prostitution, si proche et si loin de la grande ville. Si proche que la vertu y avait capitul� depuis longtemps devant l�insoutenable voisinage du luxe et de la d�bauche. Si proche que la maudite proximit� du plaisir et de la luxure avait fini par avoir raison de la fragile morale prol�taire. Les faubourgs de Annaba sont � deux pas, avec leurs restaurants chics et leurs cabarets et tous les soirs, les jeunes du bidonville s��bahissaient devant le spectacle du gratin annabi s�empiffrant et s�encanaillant dans ces repaires du faste et de la trivialit� ; tous les soirs, jusqu�� ce que la chastet� du pauvre pli�t devant le luxe insolent qui la narguait. Les filles se mirent alors � vivre avec la tentation de faire commerce de leur corps et les gar�ons avec celle de chaparder leur part de r�ve. Oui, Sidi-Salem, un jour de Coupe du monde, si proche et si loin, loin de tout, de la vie, de Annaba, de la mer� La mer est ailleurs, l�-bas, derri�re la ville et le ciel y est toujours gris. Sidi-Salem, procession de fa�ades sales qui serpentent vers l�enfer. Un immense reptile en t�le oubli� des hommes, d�cor� de linge qui s�che � longueur d�ann�e, de paraboles qui aident � r�ver d�une autre vie et de tags rouges : �Nabila, je t�aime !� Sidi-Salem, un bidonville o� les gens ne lisent pas l�APS, qui ne savent donc pas que �l'espoir rena�t � l'est du pays apr�s le nul des Verts face � l'Angleterre�, Sidi-Salem, un ghetto pendant la Coupe du monde, �One, twoo, three, viva l�Alg�rie� qui est sorti dans Annaba, en se trompant de slogan : �Assez du bidonville ! Nous voulons �tre recas�s !� et qui sont sortis, les mains nues, affronter l�oubli. �L�espoir revient � l�est, la nuit sera verte�, a �crit l�APS. Mais � Sidi-Salem, on ne re�oit pas l�APS. Alors, la nuit n�y sera pas verte, cette nuit encore, le ghetto troquera sa pudibonderie contre l�encanaillement. Les d�vots laisseront la place aux vauriens, les mis�reux aux crapules, les gueux aux prox�n�tes, les parias aux dealers. La cit� redeviendra tripot clandestin, lupanar souterrain, royaume obscur de l�inavouable, territoire secret des plaisirs glauques et des vices mortif�res. Filles de joie, poivrots et toxicomanes feront tourner un joint in�puisable ou un verre de mauvais vin, � hurler d�une jouissance arrach�e au mauvais sort et d�une rage �chapp�e de leurs poitrines r�sign�es� A hurler, rire et pleurer, couteau � la main, � hurler, chanter et s��pancher, � laisser tournoyer autour d�eux le monde ingrat, tournoyer�, tournoyer, au rythme de la ronde des paum�s, celle du joint et du verre de vin qui pirouettent entre les l�vres�, tournoyer, tournoyer jusqu�� ce que cette voix sourde vienne mettre fin � la nuit : �Allahou Akbar, il n�y a de divinit� que Dieu !�
Les aurores puritaines !
La vertu reprendra alors ses droits dans la cit� alanguie. Sous les grosses villas des parvenus qui surplombent Alger, le ghetto renouera, impuissant, avec sa d�ch�ance et rouvre, aux sarcasmes du monde, le spectacle de sa piteuse nudit�. Sur les cendres de la nuit mal �teinte, dans l�odeur tenace du vin et de la drogue, la mosqu�e s�ouvrira aux hommes pour un instant de mirage et de pi�t�. Ils quittent leurs taudis pour un univers de stuc, de grossi�res imitations de zelliges et de mosa�ques factices ; sous la majest� de la maqsura kitsch et des charpentes en faux c�dre, ils se prosterneront pr�s de l�oreille de Dieu et le supplieront de n��tre plus de ce monde quand arrivera ce jour maudit o� leurs enfants les lib�reront.
M. B.

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