Mondial : LA COUPE DU MONDE DE MOHAMED BENCHICOU
R�ver �� Pretoria


Al�ombre mauve d�un jacaranda, dans le cadre luxuriant du Centurion Lake Hotel de Pretoria, Mehdi Lacen, le milieu de Santander et de l��quipe d�Alg�rie, ose la formule : �On va essayer de marquer l�histoire !� Il voulait dire gagner par deux buts d��cart, mercredi, face aux Etats-Unis. Le miracle ! Lacen sait que la formation am�ricaine est athl�tique, puissante, difficile � percer mais, assure-t-il, �on peut��.
Yes, we can ? Voil� qui est dit. �On ne manque pas de patriotisme, on saura r�pondre au combat physique et faire plaisir � notre peuple�, confirme le capitaine Antar Yahia. L�air de Pretoria sans doute� O� diable, mieux qu�ici, dans cette ville o� l�on a aboli la diff�rence entre les hommes, peuton se risquer � vouloir �marquer l�histoire�, � convoquer ce qui reste en soi de patriotisme et � pr�tendre �gagner pour le peuple� ? Pretoria est la cit� du miracle. Antar Yahia le savait-il ? La cit� du miracle. Un miracle de l�histoire, du patriotisme, du peuple : le triomphe de l�amour sur la haine. C��tait il y a vingt ans � peine, l��poque o� Pretoria �tait la capitale de la haine et de la s�gr�gation raciale. On disait �r�gime raciste de Pr�toria� pour d�signer l�Afrique du Sud. Il y a vingt ans � peine, Lacen, Matmour ou Antar Yahia n�auraient pas �t� admis au Centurion Lake Hotel. Ni Drogba, ni Etoo. Interdit aux Noirs, aux M�tis, aux Indiens et, bien s�r, aux Arabes. � l�entr�e de l�h�tel, un panneau tr�nait depuis 1953 : �Whites only�. Pretoria �tait alors une ville pour les Blancs, les boers, descendants de colons hollandais qui l�ont fond�e le 16 novembre 1855 et qui lui ont choisi ce nom en hommage � Andries Pretorius, colon boer, vainqueur de la bataille de Blood River contre les Zoulous en 1838. A Pretoria se concevaient alors les lois de l�apartheid. La s�paration des races. La d�mocratie, c�est pour les Blancs. L��cole, c�est pour les Blancs. La ville, c�est pour les Blancs. L�h�pital, c�est pour les Blancs. Les stades, c�est pour les Blancs. Les Blancs, pas les Bantous, les Indiens, ou les M�tis... Les Blancs, plus connus sous le vocable d�Afrikaners, sud-africains blancs d�origine n�erlandaise, fran�aise, allemande ou scandinave et qui voulaient l�Afrique du Sud pour eux tout seuls. �Nous sommes les authentiques Sud-Africains�, disaient les Afrikaners qui se d�crivaient comme un peuple original et autonome de pionniers, simples et pieux, s�ouvrant une voie en Afrique du Sud avec leur fusil, leur bible, leur paire de b�ufs, leur grand chariot de bois transportant femmes, enfants, mat�riel agricole rudimentaire et tous leurs biens terrestres. Les autres, tous les autres, les Bantous, les Indiens, ou les m�tis, les non-Blancs, �taient rel�gu�s dans des r�les subalternes, justifi�s selon les plus fondamentalistes des Afrikaners par la mal�diction de Cham (terme biblique concernant Ham, fils de No�). Oui, il y a vingt ans � peine, Lacen, Matmour ou Antar Yahia n�auraient pas �t� admis au Centurion Lake Hotel. Interdit aux Noirs, aux M�tis, aux Indiens et, bien s�r, aux Arabes. Pretoria �tait alors une ville pour les Blancs, o� le mariage �tait interdit entre Blancs et Noirs, depuis 1949 ; le mariage, mais aussi les relations sexuelles entre Blanc et non-Blanc ; la cohabitation entre Blanc et non-Blanc... Les Noirs �taient d�plac�s, conform�ment � la loi de relocalisation des indig�nes (Native resettlement Act), dans des ghettos, les townships, et, selon le 'Pass Laws Act' de 1952, il �tait fait obligation aux Noirs ayant plus de 16 ans d'avoir sur eux un laissez-passer, en l'occurrence un document ressemblant � un passeport pour �tre admis dans certains quartiers. Blancs et Noirs, en vertu de la loi sur les commodit�s publiques distinctes (Reservation of Separate Amenities Act), ne fr�quentaient pas les m�mes toilettes, les m�mes fontaines, les m�mes lieux publics... Au travail, ils n�avaient pas les m�mes droits, selon la loi sur le travail et les mines (Mines and Works Act). Des mesures vexatoires de discrimination dans les lieux publics (aussi appel�es �Petty apartheid�), �taient appliqu�es syst�matiquement (un Noir doit c�der � un Blanc sa place assise dans un bus�) �Whites only�. Ainsi v�cut Pretoria, capitale du pays de la haine et du racisme jusqu�� ces premi�res victoires sur l�apartheid durant les ann�es 1980, l�abolition de la loi portant interdiction des mariages mixtes, puis du �Petty apartheid�, puis de la loi de 1922 fixant la liste des emplois r�serv�s aux Blancs, puis de la loi sur les laissez-passer ('Pass Laws Act'), permettant enfin aux Noirs sud-africains pauvres de se d�placer librement en ville, voire de s'y installer.
Et un jour eut lieu le miracle !
Pretoria a un maire noir.
Cela se passa apr�s une guerre de cinquante ans.
Une vieille col�re cristallis�e autour d�un parti, l�African National Congress, l�ANC. En 1952, d�j�, il y eut la �campagne de d�fiance�, puis en 1955, la charte de Kliptown, adopt�e par l'ANC, le Parti communiste sud-africain (clandestin), le Congr�s des d�mocrates et plusieurs autres mouvements d'opposition � l'apartheid, charte par laquelle ils adoptent le principe d'abrogation de toute discrimination raciale en Afrique du Sud et l'instauration d'un r�gime d�mocratique.
La guerre d�un peuple. Le massacre de Sharpeville ; la destruction en place publique de leurs laissez-passer par plusieurs milliers de Noirs sud-africains ; les �meutes de Soweto � partir de 1976� Le mouvement de la Conscience noire, � l'origine des troubles de Soweto, est d�capit� avec la mort de son chef charismatique, Steve Biko. La guerre des opinions mondiales. L'�motion caus�e par la mort de Steve Biko conduit le Conseil de s�curit� de l'ONU � imposer pour la premi�re fois des sanctions obligatoires contre l'Afrique du Sud en d�cr�tant un embargo sur les ventes d'armes. � partir de 1984, des sanctions financi�res et �conomiques sont d�cid�es. La situation de l'Afrique du Sud est exclue de l'Organisation mondiale de la sant�, de l'Organisation des Nations unies pour l'�ducation, la science et la culture, du Bureau international du travail et de la FIFA.
La guerre d�un homme.
En 1961, Umkhonto we Sizwe (MK), branche militaire de l'ANC, lance une campagne de sabotage. Les chefs sont arr�t�s en juin 1963 � Rivonia. Parmi eux, Nelson Mandela, qui est condamn� � la r�clusion � perp�tuit� en 1964. Vingt-sept ans plus tard, il en ressortira debout. Le panneau qui tr�nait depuis 1953 � l�entr�e de l�h�tel, �Whites only�, est enlev�. Le triomphe de l�amour sur la haine. Le miracle. En d�cembre 2000, les �lections municipales sont remport�es par l'ANC avec 57 % des suffrages. Le nouveau maire est noir, le p�re catholique Smangaliso Mkhatshwa.
Le miracle de la lutte.
Alors, nous regarderons Matmour jouer au Loftus Versfeld Stadium, au milieu des jacarandas et des rosiers, l� o� les Noirs ne pouvaient entrer, � quelques pas des anciens townships de Temba ou Hammanskraal, sur la route qui m�ne � Soweto, jouer sur une terre arrach�e aux d�mons, nous regarderons jouer Antar Yahia sous la lumi�re mauve de Pretoria, l� o� souffraient les hommes, nous ne marquerons peut-�tre pas deux buts au gardien am�ricain, mais nous saurons un peu de Brink et de Steve Biko, nous saurons un peu de ce qui nous manque pour �tre vraiment libres, et nous aurons d�j� vaincu ; nous saurons qu�il n'existe que deux esp�ces de folies contre lesquelles on doit se prot�ger, celle qui dit que nous pouvons tout faire et celle qui dit que nous ne pouvons rien faire ; nous reviendrons de Pretoria sans la Coupe, l�Angleterre battra sans doute la Slov�nie, mais pour ceux qui auront su �couter la m�moire des jacarandas, il restera les mots de Brink, l�enfant du pays : une fois dans sa vie, juste une fois, on devrait avoir suffisamment la foi en quelque chose pour tout risquer pour ce quelque chose.
M. B.

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