Contribution : Contribution
DES DIVERSES FA�ONS D�ATTENTER � LA LIBERT� D�EXPRESSION
Un cas d��cole : les caricatures de �Mahomet�


Par Zineddine Sekfali
La libert� d�expression et son corollaire celle de la presse sont consacr�es par plusieurs instruments juridiques universels et par le droit interne de nombreux Etats. Cependant, malgr� la vigilance des d�fenseurs tant institutionnels qu�associatifs des droits de l�homme, ces libert�s sont souvent mises � mal.
Les atteintes et violations sont commises soit par voie de censure directe, soit de mani�re insidieuse par le recours � la manipulation ou � la provocation ; elles sont en g�n�ral, le fait des gouvernements et des puissants de ce monde ; mais il arrive �galement qu�elles soient parfois, aussi paradoxal que cela paraisse, le fait des professionnels de la presse eux-m�mes. C�est ce que l�on va montrer � travers l�affaire des caricatures dites de �Mahomet�. Cette affaire qui date de trois ann�es environ reste cependant d�actualit�, certains �v�nements annonciateurs de nouvelles difficult�s pour les minorit�s raciales et religieuses, s��tant r�cemment produits dans certains pays de l�Europe occidentale. De plus, l�affaire elle-m�me risque, selon des informations fiables(1), de rebondir avant la fin de cette ann�e. La publication de ces caricatures il y a donc quelque temps, par deux journaux scandinaves � faible tirage, serait rest�e inaper�ue si un quotidien puis un hebdomadaire satirique, tous deux parisiens, n�avaient relanc� l�affaire. Ils �taient rapidement suivis par d�autres journaux, dans d�autres capitales europ�ennes. L�affaire des caricatures commen�ait ; elle cessait d��tre un d�rapage localis� et se transformait en une campagne de presse implacable, dont les cons�quences se font encore ressentir. La campagne a atteint son paroxysme quand des politiques et des hommes de pouvoir, interpr�tant � leur mani�re les faits, point�rent un doigt accusateur sur les musulmans qui, cependant, �taient victimes de cette campagne et d�cern�rent le titre de champions de la libert� d�expression et de la presse � ceux qui l�avaient d�clench�e. Ces caricatures, on s�en �tait rendu compte tr�s vite, n�ont pas �t� con�ues pour amuser ou divertir. Ni les motivations personnelles de leur auteur et de ses inspirateurs, ni les objectifs assign�s � la publication � grande �chelle de ces caricatures ne rel�vent du registre de l�humour. En v�rit�, il n�est pas exag�r� de dire que, depuis l�appel aux croisades lanc� par le pape Urbain II en 1095, aucune provocation aussi hostile et directe n�a jamais �t� lanc�e aux musulmans. Personne ne peut nier que ces caricatures �taient une incitation � la haine religieuse et raciale. Elles ne se limitent pas en effet � sugg�rer qu�il y a un lien entre le terrorisme et l�Islam, elles affirment clairement que le terrorisme est g�n�r� par l�Islam. Ces caricatures, qui sont des impostures, s�inscrivent en droite ligne dans la th�se du �choc des civilisations �, laquelle est sous-tendue par deux vieilles obsessions occidentales : les croisades et la colonisation. Personne, je pense, ne se fait d�illusion sur qui, de l�Occident ou de l�Orient, volera en �clats, si ce choc devait survenir. Quelques voix se sont certes �lev�es pour d�noncer les m�dias vecteurs de ces caricatures ; ce fut alors un toll� g�n�ral, aux cris de �atteinte � la libert� d�expression ! Atteinte � la libert� de la presse !� Du c�t� des offens�s et humili�s, la formule lapidaire de Simone de Beauvoir �la presse libre, encore un bobard !�, retrouvait alors tout son sens. Tout le monde sait que beaucoup de �canards ont un fil � la patte�, que certains m�dias sont sp�cialis�s dans la d�sinformation comme d�autres dans la propagande, et qu�il existe depuis peu �des journalistes transport�s�, ce qui n�est pas tout � fait l��quivalent de �correspondants de guerre�. Je ne peux m�emp�cher de signaler ici que le directeur de l�hebdomadaire satirique auquel il est fait allusion plus haut, et qui se voulait le d�fenseur le plus engag� de la libert� d�expression, a depuis lors cong�di� sous le pr�texte fallacieux d�antis�mitisme un caricaturiste r�put�, et a mis � la porte deux �ditorialistes-humoristes de la radio, car ils aga�aient le gouvernement qui venait de le nommer responsable de cette radio ! Ce sont, l�, deux cas exemplaires � ou deux cas d��cole � de violation flagrante de la libert� d�expression, commise par un homme de presse ! Par contre, ceux qui s��levaient contre les d�rives et les d�viances des m�dias dans l�affaire des caricatures n�ont commis, quant � eux, aucune atteinte � la libert� d�expression ou � celle de la presse ; ils d�non�aient des dessins diffamatoires, calomnieux et incitant � la haine raciale et religieuse, d�lits commis par voie de presse� La ligne de d�marcation entre l�information et les infractions qu�on vient de citer est claire et nette. Il faut �tre de mauvaise foi pour le nier. Est-ce que l�on a sous-estim� l�impact de ces caricatures sur l�opinion publique internationale qui existe aussi, n�en d�plaise aux europ�ocentristes, au-del� de l�espace Schengen ? On en doute ! On se rappelle la phrase fracassante de Mme Madeleine Albright, ancienne secr�taire d�Etat des �tats-Unis, affirmant : �CNN est un atout strat�gique de la diplomatie am�ricaine�. On ne peut mieux dire l�importance de la presse, son poids et son influence sur les affaires du monde et de chaque pays. L�affaire des caricatures est de ce point de vue-l� �galement un cas d��cole. La publication des caricatures provoqua des troubles graves dans plusieurs parties du monde. Dans les pays musulmans, les caricatures furent du �pain b�nit� pour l�int�grisme et fragilis�rent davantage les Etats qui le combattent. Les TV occidentales nous avaient abreuv�s � plus soif des violences commises lors des manifestations. Mais si les images �taient explicites, les commentateurs nous laissaient perplexes. Tr�s nettement, l�ampleur des manifestations surprenait certains, qui semblaient ignorer que l�Islam �tait pr�sent sur tous les continents et que tous les musulmans ne sont pas des Arabes, il s�en faut de beaucoup ! De plus, alors que les raisons de ces impressionnantes mobilisations populaires �taient sous leurs yeux dans leurs propres m�dias, d�aucuns semblaient l�imputer � une internationale islamiste, autre n�buleuse dirig�e par un myst�rieux chef d�orchestre. �Rem viderunt, causam non viderunt� (St. Augustin). Il �tait �vident que la majorit� des reporters, analystes et experts, souvent autoproclam�s, qui d�filaient sur les plateaux des TV, refusaient de voir le lien de cause � effet existant entre ces manifestations et les caricatures. Quelques belles �mes s��mouvaient � la vue d�immeubles saccag�s ou incendi�s ; elles invoquaient le droit international, le recours aux juridictions internationales, les conventions diplomatiques et r�clamaient r�paration en monnaie sonnante et tr�buchante ! Croyait-on vraiment que les peuples bless�s dans leur dignit� et leur foi allaient d�filer en chantant et en dansant sur des airs de lampions ? On a remarqu� aussi que personne parmi ceux qui se relayaient sur les plateaux TV n�a os� observer, m�me du bout des l�vres, qu�aucune �glise ni synagogue n�a �t� saccag�e lors de ces manifestations et qu�aucune croix gamm�e ou croix celte n�a �t� inscrite sur quelque st�le ou tombe que ce soit. Et surtout que : jamais un musulman n�a caricatur� les proph�tes Moise et J�sus ! La libert� de la presse, c�est une libert� pr�cieuse qu� il faut d�fendre quoi qu�il en co�te ; mais la rigueur, l�impartialit� et l�objectivit� dans l�information, ce n�est pas mal non plus, et force est de constater que les m�dias occidentaux en ont beaucoup manqu� dans cette affaire ! Du premier jour de leur publication par un petit journal d�un pays scandinave, en passant par le charivari d�clench� dans le microcosme m�diatique au nom de la libert� d�expression, jusqu�aux troubles qui �clat�rent dans le monde musulman et ailleurs, cette affaire des caricatures est l�illustration parfaite d�un d�tournement et d�un usage abusif de ces deux libert�s fondamentales que sont la libert� d�expression et la libert� de la presse. Derni�re information(2) : on vient d�apprendre que l�auteur des caricatures a d�cid� de les republier tr�s prochainement. J�imagine que ce caricaturiste qui a d�j� encaiss� de substantiels droits d�auteur, a d�cid� d�exploiter � fond ce filon lucratif. Bis repetita placent, pense-t-il sans doute, et advienne que pourra ! En ces temps de racisme ouvertement assum� et de discriminations l�galis�es, il �tait opportun � mon avis de rappeler cette affaire des caricatures. D�autant que des pyromanes, tout en criant �au feu !� comme � leur habitude, sont en train d�allumer de nouveaux incendies. Quelques philosophes reconvertis dans la d�fense de l�Occident jud�ochr�tien assi�g� � leurs yeux par l�Islam ont pris le parti d�attiser les haines. Qu�on prenne garde, car de telles campagnes � les pr�c�dents historiques existent � conduisent � l�innommable. C�est d�j� le cas, s�agissant du sort qu�on r�serve aux Roms qui sont pourtant des chr�tiens et des europ�ens. Les autres ethnies n�attendront sans doute pas longtemps, pour subir le m�me sort. Quant aux Fran�ais d�origine africaine ou maghr�bine, ils n�ont qu�� bien se tenir : on leur pr�pare des lois sp�ciales, pour les d�choir de leur nationalit�. Ces campagnes excitent les extr�mistes et font le lit des r�gimes et de syst�mes politiques les plus r�actionnaires. Les musulmans, quant � eux, sont dans leur �crasante majorit� des gens pacifiques qui veulent vivre en paix chez eux. Ils ne demandent pas qu�on les aime, de crainte qu�on ne les aim�t que �comme des biftecks bien saignants �, pour reprendre ce mot attribu� au pr�sident Ferhat Abbas !
Z. S. *Ancien ministre
1) Voir : Le courrier international. Version �lectronique du 11 ao�t 2010.
2) L�auteur des caricatures, un certain Kurt Westergaard, va publier en octobre-novembre prochain, un livre les reproduisant (source : voir 1 ci-dessus). Gageons que tout sera fait pour qu�il devienne un best seller !

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