Chronique du jour : ICI MIEUX QUE LA-BAS
Ce que tu ne dis pas sera retenu contre toi !
Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr


Je n'ai pas encore �lucid� l'�nigme, je me console avec cette hypoth�se vulgaire: c'est peut-�tre parce qu'ils bossent dans un salon de coiffure que les types se coupent les cheveux en quatre ! Facile, A�il ! Mais que sont-ils en train de faire, bon sang ! Je te laisse imaginer le d�cor ! Figure-toi un salon de coiffure... Un salon ? Enfin, une �choppe... un couloir... un truc o� on coupe les cheveux pour seulement 8 euros, gomina, s�choir, TVA et pourboires compris.

C'est presque raser gratis au nom de Dieu! C'est pas crade, du moins � proprement parler mais c'est loin de r�pondre aux crit�res de l'hygi�ne helv�tique. Ce qui est g�nant dans ce... salon de coiffure, c'est la chaleur. �touffante. Oppressante. Presque insupportable. Que dis-je : �presque�? Non, carr�ment, franchement insupportable. En prime, tu as droit aux conseils avis�s des voyants et des voyantes trilingues de Beur FM te parvenant � travers les gr�sillements d'un poste ant�diluvien. Si pour le m�me prix tu gouttes � la canicule, c'est parce qu'il n'y a pas de climatisation ici. A ce prix-l�, il ne faut pas demander la lune! L'argument a son poids. Bon, passons ! L'attraction (r�pulsion) du lieu, ce sont les jeunes apprentis coiffeurs. S'ils sont novices dans l'art de raccourcir le cheveu, ils poss�dent en revanche celui de te faire dresser les poils sur la t�te ! Ils sont trois, format�s, sortis du m�me moule. Qui sait m�me s'ils ne sont pas interchangeables ? Ils ont le cheveu rare, amalgam� par quelque gel first price, un filet de barbe calcul� sur la sunna et index� sur l'indice du z�le salafiste et une facilit� � d�livrer des fetwas, ou ce qui y ressemble, � te couper le souffle. Ils n'ont que vingt-cinq ans et en additionnant leurs �ges respectifs, on ferait � peine un quasi-octog�naire. Eh bien, ces m�mes ne parlent que de la mort, des feux de l'enfer o� iraient br�ler tous ceux qui ne suivraient pas la m�me voie qu'eux. Au besoin, ils vont jusqu'� clamer leur disponibilit� � anticiper les fameux feux de l'enfer ici bas pour les cas les plus graves d'impi�t� dont ils ont �t� t�moins. Comme le salon... enfin le truc de coiffure donne sur la rue, ils ont tout loisir d'observer les gens du quartier auxquels ils ont r�serv� une suite personnalis�e en enfer. T'as vu, celui-l�, l�che s�v�re le coiffeur debout � ma droite. Tee-shirt noir parcouru de barbel�s, l'�il kholis� r�glementaire, il semble �tre le gourou du trio. �a se voit � quoi ? Eh bien, d�s qu'il commence � causer, les autres se taisent! Au pire, ils opinent du chef. -Il est quoi, palestinien, ce kafer ? Au lieu d'aller donner sa vie � son pays, il est l� � tra�ner dans le quartier en faisant le joli c�ur. Pour un peu, je lui passerais une ceinture d'explosifs rien pour qu'il sente ce que �a fait... - Oui, approuvent les deux comp�res. Il ne fait m�me pas Ramadan. Il croit que parce qu'il est en France, Dieu ne le voit pas. Il se trompe lourdement. Ils �dictent leurs sentences le geste large et la voix haute � la fa�on de magistrats d'un tribunal islamique qui n'auraient aucune mis�ricorde dans leur verdict par contumace. Car ils bossent � l'abattage, les frangins ! A peine ont-ils d�capit� un impie que d�j�, ils vouent � la g�henne le suivant puis encore le suivant, dans une spirale infernale... Naturellement, les mecs ratatin�s sur leurs fauteuils dans l'attente de se faire coiffer sont silencieux. C'est un peu le public dans un tribunal. Il peut crier mais pas parler. Nous �tions l�, trois ou quatre � patienter, trois autres d�j� sur le grill, � faire de la figuration m�me pas intelligente tandis que les mousquetaires mousquetaient tout ce qu'ils savaient. Ils se comportaient comme si nous n'�tions pas l�. Comme s'ils �taient seuls en quelque r�union secr�te ! Mais non, nous sommes dans un salon... enfin un truc de coiffure pignon sur rue. Les coupeurs de cheveux se transforment sous nos yeux en coupeurs de t�tes virtuels, seulement virtuels, du moins il faut l'esp�rer. J'en �tais venu � me dire qu'il serait heureux que ce ne soient que des jobards, des mecs qui se la jouent, des fiers � bras, des grandes gueules... A 25 ans, on peut concevoir que le menu fretin qui leur tient lieu de vision du monde ne puisse pas prendre autre chose que des sch�matisations et des intol�rances au yatagan. D'ailleurs, � un moment, le gourou avait �voqu� les manifs am�ricaines contre l'ouverture d'une mosqu�e non loin de Ground Zero. Il avait la solution : glisser parmi les manifestants un frangin bard� d'explosifs et l'envoyer au paradis dans le m�me vol que les amerlocks en partance pour l'enfer ! Radical ! Tu me diras que ce bavardage belliqueux est de la petite Malta devant la furie des actes des Afghans de la g�n�ration des ann�es 1980. Ceux-l� ne parlaient pas seulement. Ils agissaient sabre au clair et le r�sultat, on le conna�t. Mais ce qui me surprend toujours, c'est ce discours de haine du monde entier et sans doute d'abord de soi-m�me, h�riss� de violence, truff� de ch�timents in�dits, parsem� de mort et de deuil, dans lequel ils inhument leur raison. Je n'avais pas la force de les convaincre qu'� leur �ge, ils avaient bien autre chose � faire qu'� surveiller qui fait Ramadan et qui ne fait pas la pri�re dans un pays qui n'est m�me pas musulman. Comment leur faire comprendre que si seulement ils avaient pu suivre leur propre orthodoxie, dans la discr�tion que requiert l'intimit� de la foi et dans l'humilit�, ils auraient �uvr� pour toute l'humanit�. Comment les tirer de l'erreur de croire qu'en harcelant les autres on augmente la licit� de sa propre pratique religieuse. Et avec quels mots leur expliquer qu'� leur �ge, il est bien t�t de faire de la mort violente, � donner ou � recevoir, un sujet de tous les instants... J'�tais tent� de leur conseiller, tant qu'� faire, les livres de l'ami Malek Chebel. Il sait parler de l'Islam dans la pulsion de vie... Mais dire tout �a � des citadelles me paraissait au-dessus de mes forces... Alors, je me suis tu et j'ai quitt� le salon... pardon le truc de coiffure sans m'�tre fait couper les cheveux avec la certitude battant sous le cuir chevelu que le silence que je venais d'observer faisait partie de ces infimes particules qui, rassembl�es, fourbissent les armes qui favorisent le choc des cultures de Hutington. Oui, tout ce qu'on ne dit pas sera retenu contre nous...
A. M.
P.S. 1 : Paul Nizan, cat�gorique dans Aden d'Arabie : �Je ne permettrai � personne de dire que 20 ans, c 'est le plus bel �ge de la vie�. Pourtant... C'est l'�ge des r�ves et m�me des illusions... C'est celui du Soir d'Alg�rie dont l'enfance et l'adolescence ont �t� ponctu�es par des coups de bombes, de feu, de semonce, de clairon... Et � tous les bruits de guerre, et ceux des deuils, se sont ajout�s le tintement des clochettes des juges et le cliquetis des menottes. Le Soir d'Alg�rie est une sorte de miracul� qui a 20 ans d'�ge mais d�j� la maturit� de celui qui en a vu de toutes les couleurs. Comme pour tous les �ges, ce qui compte, c'est de se tenir l'�chine droite... Bon anniversaire, les potes, et une pens�e pour ceux qui ont laiss� leur vie pour que nous puissions encore respirer convenablement de la plume.
P.S. 2 : Cette chronique fait valoir in petto ses droits au cong� annuel. Rendez-vous le 26 septembre.

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