Actualités : Deux jours d’intenses débats sur le projet solaire méditerranéen

Pourquoi un Plan solaire méditerranéen ? Quel intérêt pour les pays du Sud ? Quelles conditions devra réunir ce plan pour réussir et répondre aux intérêts des deux rives de la Méditerranée ? Toutes ces questions ont été évoquées au premier salon du genre organisé par Nicolas Sarkis, qui nous dira (voir interview ci-contre) les raisons, selon lui, de l’absence de l’Algérie à cette rencontre et la réponse qu’il donne à ceux qui soupçonnent le projet solaire méditerranéen d’être «écocolonialiste».
De notre bureau de Paris, Khadidja Baba-Ahmed
Le Salon SolarMed s’est tenu durant deux jours (15 et 17 septembre) à Paris. Des intervenants du nord et du sud de la Méditerranée se sont succédé pour débattre du plan solaire méditerranéen, lancé il y a deux ans par l’UPM, et échanger sur la complémentarité des énergies fossiles et des énergies renouvelables ; sur les stratégies des principaux acteurs du solaire, notamment au Maghreb et au Moyen- Orient, et enfin sur les moyens et modalités de financement des projets. A cette rencontre, l’Algérie s’est portée absente contrairement à ses voisins marocain, tunisien, et d’autres pays comme l’Égypte, le Liban… sans compter les opérateurs énergétiques du Nord, qu’ils s’agisse d’institutionnels, d’industriels ou de financiers. M. Abdenour Keramane, invité au titre de son expertise dans le domaine, son long parcours, son expérience conséquente dans le secteur énergétique et son rôle dans les institutions énergétiques internationales, a eu la responsabilité, aux côtés de Nicolas Sarkis, de clôturer la rencontre. Sa conclusion des travaux et les recommandations essentielles qu’il en tire, nous ont dit les participants sur place, ont parfaitement résumé les points essentiels discutés et insisté sur les recommandations qui en découlent. Avant d’en voir l’essentiel, qu’est-ce que le plan solaire méditerranéen et à quels objectif répond-il ?
Pourquoi un Plan solaire méditerranéen
Le plan solaire méditerranéen, ou PSM, lancé en 2008 par l’Union pour la Méditerranée et qui en est son projet phare, consiste à installer 20 GW de capacité de production de l’électricité renouvelable, notamment solaire, d’ici 2020 en Afrique du Nord et au Moyen-Orient pour faire face «à l’augmentation prévisible de la demande énergétique dans la région euro-méditerranéenne et pour réduire les émissions de gaz à effet de serre». Un quart de cette production, soit 5 GW, serait exporté du sud et de l’est de la Méditerranée vers l’Europe. Même si le Plan solaire méditerranéen a suscité l’engouement et engendré une multitude de projets actuellement à l’étude (près de 150), les experts présents à Solarmed et notamment les bailleurs de fonds, se sont accordés à dire que dans cet ensemble, seule une vingtaine de projets sont viables. Mais parallèlement, deux projets majeurs avancent notablement : il s’agit de «Transgréen», qui envisage la création d’un réseau de transport de l’électricité entre les rives nord et sud de la Méditerranée, et «Desertec», qui vise la mise en place d’un vaste réseau d’installations éoliennes et solaires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, devant produire, à terme, jusqu’à 15 % de la consommation électrique en Europe. Pour l’un comme pour l’autre de ces deux derniers projets, comme pour plus globalement le Plan solaire méditerranéen, la position officielle de l’Algérie semble pour le moins floue et les déclarations des responsables du secteur, tant du ministre de l’Energie, qui récemment disait aux journalistes à partir de Montréal au Congrès mondial du Gaz «nous allons étudier toutes les possibilités de développement des énergies renouvelables non seulement au niveau national mais aussi au niveau régional » — que du P-dg de la Sonelgaz, qui voit dans Desertec un projet «qui est au début de sa phase de séduction (…) et qui pourrait être concurrencé par le Plan solaire méditerranéen», indiquent, pour le moins, que l’arbitrage entre les différentes sources d’énergie n’est pas encore fait et que le retard accumulé dans ce domaine ne peut qu’entamer sérieusement et dangereusement nos réserves pétrolières et sans un mix énergétique, compromettre la satisfaction de la demande énergétique des générations futures. En attendant, et comme on l’a vu tout au long des deux journées, le solaire est devenu une énergie qu’il faut développer. «On ne peut y échapper», a insisté Nicolas Sarkis qui, jusqu’alors, s’est toujours occupé de sources d’énergie conventionnelles. Deux raisons à cette inéluctabilité, résumera M. Keramane : la lancinante question du changement climatique qui pousse à la recherche de sources d’énergie non polluantes, non productrices de CO2 et les échéances d’épuisement des réserves, et ce, quels que soient les termes que retiennent les uns ou les autres pour cet épuisement. A l’échelle internationale, pays producteurs ou consommateurs, riches ou pauvres, sont aujourd’hui conscients qu’il faut se mobiliser «contre la consommation excessive de combustibles fossiles et contre l’augmentation d’émissions de gaz qui en résultent».
Même les pays pétroliers se sont engagés dans les énergies renouvelables
Abdenour Keramane en veut pour preuve «la démarche actuelle des pays pétroliers dont on a dit à tort, pendant la conférence de Copenhague, qu’ils étaient pour que la conférence ne réussisse pas» ; or, explique-t-il, le constat est que de nombreux pays pétroliers ont pris acte de la nécessité de faire évoluer la donne énergétique et pour la plupart ils se sont lancés dans d’ambitieux programmes de maîtrise de l’énergie et de promotion des énergies renouvelables. Et de citer les projets dans les Emirats arabes (projet Masdar City), en Arabie saoudite (solaire de 10MW et Centre de recherches en énergies renouvelables) ; l’Égypte, qui envisage une production électrique à 20 % en renouvelable à l’horizon 2020 ; la Libye, qui a lancé de grandes campagnes de sensibilisation à la maîtrise de l’énergie, et enfin l’Algérie, qui a récemment décidé de créer un fonds des énergies, renouvelables, alimenté par les recettes pétrolières, même si, dit-il, «à mon avis le taux de 0,5 des recettes pétrolières est encore faible». C’est là, incontestablement, «un premier pas vers la transition énergétique que sont en train d’opérer les pays producteurs». Quant au solaire, et au regard des nombreuses interventions au cours de ces journées, il est aisé de conclure qu’«il a un bel avenir, comme source de production de l’énergie ». Et si l’on émet des doutes sur l’essor du solaire, l’Agence internationale de l’énergie, une «agence reconnue à travers le monde pour son sérieux et la crédibilité de ses travaux» a prévu dans ses scénarios qu’entre 2/3 et 50 % de la demande de l’électricité à l’horizon 2050 seraient satisfaits par les énergies renouvelables, dont la moitié par l’énergie solaire. Beaucoup d’intervenants ont insisté sur la question des prix du solaire et tous s’accordent à dire que ce prix est cher, tant au niveau du kilowatt installé que du kilowattheure produit notamment en raison de l’intermittence et d’autres considérations techniques. Or, rappelle encore cette conclusion, «c’est un peu comme l’eau dans le Bassin méditerranéen, dans quelques années, elle n’aura pas de prix parce que trop rare» aussi, il faut naturellement minimiser les coûts mais l’épuisement des ressources fait que, dans quelques années, le prix du pétrole ne pourra qu’aller en augmentant et de ce fait, produire des énergies nouvelles, dont le solaire, devient une nécessité. Quant aux solutions techniques nombreuses présentées au cours de cette rencontre, une évidence s’impose : les solutions techniques existent, elles sont nombreuses, il n’y a pas une «idéale» «unique», aussi, chaque solution est à adapter à telle ou telle situation. L’idéal, précisément dans ce domaine, est que les exploitants puissent exposer, dans une prochaine rencontre comme celle-ci, le retour d’expérience d’une installation solaire qui a fonctionné pendant quelques années et que des comparaisons soient faites avec les autres solutions afin que l’on puisse créer, partant de là, une nomenclature des différentes techniques mises en œuvre. Mais si au cours de ces deux journées l’unanimité s’est exprimée sur le fait que l’énergie solaire est techniquement viable et qu’économiquement dans quelques années des progrès seront faits, des conditions importantes pour assurer l’essor du solaire sont cependant à prendre en compte. Parmi celles évoquées par les intervenants, A. Keramane a relevé la nécessité d’associer aux aspects techniques, la formation et l’appropriation des technologies par les pays du Sud en veillant à en faire des projets complets, de filières qui contiennent également l’intégration en termes d’ingénierie, de participation de l’industrie locale de montage, de fabrication d’équipements, de pièces de rechange, etc. L’intervenant termine sa conclusion de la rencontre de SolarMed par d’importantes recommandations.
Nécessité de plus de coordination Nord-Sud dans les projets
Passer de projets solaires nationaux à des programmes régionaux car, estime-t-il, «la question de l’appropriation des technologies et de la mise en place d’industries de fabrication dans les pays du sud de la Méditerranée ne peut être résolue que dans un cadre régional. A cet effet, il a recommandé à ce que l’on ne passe pas sous silence l’existence de cadres appropriés : Comité maghrébin de l’électricité (Comelec) pour le Maghreb ; l’Union arabe des électriciens pour le Machrek. Par ailleurs, note-t-il, s’il y a aujourd’hui une coordination réelle et forte dans les projets entre les pays du Nord, il faut aussi que cette coordination se fasse Nord-Sud et qu’il y ait une plus forte implication des pays du Sud et à cet égard, souligne t-il, le Sud a cette volonté. De plus, quel que soit l’initiateur d’un projet dans le Sud – de statut public ou privé —, l’implication des pouvoirs publics et des politiques est indispensable et leur accord et soutien, même si ce n’est qu’un soutien moral, sont indispensables ». Et pour finir, le Plan solaire méditerranéen, qui s’est fixé pour horizon 2020 «c’est-à-dire demain», est un horizon trop proche dans le domaine de l’énergie. C’est pourquoi il a appelé à «transformer les initiatives, si intéressantes soient-elles, en un programme cohérent et concerté avec une vision globale, et à long terme, en fait l’horizon 2050. Et de son point de vue, un programme concerté et intégré doit couvrir l’ensemble des volets, à savoir : l’exploitation optimale des ressources renouvelables du Sud et en priorité pour les besoins locaux et notamment pour l’électrification, d’autant que le continent africain est le moins électrifié (abstraction faite des pays du Maghreb électrifiés à quasiment 100 %). Et après avoir satisfait aux besoins locaux, les pays du Sud ont intérêt à exporter de l’électricité et ne pas se confiner dans une position de simples exportateurs de matières premières, d’autant qu’il y a une valeur ajoutée intéressante à cette exportation de production du solaire et c’est là un défi à relever ».
K. B.-A.



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