Chronique du jour : A FONDS PERDUS
Sous le pont Mirabeau, le p�trole
Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com


Le laboratoire d�anthropologie sociale de l�Ecole des hautes �tudes sociales de Paris vient d�ouvrir un chantier de recherches et d��changes entre universitaires de France, du Liban, du Soudan et d�Alg�rie autour du r�le d�volu � la politique, l�anthropologie et le droit dans l��laboration et la mise en �uvre des processus de r�conciliation dans les pays de l��re arabo-musulmane.
Les journ�es d��tudes r�cemment organis�es au Coll�ge de France nourrissent l�espoir que soit d�pass�e ou mise � jour l�ancienne vision classique de l�anthropologie du monde musulman, avec pour th�mes classiques la violence, la vengeance et l�honneur. Les anciens travaux ont mis plus l�accent sur la logique de d�fis et de riposte ou les �changes de violence attach�s � l�honneur que sur les pratiques compl�mentaires de r�conciliation (solh ou musalah en arabe) et de �compensation � ou r�paration (diya en arabe, souvent traduit par �prix du sang�, diyith dans les langues berb�res ou diyeh en turc). Ces pratiques ont �t� n�glig�es dans les �tudes du monde musulman et du pourtour m�diterran�en. Dans le cas alg�rien, elles remontent aux premi�res crises du mouvement national � le Congr�s de la Soummam lui a redonn� l�impulsion n�cessaire en recentrant les compromis, pas toujours respect�s, autour de la primaut� de l�int�rieur sur l�ext�rieur et du politique sur le militaire. Les moments de dialogue ne sont pas rares et suivent g�n�ralement des vagues de violence ou d��meutes, avec pour toile de fond les revendications d�mocratique ou sociale. Les premi�res �bauches de r�conciliation nationale de l�Alg�rie ind�pendante datent de la crise de 1962. Elles s�articulent autour des tractations entre le FLN, tent� par l�absolutisme du parti unique, et le FFS (n� officiellement le 29 septembre 1963) soucieux de contenir �les exc�s totalitaires des putschistes des fronti�res et le prolongement de la crise de 1962�. Une victoire militaire �tant impossible, les deux parties en conflit consentent d�entamer une �n�gociation globale �. Les premi�res tractations d�butent entre janvier et f�vrier 1965, et se concluent par des accords qui pr�voyaient �la lib�ration de tous les d�tenus politiques� et �l�int�gration des militants du FFS dans la vie active�. Autre moment fort du dialogue national, l�apr�s-octobre 1988. Un texte fort m�connu incarne ce moment : la loi 90- 19 du 19 ao�t 1990 portant amnistie. Ce texte admet au b�n�fice de l�amnistie �les nationaux condamn�s, poursuivis ou susceptibles de l��tre pour avoir particip� ant�rieurement au 23 f�vrier 1989, � une action ou � un mouvement subversifs ou dans un but d�opposition � l�autorit� de l�Etat � (art. 3). Opposition et contre-pouvoirs entrent en sc�ne. La signature, le 29 juin dernier, de l�accord entre deux communaut�s religieuses dans la r�gion de Berriane inaugure un nouveau type de compromis. L�accord porte la signature des repr�sentants des huit fractions (Achirate) ibadite et huit fractions mal�kites, qui constituent le tissu sociologique de la r�gion de Berriane marqu�e par des affrontements sporadiques entre jeunes, occasionnant des pertes humaines et la destruction de biens. On peut consid�rer les trois premiers accords comme des moments forts du triomphe de la voie pacifique pour la mise en �uvre de la revendication d�mocratique et de la tol�rance. Depuis l�interruption du processus �lectoral en juin 1991 et la constitution des groupes terroristes arm�s, le processus de dialogue-r�conciliation a connu trois grands moments, signalis�s et balis�s par des constructions juridiques particuli�res qui nous paraissent indiquer une lente maturation et une coh�rence de fond bien souvent pass�e sous silence : l'ordonnance n� 95-12 du 25 Ramadan 1415 correspondant au 25 f�vrier 1995 portant mesures de cl�mence ; la loi 99-08 du 13 juillet 1999 relative au r�tablissement de la concorde civile ; la Charte pour la paix et la r�conciliation nationale. �Les premiers r�sultats des analyses font appara�tre que ces politiques de r�conciliation nationale ont a priori davantage permis de l�gitimer les gouvernements post-conflits que de consacrer effectivement et durablement la r�conciliation, en particulier celle des m�moires. Comme dans de nombreux autres cas d�am�nagement de la sortie de la violence, elles semblent relever en premier lieu ou du moins dans un premier temps de la logique amnistiante.� Une logique souvent associ�e � une sorte d�amn�sie paralysante qui emp�che de faire la lumi�re sur les �v�nements v�cus et de rendre justice hors de toute impunit�. A l�exp�rience rien n�est moins s�r : les pays d�Afrique subsaharienne qui ont choisi la voie de la �v�rit� � la fin des r�gnes des partis uniques dans les ann�es 1990 ont souvent vu leurs �d�ballages� se muer en guerres civiles La bonne question serait alors : si les questions de v�rit� et de justice sont porteuses de risques de d�rapages, pourquoi les interm�des de compromis, de paix et de r�conciliation n�aboutissent ou ne durent g�n�ralement pas ? Le contrat anticolonial a abouti � une ind�pendance formelle instable. De l� � recouvrir une dimension de projet national, il lui reste toute une maturation inachev�e, il lui reste � parcourir tout un chemin sem� d�emb�ches que tous les artisans du mouvement national sont unanimes � souligner (en termes de confiscation, de d�tournement, de d�voiement). Il reste notamment � construire un cadre p�renne et n�goci� d�expression de la nation souveraine que deux facteurs objectifs, indissociables, concourent � diff�rer sans cesse l��extraversion �conomique et l�autoritarisme politique Objectivement, nous subissons une logique de comptoirs : l�extraversion �conomique, la corruption, les fuites de capitaux et de cerveaux (200 000 alg�riens de rang doctoral ont fui le pays, ce qui repr�sente une perte de 400 milliards de dollars pour la collectivit�), la fraude fiscale (l��conomie informelle est �valu�e � 40 % du produit int�rieur brut) sont la manifestation de cette incapacit� � doter la nation de moyens �conomiques de production et de reproduction durables. Pendant ce temps, la gestion des ports (�miratis) et les a�roports (ADP, JC Decaux), la distribution de l�eau (le fran�ais Suez Environnement, � qui avait �t� confi�e en 2006 pour six ans la gestion de cette ressource � Alger) est donn�e aux �trangers. L�accumulation organique du capital s�op�re au d�triment de la communaut� nationale et ob�it � des centres d�int�r�ts issus pour la plupart de l�ancienne puissance coloniale. Sous le pont Mirabeau coule le p�trole ... �Que deviennent les ministres et les hauts responsables de l�Etat alg�rien une fois �cart�s des responsabilit�s officielles ?�, s�interrogeait r�cemment le journal en ligne TSA. Quand ils ne sont plus aux commandes, les hauts cadres de l�Etat alg�rien pr�f�rent majoritairement s�exiler et vivre � l��tranger, en Europe et dans les pays arabes. Selon les donn�es d�un rapport officiel r�alis� en Alg�rie et dont TSA a eu connaissance, sur pr�s de 700 anciens ministres et premiers ministres qui se sont succ�d� aux diff�rents gouvernements depuis l�ind�pendance, au moins 500 vivent � l��tranger. �Le m�me ph�nom�ne touche les hauts cadres de l�Etat : anciens gouverneurs de la Banque d�Alg�rie, anciens P-dg et vice-pr�sidents de Sonatrach, des g�n�raux � la retraite� A l��tranger, ces anciens hauts responsables alg�riens exercent comme consultants, enseignants, cadres dans des entreprises, etc. Mais on les retrouve �galement dans des m�tiers plus surprenants comme le commerce, l�h�tellerie, la restauration et m�me la boucherie hallal�, commente la m�me source. En termes de pouvoir, le pays subit une alternance occulte qui t�moigne plus intimement d�institutions nationales, aux lieu et place de coteries associ�es, pour l�essentiel, � des int�r�ts �trangers. Dans ces conditions aucun simulacre de constitution ne peut durablement survivre � ses r�dacteurs successifs, institutionnalisant ce que le professeur M. Boussoumah appelle �un constitutionnalisme de crise� ?
A. B.

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