Contribution : Quand les conflits de langues investissent le th��tre

Par Ahmed Cheniki
Le probl�me linguistique toujours constitu� l�un des points essentiels du d�bat sur la repr�sentation th��trale en Alg�rie. Quel est l�auteur alg�rien qui ne connut/conna�t pas ce probl�me. Ni Bachetarzi, ni Ksentini, Alloula, ni Kateb Yacine, pour ne citer que ces auteurs, ne purent s�en sortir s�rieusement de ces questionnements ininterrompus sur la langue � utiliser dans leurs textes. Quelle langue faut-il choisir L�arabe litt�raire, l�arabe parl�, le tamazight ou le fran�ais. Le choix n�est d�cid�ment pas facile. Le d�bat reste toujours d�actualit�.
Les auteurs, les journalistes, les chercheurs et les com�diens �voquent, en permanence, cette question qui reste toujours pos�e dans tous les pays arabes et africains. Opter pour l�une ou l�autre langue, c�est s�exposer aux foudres de l�une ou de l�autre tendance. La pol�mique est parfois sous-tendue par des relents id�ologiques. Les tenants de l�arabisme ne pouvaient/peuvent admettre l�adoption d�une langue autre que la langue �litt�raire�. Pour eux, les idiomes populaires sont incapables d�exprimer l��tre, la nation. La langue arabe, sacralis�e et fig�e, pouvait/ peut, selon ces lettr�s, traduire les pens�es et les destin�es des grands personnages tragiques. Le discours de ce courant se voit, ces derniers temps, s�imposer sur sc�ne culturelle officielle, mais ne semble pas encore fort pour investir durablement sph�re th��trale. Le choix de ces derni�res ann�es ne correspond nullement � des consid�rations esth�tiques (d�ailleurs, les pi�ces sont pauvres), mais s�assimile plut�t un exc�s de z�le de quelques troupes voulant avoir les faveurs de certains d�cideurs. Un r�formateur alg�rien tr�s connu parle ainsi de l�usage fait � la langue arabe par l��lite conservatrice. Les adeptes des idiomes populaires (surtout l�arabe �alg�rien�) pensent que l�arabe �classique� exclurait du th��tre le large public et alt�rerait consid�rablement la communication. Faut-il faire du th��tre pour une �lite dont une partie n�a que m�pris pour les valeurs populaires v�hicul�es par l�art dramatique ? Le choix est tout � fait clair et simple : il ne s�agit nullement d�une entourloupe id�ologique mais d�une d�cision n�e de la relation qu�entretiennent les hommes de th��tre avec leur public. Il n�est pas question d��vacuer du champ de la repr�sentation th��trale les couches populaires qui, dans leur grande majorit�, ne ma�trisent pas langue �classique�. Il ne faut pas perdre de vue que le th��tre en Alg�rie est le fait d�hommes issus du �peuple�. Rachid Ksentini, Allalou, Touri sont d�origine populaire. Comment pouvaient-ils se permettre d�exclure de leur espace de repr�sentation les gens auxquels ils s�adressaient ? Entre �peuple� et l��lite cultiv�e, ils avaient choisi le �peuple�. C�est le r�cepteur qui d�termine la langue � employer. Ce n�est ni un d�cret gouvernemental, ni d�obscurs principes qui imposeraient l�accessoire au d�triment de l�essentiel, la communication avec les diff�rents publics. Ces derniers temps, le kabyle commence � s�imposer en Kabylie o� des pi�ces sont mont�es dans cette langue. Ainsi, des festivals de th��tre amazigh sont r�guli�rement organis�s � Tizi-Ouzou et B�ja�a. Le d�bat marque le territoire culturel. La question des langues traverse tout le champ th��tral. Depuis les premiers balbutiements du th��tre en Alg�rie, le choix linguistique pose probl�me. C�est avec Djeha de Allalou que l�option pour l�arabe �dialectal� (il y a un flou d�finitoire pour la notion de �dialecte�) fut affirm�e avec force. Mais ce choix ne pouvait qu��tre discut� et contest� par l��lite intellectuelle de langue arabe de l��poque qui a d�cid� de bouder d�finitivement le th��tre. Il existait encore dans les ann�es dix-vingt quelques troupes qui jouaient leurs textes en arabe litt�raire. Les associations culturelles et religieuses de Blida et de M�d�a ont mis en sc�ne des textes en arabe classique Feth el Andalous, Mac Bethde Shakespeare, Le meurtre de Hussein, fils de Ali, Salah Eddine el Ayyoubi, Jacob le juif, etc. Le public qui fr�quentait ce th��tre �tait essentiellement constitu� de lettr�s. Les gens du peuple y �taient exclus. Cette exclusion d�ordre linguistique correspondait � une certaine stratification de la soci�t�. En 1926, Allalou monte Djeha, l�histoire d�un personnage populaire. Ce fut la premi�re pi�ce en arabe dialectal et une grande r�v�lation. Pour la premi�re fois, le public retrouvait son v�cu et s�identifiait � des personnages incarn�s par des com�diens alg�riens qui lui parlaient de son quotidien. A partir de cette ann�e, les auteurs s��taient mis � jouer leurs textes en arabe populaire. Abdelkader Djeghloul �crit ceci � propos de la langue utilis�e par Allalou : �Avec Djeha, la culture cesse d��tre un acte normatif pour devenir spectacle. Au s�rieux d�une �loquence mal � l�aise dans son habit occidental ou machr�kien, il substitue le rire. Jeu des acteurs mais aussi jeu de mots. Langue remise au travail, disant � nouveau le r�el v�cu � partir de la mise en �uvre de plusieurs niveaux de langue. Langue populaire, certes, mais non pas langue vulgaire, dans laquelle s�expriment les valets, mais aussi les rois.� Les pi�ces de Allalou, �crites en arabe dialectal, empruntaient au peuple sa langue, ses jeux de mots, ses tournures syntaxiques et sa po�sie. Les Alg�rois se retrouvaient enfin dans des �uvres dramatiques et s�identifiaient � des personnages puis�s dans l�imaginaire populaire. Les jeux de mots participaient de la parodie des situations et des r�cits mythiques : Haroun er-Rachid devint Qaroun (le corrompu), son porte-glaive Masrour se fit appeler Masrou� (l�abruti), un savetier prit le nom du h�ros l�gendaire, Antar, etc. Allalou subvertissait les mythes arabes, les d�tournait de leur sens initial pour leur substituer une signification particuli�re, remettant ainsi en question une certaine lecture du pass�, rompant tout simplement avec un h�ro�sme guerrier qui marque le parcours officiel. L��lite de l��poque, trop nourrie de mythes pass�istes, s�attaquait violemment au th��tre de Allalou consid�r� comme vulgaire et indigne de la litt�rature. Seule, selon les lettr�s de l��poque, la langue litt�raire �tait capable de v�hiculer le discours des grands personnages tragiques. Ils oubliaient vite que les premi�res tentatives en arabe classique avaient lamentablement �chou�, faute de public. Ali Ch�rif Tahar a �crit trois pi�ces sur l�alcoolisme, Ach chifa ba�d et �na ( La gu�rison apr�s l��preuve), Khadi�at el gharam (La duperie des passions) et Badi El Mouslih ( Le r�formateur) et Fi Sabil el watan (Au service de la patrie) ont �t� jou�es en 1921-1922. La langue utilis�e dans ces textes �tait inaccessible au grand public qui a boud� ces repr�sentations qui, d�ailleurs, d�veloppaient des th�ses sociales et philosophiques que les spectateurs avaient de la peine � comprendre, en l�absence d�une s�rieuse connaissance de l�arabe classique. Le public populaire entretenait une relation d��tranget� avec les textes se r�duisant � de simples lectures d�clamatoires. Avec Allalou, Ksentini et Bachetarzi, le th��tre choisit la langue du quotidien. De temps � autre, une pi�ce en arabe classique �tait r�alis�e dans quelque ville d�Alg�rie. Mais le public avait tout simplement opt� pour la langue dialectale. Ainsi s�exprimait Allalou dans ses m�moires : �Il est incontestable que l�arabe parl� dont nous usions a rendu le th��tre accessible au grand public. Cette langue appel�e � tort �vulgaire� �tait � l��poque une langue usuelle purement arabe. Pour l�essentiel, elle n��tait diff�rente de la langue classique que par le non-respect de la syntaxe et de la morphologie. C��tait une langue populaire par excellence et nos po�tes s�en sont toujours servi pour toucher le peuple. On peut citer, pour preuve, les innombrables po�mes et les chansons �labor�s depuis des si�cles concurremment � la litt�rature en arabe classique. (�) C�est un fait indubitable, l�arabe usuel que nous avons utilis� dans nos pi�ces a contribu� � int�resser le public alg�rien au th��tre. Le spectateur comprenait les dialogues, y trouvait du plaisir ainsi qu�un d�lassement contrairement � certaines pi�ces ardues en arabe classique qu�on ne comprend qu�avec peine.� Le th��tre rencontrait ainsi son public. Les gens comprenaient enfin ce qui se disait sur sc�ne. C��taient leurs mots, leurs proverbes et leur langue qu�ils retrouvaient dans la bouche des com�diens. D�j� en 1932, Mahieddine Bachetarzi disait ceci dans le journal Oran Matin 2: �Voyez-vous, nous ne sommes pas arriv�s � r�soudre d�une fa�on d�finitive une question pourtant essentielle et qui continue � nous embarrasser consid�rablement. C�est la suivante : comment devons-nous �crire nos pi�ces ? En arabe litt�raire ou en arabe parl� ? Quelques premiers essais en arabe litt�raire n�ont �t� compris que par quelques lettr�s en arabe. La grande foule s�en est �loign�e. Nous avons tent� des essais en arabe parl� qui ont obtenu des succ�s d�affluence certains, mais ce sont l� des succ�s un peu faciles qui ne nous ont nullement satisfaits. Des applaudissements venant d�un public plus cultiv�, plus compr�hensif, nous auraient flatt�s davantage et mieux encourag�s � pers�v�rer. Or, l��lite arabe et arabisante nous a, au contraire, adress� des reproches : pourquoi, nous a-t-on dit, descendez-vous au niveau de la foule ignorante, alors que vous devriez l��lever vers vous, affiner son go�t, lui insuffler l�amour de l�arabe litt�raire qui se meurt ?�. Bachetarzi et Allalou ont une conception diff�rente de la langue parl�e. Le premier, de souche bourgeoise, la consid�re comme une �langue vulgaire�, tandis que le second parle de �langue du peuple� (il r�pond Bachetarzi en employant le groupe de mots �� tort� plac� devant �langue vulgaire�). Mahieddine Bachetarzi distingue donc deux langues : l�arabe �classique� et l�arabe �vulgaire �. L��arabe vulgaire� serait la langue parl�e par le �peuple�, apte uniquement prendre des situations primaires et primitives, pauvres alors que l�arabe litt�raire se verrait marquer positivement �noble� et �sup�rieur�. Seules les pi�ces jou�es en arabe dialectal r�ussissent � drainer le large public qui retrouve ainsi sa langue.
Les adeptes des idiomes populaires (surtout l�arabe �alg�rien�) pensent que l�arabe �classique� exclurait du th��tre le large public et alt�rerait consid�rablement la communication.
C�est pour cette raison essentielle que les auteurs alg�riens ont choisi d��crire dans la langue populaire. L�exemple des pi�ces de Allalou, de Ksentini et de Touri confirme cette th�se. Alloula, Kaki, Kateb Yacine, Fetmouche, Dehimi et B�na�ssa d�montrent qu�on peut �crire de grandes �uvres artistiques en arabe dialectal. La question ne se pose pas en termes de langue(s) mais dans la ma�trise des techniques de la sc�ne. Souvent, ce sont des gens qui n'exercent pas dans les m�tiers du th��tre qui sortent leur �tendard de d�fenseurs de la �puret� linguistique. Cette mani�re de r�duire l'art th��tral � l'outil linguistique provoque de s�rieux malentendus. Le langage th��tral ne se limite pas uniquement � la langue mais embrasse toute une s�rie de m�diateurs sans lesquels il n�y aurait pas de repr�sentation. Aujourd�hui, apr�s l�ind�pendance, la question linguistique est toujours � l�ordre du jour. Le choix de l'arabe dialectal a d�termin� pendant la colonisation l'adoption des genres comiques : le vaudeville, la farce et la com�die. Il �tait inconcevable de mettre en sc�ne des personnages ou des pi�ces classiques ou tragiques. Les personnages tragiques s�expriment exclusivement dans la langue litt�raire. L�exp�rience de Rachid Ksentini, El ahd el Ouafi(Le serment fid�le), une trag�die en trois actes, fut un retentissant �chec. Toutes les pi�ces tragiques furent jou�es en arabe classique. L�Association des Oulema a encourag� les auteurs qui mettaient en situation des personnages historiques et des �v�nements du pass� glorifiant l�Islam, les �combattants de la foi� et de la �nation� arabe. Le th��tre de langue classique entrait dans le cadre de leur programme de scolarisation et d'enseignement de la langue arabe. Des pi�ces comme Othello et Mac Beth de Shakespeare, Antigone de Sophocle furent interpr�t�es par des �l�ves de M�dersa (�coles) dirig�es par les Oul�ma. La m�fiance des ��lites arabis�es� � l'�gard de la langue dialectale n�a pas disparu. Bien au contraire, elle s'exprimait bruyamment d�s qu'une pi�ce historique est mont�e � Alger, Oran ou Constantine. Cette querelle d'ordre linguistique - �galement id�ologique - rebondissait souvent dans les m�mes termes. La m�me pol�mique �voquait la question de l'esth�tique au th��tre. Ni Rachid Ksentini, ni Allalou, encore moins Bachetarzi et Touri ne pouvaient apporter une dimension esth�tique � cette langue populaire utilis�e par des hommes consid�r�s, � juste raison, comme les pionniers et les promoteurs de l�art sc�nique en Alg�rie. Leur champ lexical �tait souvent tr�s limit�. Les auteurs ayant une formation rudimentaire ne pouvaient se permettre d'entreprendre un quelconque travail sur la langue. Durant les premi�res ann�es de l�ind�pendance, les responsables du th��tre en Alg�rie voulaient faire �un th��tre populaire� ouvert aux larges masses et � l'�coute des pulsations de la soci�t�. Pour ce faire, les auteurs �crivaient leurs pi�ces en arabe populaire. Quelques pi�ces seulement furent �crites en arabe litt�raire et en fran�ais. L�exception ne faisait nullement la r�gle. Mais cela ne veut nullement dire que le d�bat sur le choix linguistique �tait clos. De temps � autre, des universitaires �arabisants� s�attaquent � l'usage de l'arabe dialectal dans le th��tre et sugg�rent l'emploi exclusif de la langue litt�raire. M�me un ministre de la Culture en exercice � l'�poque s'�tait insurg� contre l�emploi de la langue populaire sans s'interroger sur les v�ritables causes de son adoption par les hommes de th��tre arabes. Les dramaturges du Machrek, dans leur majorit�, �crivent leurs pi�ces en arabe populaire local. Certains arrivent m�me � r�diger deux textes, le premier pour la publication en arabe litt�raire et le second dans la langue populaire pour la sc�ne. Tewfik el Hakim cherchait une voie m�diane ou tierce. Le ph�nom�ne ne se limite pas uniquement � l'Alg�rie mais s��tend � tous les pays arabes et africains. Les r�alit�s diglossiques caract�risent le terrain linguistique. Les troupes alg�riennes n�utilisaient que dans de tr�s rares occasions l�arabe litt�raire. Ces derni�res ann�es, il y a un retour de l�arabe litt�raire, avec l�exclusion du public, aujourd�hui tragiquement absent. Le fran�ais n'est plus actuellement � l'ordre jour. Certes, ces derni�res ann�es, vers la fin des ann�es 1980 et le d�but des ann�es 1990, des pi�ces furent traduites en fran�ais et jou�es le plus souvent dans les centres culturels fran�ais (CCF). Ziani Ch�rif Ayad, Slimane B�na�ssa et des com�diens du TRA (Annaba) mont�rent des spectacles en fran�ais en Alg�rie et en France pour les deux premiers, notamment dans les rencontres francophones de Limoges. Le tamazight ou le berb�re (sa variante kabyle) s�impose de plus en plus en Kabylie, surtout depuis les �v�nements de 1980 (revendication de la langue et de la culture berb�res). L�auteur le plus connu est, bien entendu, Mohia, qui a eu l�intelligence d�adapter de grands auteurs (Moli�re, Brecht�) Nous pouvons d�celer plusieurs vari�t�s dialectales. Nous avons affaire � un espace linguistique h�t�rog�ne. Chaque auteur, chaque th��tre r�gional pr�sente un idiome particulier. Les auteurs recourent � plusieurs niveaux de langue. Dans les pi�ces du th��tre d�amateurs, par exemple, chaque personnage emploie un langage particulier. L'intellectuel, le syndicaliste et l�homme politique �progressiste� utilisent une langue �interm�diaire� (???) pour reprendre le linguiste M. Belka�d. Le paysan, dont l'espace de parole est r�duit, utilise souvent une langue trop marqu�e par l'accent et de nombreux b�gaiements, onomatop�es et h�sitations. Les femmes emploient une langue o� se trouvent m�lang�s le fran�ais et l'arabe dialectal. Pour faire r�aliste, plusieurs auteurs reprennent la langue �brute� de la rue sans la retravailler, l�investir d'oripeaux esth�tiques ni la consid�rer comme un �l�ment int�grant du travail th��tral. Cette confusion �langue de la rue�/langue du th��tre est � l'origine de la pauvret� de nombreuses �uvres dramatiques. L�usage du clich� et du st�r�otype est abondant dans la grande partie des pi�ces produites par les troupes d'amateurs et quelques textes du th��tre professionnel. Zobra Siagh, dans une remarquable th�se de troisi�me cycle, arrive � cette conclusion � propos du th��tre d�amateurs, remarques que nous pouvons �tendre � certaines pi�ces des th��tres d'�tat 1- �C'est un th��tre certes en arabe parl�, mais le statut qu'il r�serve le plus souvent au tamazight - �tre un �accent� ou un support � chansonnettes - rend compte de son statut politique - un dialecte appel� � �tre effac� ou � la rigueur � survivre comme �l�ment folklorique - plut�t que de sa situation r�elle comme instrument de communication pour au moins 20 % de la population alg�rienne.� Si l'on excepte Alloula, Kaki, Kateb Yacine, D�himi, B�na�ssa et Fetmouche, nous pouvons dire que les auteurs alg�riens emploient une langue manquant souvent de po�sie et de force. Dans la plupart des cas, nous sommes en pr�sence d�un m�lange linguistique h�t�roclite qui d�sarticule le jeu th��tral et pi�ge la communication. Ce �brouillage�, caract�ristique essentielle de nombreuses productions, influe n�gativement sur le jeu et l'interpr�tation et fausse la relation entre sc�ne et public(s).On a l'impression que certains auteurs proc�dent en recourant � une sorte d'analogie peu op�ratoire entre le temps de la repr�sentation et le temps r�el ou de la �rue� et consid�rent le th��tre comme une reproduction directe du v�cu. D�o� ce m�lange quelque peu biais� de l'arabe de la rue, c�est-�-dire non retravaill�, du fran�ais, de l�arabe classique et du berb�re, dans certains cas. L�unique souci de nombreux auteurs de pi�ces est de respecter la vraisemblance et de faire �uvre �r�aliste �. Le th��tre en Alg�rie est un th��tre bavard. La parole l'emporte sur le jeu. Nous sommes beaucoup plus en pr�sence d'une mise en paroles que d'une mise en sc�ne prenant en charge tous les attributs du spectacle. Les personnages, trop bavards, n'arr�tent pas de parler. Dans Lejouadet Legoual, deux exp�riences tr�s originales, un ou deux personnages investissent la sc�ne, la parole fait fonctionner le r�cit, lui permet d��tre incisif et de retrouver sa coh�rence. Alloula innove, produit une autre langue ancr�e dans le r�el mais �galement ob�issant � la lettre aux besoins et aux n�cessit�s de la communication th��trale et aux exigences des instances temporelles et spatiales. La parole n�est plus l�esclave et l�otage du temps direct du v�cu mais elle se trouve synth�tis�e et analys�e, proposant un nouveau moule non d�pourvu de po�sie. Ici, le choix de la parole correspond � un d�sir conscient de l'auteur de r�introduire la voix(e) du gouwal (conteur) et de la halqa (cercle) et de remettre en selle une nouvelle relation avec le public. Chez Kaki, la po�sie sugg�re l�image et lui apporte une ind�niable dimension dramatique. L�h�ritage po�tique des a�des populaires, Ben M�sa�b, Ben Brahim, Ben Khlouf ou Si Abderrahmane El M�djdoub, d�termine cette mani�re de faire de cet auteur qui, d�ailleurs, emploie souvent le mot diwan (recueil de po�sies lyriques) dans ses titres : Diwan el Garagouz, Diwan Essalhine ou Diwan Lemlah. L�option po�tique est claire mais cela n'exclut nullement la pr�sence en force dans les mises en sc�nes d�autres attributs formels qui donnent � l'image po�tique une force et une puissance extraordinaires. Certes, la parole ou le mot structure la pi�ce mais ne limite nullement la manifestation d'autres �l�ments langagiers. Diwan Essalhine est un texte construit � partir de quelques po�mes de Abderrabmane El Mejdoub, un grand po�te populaire maghr�bin. Le discours des personnages correspond � la structure po�tique des textes d'El Mejdoub. L�impact du th��tre grec et plus particuli�rement d'Eschyle dans l'architecture dramatique des pi�ces de Kaki est tr�s perceptible. Kateb Yacine fait �galement appel � la parole qui structure le r�cit et � l�aide de contes de Djeha, fait du verbe une dimension langagi�re importante de son spectacle. Le verbe fait �clater la sc�ne et lui permet de mieux g�rer le discours th��tral fond� sur la parole du conteur-com�dien. Parole giratoire, lieux et enjeux de toutes les situations dramatiques, elle est faite de m�lange de plusieurs niveaux de langues. Ce c�toiement linguistique apporte au texte une grande ouverture sur la soci�t� et une aptitude � jouer et � se jouer de nombreux registres. Slimane B�na�ssa cr�e une sorte de dynamique entre le mot et l'expression du com�dien, une m�tamorphose s'op�re et permet au r�cepteur d'appr�cier la profondeur et les non-dits du discours. Images fortes et po�sie populaire, tels sont les �l�ments- cl�s de la langue de cet auteur comme d'ailleurs, un jeune auteur de th��tre de Constantine, Mohamed Tayeb D�himi qui, recourant � l�imagerie populaire et historique, inscrit sa langue dans une sorte de dur�e mythique. Omar Fetmouche synth�tise dans la bouche des personnages des situations linguistiques et th�matiques. Rouiched emprunte jeux de mots, dictons populaires et tournures syntaxiques originales et expressions � la culture de l�ordinaire, au quotidien. En Alg�rie, la parole est reine. Le gouwal raconte des histoires et narre des �v�nements v�cus. Le meddah fait appel essentiellement � la parole. Il faut aussi comprendre que le th��tre dans les pays arabes fut emprunt� essentiellement � la France, pays o� �mergea ce �th��tre du verbe�, expression ch�re � Artaud. L�une des critiques les plus s�v�res faites aux pi�ces de Corneille, de Racine et bien d'autres auteurs dramatiques fran�ais par Antonin Artaud (Le th��tre et son double) est cette propension � accorder une place pr�pond�rante au verbe et au mot au d�triment du jeu. C�est ainsi que les dramaturges alg�riens, marqu�s par le conte populaire, divers jeux dramatiques populaires et th��tre fran�ais, ont con�u leur mani�re de construire leurs textes, privil�giant la parole aux d�pens du jeu physique et de l�image corporelle et gestuelle. Ecartel�s entre n�cessaire parole du conteur �traditionnel et les exigences du th��tre d�origine europ�enne, les auteurs dramatiques mettent en situation des personnages parfois bavards qui se jouent de leur propre verbe. Les jeux de mots, les proverbes et les dictons populaires peuplent l�univers dramatique alg�rien. Encore une fois, nous insistons sur l�h�t�rog�n�it� des niveaux et des syst�mes linguistiques.
Durant les premi�res ann�es de l�ind�pendance, les responsables du th��tre en Alg�rie voulaient faire �un th��tre populaire� ouvert aux larges masses et � l'�coute des pulsations de la soci�t�. Pour ce faire, les auteurs �crivaient leurs pi�ces en arabe populaire.
Slimane B�na�ssa emploie pas moins de quatre idiomes dans sa pi�ce, Babor Eghraq : l�arabe dialectal, l�arabe litt�raire, le fran�ais et le berb�re. Def el Goul wel Bendir du th��tre r�gional de Constantine (TRC) et R�jel Ya hlelef de Fetmouche font parler les personnages en plusieurs langues. L�arabe litt�raire se transforme en un espace de nostalgie et de p�r�grinations oniriques. Le fran�ais intervient pour interrompre le r�cit et provoquer un processus de distanciation. Ces derni�res ann�es, particuli�rement la p�riode des soixante-dix, apparut une forme d��criture �collective�. Quelques membres d�une troupe se constituent en noyau et se mettent � construire, apr�s une enqu�te pr�liminaire, leur pi�ce. Mais souvent, cette �criture est effectivement prise en charge par le ou les animateurs de l��quipe. Il y a toujours une ou deux personnes qui dominent et orientent le groupe. Ce style particulier d'�criture propre au th��tre d�amateurs (certaines exp�riences de ce type furent tent�es par les troupes r�gionales de Constantine et d�Oran) produit g�n�ralement un texte incoh�rent qui fait cohabiter de mani�re anachronique plusieurs niveaux de langues. D�o� d'ailleurs la pr�sence manifeste et obs�dante de discours st�r�otyp�s et de clich�s d�suets. El Meida et El Mentouj sont truff�s de mots et de phrases tir�s directement de la presse. L'objectif de ces pi�ces �tait d'expliquer les chartes de la R�volution agraire et de la gestion socialiste des entreprises. Ce souci didactique favorise l�emploi d�une langue st�r�otyp�e, marqu�e du sceau du discours politique dominant. Dans la grande majorit� des pi�ces alg�riennes, nous avons affaire � un discours monologique. Tous les personnages parlent d�une m�me voix et produisent des discours redondants et r�p�titifs. Il n�y a plus de dialogue possible, m�me s�il y a de nombreux personnages sur sc�ne. C�est une suite de longs monologues. Le th��tre en Alg�rie use �norm�ment de phrases passe-partout et de jeux de mots sans grande force. Ce qui est nouveau, c�est la r�alisation de pi�ces jou�es enti�rement en kabyle et parfois en chaoui. La D�cisionde Brecht fut traduite en kabyle et pr�sent�e au festival du th��tre d'amateurs de Mostaganem. Mohamed, prends ta valisede Kateb Yacine, Les piliers par Issoulas, Adhlas Bougdhoudh... furent directement mont�es en kabyle. Fin des ann�es 1980-1990, une s�rie de pi�ces est mise en sc�ne en tamazight. Le th��tre de B�ja�a ne l�sine pas sur les moyens pour marquer sa pr�sence sur ce terrain. L'une des premi�res exp�riences fut tent�e par le com�dien Mohamed Fellag qui adapta une pi�ce de Mrozek. Le regrett� Mohia en est le concepteur. Nous ne trouvons pas souvent dans la pratique th��trale les langues utilis�es dans l�espace social. Seul l�arabe dialectal et � un degr� moindre le kabyle qui a fait une remarquable incursion, idiomes choisis pour faciliter la communication directe avec le public, sont le plus souvent employ�s dans les pi�ces alg�riennes. - L'arabe dialectal : cette langue est utilis�e dans la grande partie des textes dramatiques depuis les ann�es 1920. Le r�pertoire du th��tre en Alg�rie se caract�rise par l'emploi de plusieurs vari�t�s r�gionales. Le discours du paysan, souvent truff� de dictons populaires, de p�riphrases et de proverbes, est tout � fait diff�rent du langage du technicien et du syndicaliste qui emploient une langue � cheval entre le classique et le dialectal. Dans certaines pi�ces, la qu�te de l�homologie �langue de tous les jours/langue du th��tre� constitue un �l�ment essentiel de la th��tralit�. Certains auteurs emploient un condens� de l'arabe litt�raire et du dialectal, conservant souvent les structures syntaxiques de la langue classique. Les textes de Alloula, Kaki, D�himi et bien d'autres int�grent parfois une langue po�tique quelque peu travaill�e et d�pouill�e. Le travail sur la langue reste d�termin� par les effets et les scories de la diglossie et de l�exp�rience �r�aliste�. - L'arabe classique : tr�s peu utilis� dans le th��tre en Alg�rie. Les premi�res pi�ces furent �crites en arabe classique. Le choix de l�arabe dialectal n�a pas emp�ch� la r�alisation ponctuelle de pi�ces en langue litt�raire. D�ailleurs, des auteurs comme Bachetarzi, Allalou et Ksentini faisaient parler les personnages marqu�s socialement (�lite de langue arabe ou hommes de religion) dans un arabe tr�s proche du classique. Quelques pi�ces furent mont�es en arabe litt�raire. Mohamed La�d El Khalifa ou Tewfik el Madani, pour ne citer que ces deux auteurs, r�dig�rent des textes, certes manquant souvent de force dramaturgique, pour la sc�ne. R�dha Houhou proposa �galement quelques pi�ces. La plupart des textes �crits en arabe litt�raire n'ont pas �t� mis en sc�ne. Le probl�me essentiel reste la pauvret� de la construction dramaturgique de ces pi�ces beaucoup plus proches de la litt�rature que du th��tre. Abderrahmane Madoui, Aboul' Id Doudou et Abdellah R�kibi firent quelques tentatives plus ou moins heureuses. Trop peu de pi�ces ont �t� mont�es apr�s l'ind�pendance. Mustapha Kateb a mis en sc�ne Le cadavre encercl� et L'homme aux sandales de caoutchoucen arabe litt�raire. - Le fran�ais : quelques pi�ces ont �t� jou�es en fran�ais durant les premi�res ann�es de l'ind�pendance. Actuellement, jouer un texte en fran�ais ne drainerait pas la grande foule. Certains autres auteurs comme Mohamed Kacimi, Slimane Bena�ssa, Fatima Gallaire, Mehdi Charef, Arezki Metref et Aziz Chouaki et de nombreux autres auteurs font jouer leurs textes en fran�ais, en France. Mais la langue fran�aise intervient dans la grande partie des pi�ces alg�riennes. Des mots, des phrases pars�ment les repr�sentations. Ce sont surtout les personnages f�minins qui s�expriment le plus souvent en fran�ais. Il est consid�r� comme un espace d�acculturation et d�ali�nation. Le personnage s�exprimant en langue fran�aise est souvent marqu� d�une charge n�gative. Ce ph�nom�ne s�expliquerait par des contingences sociologiques et historiques. La longue pr�sence coloniale en Alg�rie a impos� l�usage du fran�ais dans de nombreuses situations de parole, surtout en milieu urbain. - Le tamazight : cette langue - ou plut�t, le kabyle, une de ses variantes - apparaissait dans quelques pi�ces sous forme de chansons ou de phrases entrecoupant des �nonc�s discursifs en arabe dialectal. Chez Kateb Yacine, le proc�d� est courant. Aujourd�hui, de nombreuses pi�ces sont jou�es directement en kabyle, surtout depuis 1980. Les dramaturges insistent sur le fait qu'on ne peut dialoguer avec le large public qu'en parlant sa langue. Pour Kateb Yacine comme d'ailleurs pour Abdelkader Alloula, Ould Abderrahmane Kaki, Slimane B�na�ssa et Omar Fetmouche, le choix linguistique ob�it naturellement au discours d�velopp� dans les pi�ces. Dans La Guerre de 2000 ans, Palestine trahieou Le Roi de l�Ouest, l�arabe populaire prend une autre dimension. La structure syntaxique normative ou conventionnelle est souvent subvertie, violent�e. Ce n�est nullement l�arabe de la rue qu�on retrouve dans les pi�ces de Kateb, mais une nouvelle langue ob�issant � la structure du travail dramatique. Les jeux de mots, les m�taphores, les oxymores et diff�rentes images po�tiques investissent la repr�sentation. La langue devient le lieu d�articulation de tous les �l�ments du langage th��tral. Abdelkader Alloula (surtout dans ses derni�res productions) entreprenait un extraordinaire travail sur la langue, sa rythmique, sa prosodie, ses images et sa syntaxe. Simple, sans fioritures, rappelant parfois la parole des po�tes populaires, la langue de Alloula, condens�e et synth�tis�e, donne � voir un univers extr�mement ouvert remplissant ainsi les �trous� de la repr�sentation et �vitant les redites, les clich�s et les st�r�otypes. Alloula nous parlait ainsi de son exp�rience : �Je fais un travail sur le langage. Dans le discours th��tral, plusieurs �l�ments entrent en jeu. Ceux-ci ob�issent � un agencement r�alis� par un collectif. Mon travail sur la phrase est le r�sultat de l��coute attentive de la formulation linguistique d�une situation donn�e. J�interviens dans la musicalit� et le rythme du mot. Je fais un travail d�artisan. N�ruda que j�admire beaucoup parle, � ce propos, de mots qu�il cisaille, qu�il perce. Je ne suis pas du tout un sp�cialiste de la linguistique et je n�ai pas l�intention de le devenir. Je choisis des mots qui peuvent avoir un impact dans la m�moire et l��coute du spectateur. Le verbe est consid�r� comme un �l�ment-cl�. Ce travail sur le mot ne s�arr�te jamais. Nous tentons de nous rapprocher le plus possible des signes culturels du patrimoine. Lorsqu�on pr�te une oreille profonde aux parlers populaires, on se rend compte de l�existence de m�taphores et d�images riches, extr�mement riches.� Slimane Bena�ssa articule son travail sur et autour de la parole, une parole souveraine rythmant et structurant le r�cit. C�est � travers le jeu linguistique que se construisent les espaces et que s�articulent les diff�rentes p�rip�ties temporelles. Slimane Bena�ssa nous disait : �Il est compl�tement absurde d�isoler la langue parce qu�au th��tre, il y a d�abord le personnage impliqu� dans une situation qui d�termine obligatoirement une fa�on de parler pr�cise. Le travail sur la langue est l�expression de l�harmonie entre le personnage et son discours. Quand j��cris une pi�ce, la langue subit une entorse parce qu�on l�investit de formes grammaticales qui ne lui sont pas naturelles. On se r�f�re au rythme. Ceci est tr�s int�ressant dans la mesure o� il nous permet de donner � l�acteur une grande aisance � dire son texte.� Chez Alloula et Bena�ssa, la parole po�tique traverse la repr�sentation. Les assonances et les allit�rations, les expressions imag�es et une forme versifi�e investissent le discours th��tral. Les conflits linguistiques, apparents dans la soci�t� alg�rienne, s�affirment avec force dans la repr�sentation th��trale. Des auteurs comme Kateb Yacine, Slimane Bena�ssa, Abdelkader Alloula, Ould Abderrahmane Kaki, Tayeb D�himi, Omar Fetmouche, Ahmed Rezag, etc. arrivent � mettre en situation les langues en pr�sence dans le pays et � leur donner un statut dramatique, c�est-�dire d�pendant des autres �l�ments du langage th��tral.
A. C.

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