Chronique du jour : DECODAGES
Relancer l'industrialisation du pays : nous faisons fausse route !


Par Abdelmadjid Bouzidi
abdelmadjidbouzidi@yahoo.fr
L�unanimit� est faite : l�industrie alg�rienne se d�lite alors m�me que l�industrialisation du pays �tait le choix strat�gique fait dans les ann�es 60. Si rien n�est entrepris d�s l�ann�e 2011, l�Alg�rie n�aura plus d�industrie d�ici dix ans. La situation �conomique sera d�autant plus dramatique que nous savons que l�Alg�rie n�est pas un pays agricole (faible superficie agricole, pluviom�trie insuffisante�).
Probl�me : renouer avec notre ambition industrielle : oui mais comment ? La reprise de l'industrialisation du pays telle qu�annonc�e par le gouvernement (rappel�e par la d�claration de politique g�n�rale du Premier ministre) ne m�nera nulle part. Ou bien si, elle nous m�nera dans le mur. Ce n�est certainement pas en faisant revivre un �mod�le� industriel d�class� par les �volutions tr�s rapides qu�a connues l��conomie mondiale que l�on va pouvoir engager avec succ�s le pays dans la bataille de la mondialisation. Nous essayons ici d�expliquer pourquoi.
La crise de l�industrie alg�rienne
En nous en tenant strictement aux donn�es chiffr�es officielles, nous pouvons voir combien l�industrie alg�rienne est en perdition alors m�me que l�enjeu industriel est pour notre pays vital. Renouer avec notre ambition industrielle n�est plus un choix. C�est un imp�ratif. Mais il ne suffit pas de le proclamer. Comment relancer l�industrialisation du pays ? Quelle strat�gie industrielle adopter aujourd�hui ? Quels devront �tre les principaux acteurs ? Ce dossier ouvert par l�ancien ministre de l�Industrie a lamentablement avort�, et ce qui est envisag� aujourd�hui par le gouvernement marque incontestablement une r�gression dans l�analyse de la question industrielle. Cette question cruciale ne peut �tre abord�e correctement si on n�a pas admis certains r�sultats des travaux d��conomistes et d�experts qui r�fl�chissent sur les pratiques industrielles. Parmi ces r�sultats, ceux ayant trait au processus, en cours actuellement, de mondialisation de l��conomie.
L��conomie s�est mondialis�e
Tr�s rapidement, la mondialisation de l��conomie a rev�tu trois formes historiques :
1/ La sp�cialisation : les nations se sp�cialisent dans les productions o� elles sont le plus avantag�es : le commerce international s�effectue sur la base des avantages comparatifs. On date cette phase sur la p�riode 1860- 1940.
2/ La multinationalisation : le d�veloppement du protectionnisme �conomique a entra�n� les grandes entreprises � se multi-nationaliser pour contourner les barri�res tarifaires et non-tarifaires �rig�es par les nations : les grandes entreprises vont produire sur le site m�me o� se trouvent le march� et la demande. C�est la naissance et le d�veloppement des firmes multinationales (1950- 1980).
3/ L�int�gration : � partir des ann�es 1980, naissance de la firme globale. Nous avons affaire � l��entreprise sans usine� : la grande entreprise �clate son process de production en diff�rents endroits, par la sous-traitance, �l�outsourcing� (l�externalisation) : tout est fait �ailleurs� sauf le marketing (l�image), mais y compris, et de plus en plus, la recherche - d�veloppement - La fabrication de produits de haute technologie, les activit�s manufacturi�res et de services sont r�alis�es par des partenaires � l��tranger. M�me les universit�s d�excellence et la recherche d�veloppement sont d�localis�es (rentabilit� plus grande, co�ts plus faibles). Mais les firmes internationales externalisent leurs activit�s dans les pays qui ont les capacit�s de les accueillir. Elles ne cherchent plus � contr�ler la gestion des partenaires �trangers par des prises de participation majoritaires dans leur capital. A la place, elles s�installent ou bien passent des contrats avec les entreprises locales lorsque celles-ci sont performantes. Les firmes internationales deviennent des firmes r�seaux. Pour les pays du Sud, cette mondialisation impose des restructurations industrielles. Pour ne pas �tre laiss� au bord de la route, il faut renoncer � certaines activit�s et en d�velopper de nouvelles plus performantes, plus novatrices, mais concurrenc�es. L�avantage comp�titif ne repose plus sur l�avantage comparatif et les politiques industrielles et technologiques nationales d�inspiration colbertiste qui constituaient la pratique habituelle des gouvernements sont remises en cause.
La politique industrielle nationale devient une politique d�attractivit� qui doit r�pondre � la question de savoir comment faire pour attirer les firmes �trang�res sur le territoire national, soit en tant que productrices, soit en tant que donneuses d�ordre. Bien �videmment, attirer les entreprises �trang�res sur le territoire ne signifie pas se d�sint�resser et d�laisser les entreprises locales. Attirer les firmes �trang�res c�est, au contraire, les int�resser par des partenariats de production, de services, de recherche-d�veloppement avec les entreprises locales. Attirer les firmes �trang�res, c�est leur offrir des capacit�s nationales de sous-traitance, d�outsourcing. D�autre part, la sp�cialisation des �conomies �mergentes ne se fait plus ex-ante (� l�avance) en fonction de leurs dotations en facteurs (capital, travail et ressources naturelles), mais ex-post en fonction des choix de localisation que font les firmes internationales. Les Sud-Cor�ens et les Japonais d�cident de s�installer en Alg�rie et notre pays devient �sp�cialis� en industrie �lectronique alors qu�au d�part, il n�y avait l� aucun avantage comparatif. Ainsi, les avantages comp�titifs se construisent par l�attractivit�. La politique industrielle devient aussi une politique d�attractivit� et ce sont les ph�nom�nes nouveaux de globalisation des firmes, de g�n�ralisation du mod�le d�organisation en r�seaux, les d�marches d�externalisation qui imposent ce nouveau paradigme de d�veloppement industriel. Les mod�les d'industrialisation par substitution d�importations et d�industries industrialisantes laissent de plus en plus nettement la place aux mod�les �d�exportations- promotion�, c�est-�-dire les d�marches qui permettent aux entreprises des pays du Sud et avec elles, � toute l��conomie, d�occuper des segments des cha�nes de valeur internationales mises en place par des firmes internationales et des firmes globales. C�est ainsi que l�on peut comprendre les politiques industrielles actuelles du Maroc et de la Tunisie, par exemple, qui occupent aujourd�hui, pour l�un des segments d��quipementiers pour les grands avionneurs mondiaux (Airbus, Boeing) et pour l�autre, pour les grands constructeurs automobiles. Dans l�un et l�autre pays, le processus est, bien s�r, � ses d�buts. De m�me, l�Inde a fait de sa ville de Bangalore, le p�le d�excellence mondial de formation dans la haute technologie, notamment informatique. C�est le professeur Charles Albert Ouichalet qui rappelle : �De nouvelles opportunit�s pour le d�veloppement industriel du Sud sont offertes par les nouvelles modalit�s de globalisation. La segmentation de la cha�ne de valeurs ajout�es par les op�rations d�externalisation risque de se montrer plus efficace que les plans de d�veloppement� lanc�s autrefois en grande pompe par les autorit�s �tatiques du Sud.� Ainsi, il appartient aujourd�hui � l�Etat de construire les conditions n�cessaires pour l�accueil des investisseurs, qu�ils soient �trangers ou nationaux. Une politique audacieuse d�infrastructures de transport et de t�l�communications permettant de relier efficacement l��conomie nationale au reste du monde ; une l�gislation immobili�re assouplie ; un syst�me de formation solide et adapt� o� l�Etat donne � l��cole, � l�universit�, � la recherche les moyens n�cessaires � la formation d�une main-d��uvre qualifi�e, capable d�utiliser, voire de perfectionner les technologies les plus sophistiqu�es, une administration au service des entreprises (bref, tous les ingr�dients que nous n�avons pas en Alg�rie !). Tous ces �l�ments constituent autant de facteurs d�attractivit� qui vont faciliter l�implantation sur le sol national des champions internationaux. On voit bien que penser une strat�gie de relance industrielle ne peut plus se faire en autarcie, c�est-�-dire en ignorant ce qui se passe dans le monde, comment l�industrie est en train de se reconfigurer, comment ce sont les firmes internationales et les fonds d�investissements, et non plus les Etats, qui sont les acteurs directs. Alors, penser faire revivre une nouvelle fois nos anciennes soci�t�s nationales dans la m�me conception de l'industrialisation des ann�es 70, c�est assur�ment faire fausse route.
A. B.

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