Contribution : Une Alg�rie la�que et prosp�re
Par Hakim Arabdiou
Pour la premi�re fois dans l�Alg�rie ind�pendante, une formation
politique, le Parti pour la la�cit� et la d�mocratie (PLD), a rendu
publique cet �t� une charte relative � la n�cessaire instauration de la
la�cit� en Alg�rie. Une charte qui vient � point nomm�, tant m�connaissance et confusion
de cet ordre institutionnel ou juridique sont grandes, m�me en France,
pourtant berceau de la la�cit�. En effet, beaucoup croient conna�tre
cette forme moderne d�organisation de l�Etat, en r�p�tant le plus
souvent et abstraitement la d�finition de la la�cit�, � savoir la
s�paration entre les �glises et l�Etat, sans pour autant que les
int�ress�s et leurs interlocuteurs sachent pr�cis�ment et concr�tement
de quoi il s�agit. Ce d�ficit en la mati�re est pain b�nit pour les
islamistes, tant en Alg�rie et dans les autres pays musulmans, o� leur
propagande assimile mensong�rement la la�cit� � l�anti-religion ; qu�en
Europe et en Am�rique du Nord, o� ils la d�finissent faussement, et au
mieux, par la seule libert� religieuse non seulement dans la sph�re
priv�e, ce qui est parfaitement conforme � la la�cit�, mais aussi dans
la sph�re publique, ce qui constitue la n�gation pure et simple de la
la�cit�. Ces d�finitions tronqu�es permettent aux islamistes dans leur
diversit�, droite conservatrice, extr�me droite et fascistes, d�avancer
frauduleusement leurs revendications, au nom de l��islam�, et en
d�tournant � leur profit le droit l�gitime des musulmans d�exercer leur
culte, notamment dans l��migration.
Clarification de quelques notions relatives � la la�cit�
La charte en question aurait cependant gagn� � clarifier �galement
les quelques notions suivantes, somme toute subsidiaires, en regard de
la richesse de ce document. Le �E� majuscule du mot Eglises, figurant
dans la d�finition de la la�cit�, a trait aux religions, et non aux
lieux de culte , synagogues, �glises, temples ou mosqu�es. Il en est de
m�me pour le pluriel de ce mot, qui renvoie � l�interdiction de
l�ensemble des confessions dans la sph�re publique, et non uniquement au
christianisme. C�est aussi pour des raisons historiques que la
d�finition de la la�cit� s��tait vue formul�e par r�f�rence aux seules
religions, alors qu�elle concerne aussi dans la sph�re publique les
autres particularismes : ethniques, nationaux, sexuels, ainsi que
l�ath�isme, l�agnosticisme, les opinions politiques partisanes, etc. Car
c�est la religion chr�tienne, instrumentalis�e par les int�r�ts de
classes au pouvoir, qui avait constitu� l�un des obstacles
politico-religieux majeurs � l��volution des m�urs et des lois dans les
soci�t�s et les �tats occidentaux. Il est deux autres confusions
s�mantique et graphique fr�quentes, m�me chez des personnes au fait de
la la�cit�. Il s�agit des mots �la�c� et �la�que� qui sont loin d��tre
synonymes. Et pour cause ! Le mot �la�c� d�signe les catholiques, qui
exercent au sein des �glises, sans toutefois appartenir au clerg�. Ils
ne jouissent de ce fait d�aucun grade dans la hi�rarchie eccl�siastique
catholique ou clerg�. C�est donc tout le contraire de clerc, qui
d�signe, lui, un membre du clerg� : diacre, pr�tre, vicaire, �v�que,
archev�que, cardinal et pape. Quant au mot �la�que�, terme neutre du
point de vue grammatical (on �crit un �tat la�que ; une �cole la�que),
il d�signe les partisans de la s�paration des �glises et de l��tat.
La diff�rence entre la�cit� et s�cularisation
Enfin, la la�cit� est souvent confondue avec la s�cularisation. Si
la la�cit� bannit tous les particularismes, c�est uniquement de la
sph�re publique, au profit des lois civiles et communes � tous les
citoyens. Autrement dit, elle s�cularise et modernise la sph�re
publique, qui est celle de l�Etat et des collectivit�s territoriales,
espaces naturels et exclusifs de la puissance publique. Parall�lement,
et sous r�serve de respect du principe de l�ordre public, elle reconna�t
et garantit la libre expression de ces m�mes particularismes et autres
dans la sph�re priv�e. Cette sph�re couvre tout ce qui est en dehors de
l�espace �tatique et de celui des collectivit�s territoriales. Ainsi, la
la�cit� garantit dans la sph�re priv�e autant la libert� de culte que
celle de blasph�mer. Cette derni�re est la libre critique des religions,
y compris l�islam, que ce soit leur caract�re m�taphysique ou leurs
dimensions misogyne et attentatoire aux droits de l�homme.
Historiquement, les cons�crations politique et juridique du droit de
blasph�mer a constitu� l�un des socles sur lequel se sont �rig�s les
droits de l�homme et l�Etat de droit. Pour ce qui est de la
s�cularisation ou d�confessionnalisation, il s�agit d�un long et lent
processus id�ologique, intellectuel et juridique d��mancipation des
consciences individuelles et collectives, du droit, ainsi que des
croyances et des pratiques sociales par rapport aux religions. Sa
finalit� est la disparition de ces derni�res des communaut�s humaines.
Compatibilit� entre islam et la�cit�
A l�exception des ignares, des racistes, ainsi que des islamistes et
de leurs �idiots utiles�, unis par leur commune impr�gnation des
conceptions europ�ocentriste et essentialiste de l�islam, et gr�ce aux
progr�s des sciences humaines et des sciences sociales, ainsi qu�en
mati�re de connaissance cumulative de l�islam et des soci�t�s
musulmanes, plus personne ne conteste que cette religion, ou plus
exactement son interpr�tation et son application, n�est pas moins ni pas
plus r�fractaire � la la�cit� et � la modernit� que le juda�sme et le
christianisme. Pendant des si�cles, le christianisme et son bras
s�culier, l�appareil d�Etat, avaient impos� leur pouvoir obscurantiste
et r�pressif sur les �tres et les consciences des peuples europ�ens, en
m�me temps qu�ils avaient plus tard farouchement combattu les
r�percussions sur leurs soci�t�s et leurs institutions politiques,
sociales, culturelles et scolaires des gigantesques et irr�versibles
bouleversements entra�n�s par la r�volution industrielle dans le Vieux
Continent ; r�volution initi�e par une nouvelle classe alors
r�volutionnaire, la bourgeoisie, et son �lite intellectuelle, les
philosophes des Lumi�res, qui n��taient pas tous ath�es, contrairement �
ce que l�on croit. L�interpr�tation anti-modernit� de l�islam, dont
l�islamisme repr�sente l�expression extr�me, s�explique avant tout par
la persistance des sous-d�veloppements socio�conomique et culturel des
pays musulmans. Comme elle s�explique par le fort d�ficit d�mocratique
de ces pays, notamment en mati�re de libert�s de conscience et
d�expression, dont le droit de critiquer l�islam, de croire, de ne pas
croire ou de changer de religion.
La la�cit� est un patrimoine universel
Il n�existe pas plus non plus de �la�cit� musulmane�, que de
�science islamique� et de �science prol�tarienne�, de triste m�moire. La
la�cit� consacre en fait l�autonomie de l�individu par rapport � la
communaut�. De m�me que sa vocation universelle s�inscrit dans le vaste
processus, entam� il y a quelque six si�cles, d��volution des soci�t�s
humaines et des �tats, avant tout europ�ens, vers la s�cularisation et
la modernit�, notamment politique ; cette derni�re devenant la norme
universelle d�organisation de la quasi-totalit� des �tats de la plan�te
: r�publique, parlementarisme, s�paration des pouvoirs, suffrage
universel, etc. En Occident, les islamistes ont n�anmoins r�ussi � duper
et � enr�ler � leur projet d�Etat th�ocratique et d�une soci�t�
in�galitaire ce que la fraction la�que et f�ministe de la gauche
r�publicaine en France a surnomm� les �idiots utiles� des islamistes :
universitaires, journalistes, militants et sympathisants politiques et
associatifs� C�est d�ailleurs dans ce vivier que se recrutent ais�ment
ces �petits soldats� de l�islamisme, et autres tenants du �Qui-tue-qui
?� en Alg�rie, en vue d�absoudre les islamo-terroristes des atrocit�s
innombrables que ceux-ci y ont commis. On peut citer quelques
universitaires et en France, uniquement : Fran�ois Burgat, Bruno
Etienne, Jean Baub�rot, C�cile Laborde� Leur vision europ�ocentriste de
l�islam et des musulmans les a rendus vuln�rables aux manipulations,
dont ils sont victimes de la part des int�gristes musulmans, qui leur
ont fait confondre islam et islamisme, musulmans et islamistes.
L�extr�me droite, pa�enne et chr�tienne, ainsi que les sionistes
d�extr�me droite font le m�me amalgame. Ce qui dans les deux cas attise
la musulmanophobie, qui est du racisme envers les adeptes de l�islam,
contrairement au terme �islamo- phobie�, terme invent� par les
th�ocrates iraniens pour disqualifier toute critique � leur encontre, et
qui signifie �tymologiquement, la libre et l�gitime critique de l�islam.
Il faut tout de m�me savoir que ces �idiots utiles� sont anti-la�ques
uniquement lorsqu�il s�agit de pr�ter main-forte aux islamistes en vue
d�emp�cher les migrants musulmans ou de cette origine de b�n�ficier des
bienfaits de la la�cit� et des processus d�int�gration dans leurs pays
d�accueil respectifs. L�objectif est de les transformer en masse de
man�uvre des islamistes. La chercheure C�cile Laborde, par exemple, n�a
pas manqu�, au cours de la conf�rence sur le rapport entre la�cit� et
islam qu�elle avait donn�e au printemps dernier � Alger, d�user sans
retenue, comme ses amis communautariens (terme d�signant les chercheurs
anti-la�cit�, et g�n�ralement pro-islamistes), de leurs expressions
habituelles visant � discr�diter la la�cit� et � insuffler plus de force
aux revendications des int�gristes musulmans ; expressions ne reposant
de surcro�t sur aucune validit� scientifique telles que �catho la�cit�,
�la�cit� stricte�, �la�cit� ouverte�, �la�cit� critique �, etc. Elle a
repris, et � son insu, l� aussi, le discours mystificateur des
islamistes, en employant syst�matiquement � tort les mots �islam� et
�musulmans� au lieu de celui d��islamisme� et d��islamistes �. Elle a
�galement repris � son compte, � l�instar de ses amis, un autre registre
du discours malhonn�te des islamistes instrumentalisant le racisme et
autres discriminations, dont sont parfois victimes en Occident les
citoyens musulmans ou de cette origine, et leur corollaire la mentalit�
victimaire que cela provoque chez certains, afin de jouer sur cette
corde sensible, et calomnier tout rejet de leurs revendications en les
qualifiant d��islamophobes �, de �racistes��
La la�cit�, c�est le passage d�un Etat pr�-moderne � un Etat moderne
En Alg�rie, la lutte des f�ministes pour la s�cularisation de toutes
les lois concernant les femmes et la r�action ces derni�res ann�es d�une
frange encore minoritaire de la soci�t� civile contre les atteintes � la
libert� de conscience, deuxi�me grand principe de la la�cit�, notamment
la r�pression polico-judiciaire de la libert� de culte de citoyens
chr�tiens alg�riens ou des d�jeuneurs pendant le Ramadan sont des signes
encourageants pour l�instauration de la la�cit� dans ce pays. Cette
derni�re ne doit toutefois pas �tre du seul ressort des quelques partis
la�ques alg�riens, des f�ministes et des rares associations de d�fense
des droits civiques, mais s��tendre au plus grand nombre possible de
formations politiques, d�associations, d�intellectuels et de citoyennes
et citoyens. Ces r�actions constitueront autant de jalons dans le combat
entre autres pour l�abolition des anachroniques article 2 de la
Constitution alg�rienne, stipulant que l�islam est religion d�Etat, et
article 144-bis 2 du code p�nal punissant de lourdes peines de r�clusion
et d�amendes une �quelconque offense au Proph�te� ou critique de
l�islam. Une chose est s�re : les luttes des la�ques alg�riens
convergeront de mani�re croissante, dans les quelques d�cennies � venir
seulement, avec la lame de fond de la s�cularisation et de la modernit�,
qui a commenc� grosso modo depuis la d�colonisation � toucher � son tour
et � des degr�s divers l�ensemble du monde musulman.
H. A.
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