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L��meute, cons�quence de mauvaises strat�gies


Par Brahim Taouchichet
Octobre 88 avait enfant� un paradoxe : pluralisme politique sur fond de revendication de la d�mocratie d�un c�t� et irruption bruyante de l�islamisme politique de l�autre. Janvier 2011 �tale dans toute son ampleur une g�n�ration de jeunes n�s justement entre ces deux dates. Le vacarme des saccages couvrira les motivations profondes de leur r�volte, appel�es � �tre interpr�t�es � d�faut de revendications clairement exprim�es.
L�onde de choc des �meutes juv�niles, si elle n�a pas encore r�v�l� tous ses secrets, n�en a pas moins un effet salvateur, dirions-nous, sur une opposition plong�e dans la l�thargie. Menac�e dans sa cr�dibilit� par une guerre d�usure que lui livre un pouvoir en mal d�affirmation de soi, elle se r�veille � une r�alit� qui donne l�impression de la d�passer. Se regardant en chiens de fa�ence, pouvoir et opposition ont fini par perdre de vue une soci�t� travers�es par des mouvements de fond, charriant les ingr�dients d�une explosion sociale auxquels il ne manquait que l��tincelle. La brusque et drastique augmentation des prix du sucre et de l�huile en sera le d�tonateur et jettera dans la rue des milliers de jeunes incontr�lables et surprendront pas ailleurs nombre d�observateurs. Fait nouveau, les �meutiers agiront � la tomb�e de la nuit pour braver les forces de police et profitent de l�obscurit� pour commettre vols, saccages des biens publics mais aussi priv�s, causant ainsi d�importants dommages �valu�s � plus d�un milliard de dinars, selon un bilan bien au-dessous des pertes r�elles dont le recensement est encore en cours. Les cibles des jeunes r�volt�s pr�sentent un caract�re symbolique en ce qu�elles concernent les �tablissements publics (�coles, centres de sant�), institutions administratives et financi�res (imp�ts, assurances, APC, da�ras).
Tous ces jeunes sont n�s durant la d�cennie noire, synonyme de peur, de destructions mat�rielles � grande �chelle, de banalisation de la mort et surtout d�impasse et d�absence d�espoir.
Rien de comparable donc avec les �v�nements d�Octobre 88 quand bien m�me la col�re populaire �tait � l� aussi � � son summum. Janvier 2011, soit 23 ans apr�s la contestation populaire port�e par une vague juv�nile, contient toujours les m�mes points de revendication en filigrane, paradoxalement dans un contexte �conomique et politique totalement chang�. En effet, au syst�me du parti unique a succ�d� le pluralisme politique et l�irruption sur la sc�ne publique de la soci�t� civile, �touff�e jusque-l�. C�est aussi le d�but de la mise en route du capitalisme appel� pudiquement �conomie de march�. Cens� dans son essence encourager les forces cr�atrices de richesses par l�ouverture et l�encouragement de l�initiative priv�e, c�est le �flop� apr�s quelques ann�es d�exp�rimentation. En fait de capitaines d�industrie, c�est l�affairisme triomphant qui s�impose de tout son poids. Il tuera dans l��uf les initiatives construites sur les valeurs originelles du capitalisme. Il mettra � profit de fa�on �hont�e et arrogante le �laisser-faire� voulu par l�Etat. Mauvaise strat�gie qui mettra au jour un capitalisme sauvage o� les plus faibles laisseront leurs r�ves et illusions de lendemains meilleurs tant la vie quotidienne se r�v�lera de plus en plus dure. Le retrait de l�Etat de la protection des citoyens va plonger dans le d�nuement les populations fragilis�es par le co�t de la vie et un pouvoir d�achat lamin� par l�inflation et pousser � la paup�risation les couches moyennes. La d�ferlante islamique fera le reste, c�est-�-dire l�instabilit� politique et la pr�carit� permanente. Et c�est dans de telles conditions que va �tre b�tie l��conomie nationale � deux facettes, l�une officielle et l�autre souterraine, ou si vous pr�f�rez informelle, qui va s�av�rer envahissante. Tapis dans l�ombre du syst�me, ses promoteurs se manifesteront souvent et dans biens des cas en influant sur le cours du march� de biens de large consommation dans le sens bien compris de leurs int�r�ts. C�est le r�gne du couple p�nurie � sp�culation sous le regard impuissant des pouvoirs publics et la grogne des consommateurs. Personne n�est dupe, l�augmentation des prix du sucre et de l�huile s�inscrit dans cette logique et n�est que bis repetita de l��pisode de la pomme de terre, des viandes rouges et� du ciment. L�Etat � fini par abdiquer devant les d�cideurs de l�ombre ! Il vient de r�p�ter, ce janvier 2011, sa pantalonnade en faisant marche arri�re concernant les transactions de plus de 500 000 DA qui devaient se faire par ch�que bancaire, virement ou autre proc�d�s l�gaux afin d�assurer la tra�abilit� des mouvements d�argent, l�assainissement des liquidit�s dans le march� et ainsi traquer le blanchiment d�argent. Mal lui en prit car le mal a d�j� pris et il est profond. L�Etat a laiss� faire durant trop longtemps et l�on s�interroge sur ses capacit�s r�elles � faire face, dans sa p�rennit�, aux nouveaux barons de l�informel. La tentation est grande de faire de Cevital un exutoire au probl�me des prix du sucre et de l�huile. La pol�mique minist�re du Commerce - groupe Rebrab est significative � cet �gard. Dans ce cas pr�cis, l�autorit� de l�Etat sera mise � rude �preuve. Objet de critique �tal�e sur la place publique quant au monopole sur ces deux denr�es, Issad Rebrab y laissera sans doute des plumes au plan politique, et M. Benbada, le ministre du Commerce, gagnera quant � l�institution qu�il repr�sente, un r�pit. Mais pour combien de temps ? Les �meutes ont impos� une baisse des prix, elles se posent d�sormais comme une �p�e de Domocl�s. Les pouvoirs publics savent tr�s bien que la situation demeure en permanence tr�s sensible et que le feu peut repartir au moindre vent de m�contentement.
Sauf, et c�est l� le fond du probl�me, que les barons de l�informel, appel�s en langage marxiste la bourgeoisie compradore, ou les affairistes de �l�import-import� dans l�acception de chez nous, ne font pas de la coh�rence de l�Etat de droit leur tasse de caf� !
Malgr� la casse, la rapine, ils savent qu�ils rentreront dans leurs frais facilement. C�est beaucoup d�argent et les enjeux sont �normes : 8 milliards de dollars que brasse le march� informel selon des �tudes. Ils tirent leurs forces de leurs alli�s de l��conomie de bazar qui �chappent aux lois et � tout contr�le. Des jeunes par milliers, les exclus de l��cole et d�autres moins jeunes vont coloniser les espaces publics dans toutes les agglom�rations urbaines. Ils poseront aussi des probl�mes de s�curit� (vols, agressions, etc.). Face au paysage d�anarchie qu�ils imposent, les pouvoirs publics r�agiront par des mesures d��radication des march�s improvis�s qui s�av�reront inappropri�es � d�faut d�alternative cr�dible. Les petits marchands rejet�s accumuleront ranc�urs et griefs. Situation dangereuse que les priver d�une source de revenu vital � maints �gards. Les places lib�r�es ne tarderont pas � �tre jonch�s de pneus et de troncs d�arbre en feu. Pr�visibles, s�exclameront les observateurs. Durant cinq jours, c�est la revanche des exclus. Si le commun des citoyens comprend la col�re des jeunes, ils ne partagent pas pour autant le vol et la casse. La promptitude des �meutiers � �se servir� � l�occasion nous rappelle au contexte sp�cifique de la soci�t� de consommation qui cr�e des frustr�s en ne profitant pas aux faibles revenus et aux sans emploi. Les cibles des casseurs parlent d�elles-m�mes : concessionnaires automobiles, �lectroniques. Nous n�avons pas observ� des contingents d��meutiers piller des magasins d�alimentation. Il est visible que l�Alg�rie de 2011 n�est pas celle d�Octobre 88, ni les g�n�rations qui ont men� la contestation sociale.
Mais il se trouve qu�il existe une continuit� dans la somme de revendications en rapport direct avec les conditions de vie d�centes, de libert�, d�espoirs dans un avenir qui donne de raisons d��tre.
On se croirait revenu presque � la case d�part ! Ce sont les m�mes grands chantiers laiss�s en friche. La timide avanc�e du pluralisme a c�d� la place � un paysage plomb� au plan de l�expression plurielle. Au plan social, le syst�me �conomique a fait de l�argent la r�f�rence et l�objectif sans qu�il soit pr�vu des garde-fous moraux qui pr�muniraient contre les mauvaises tentations. Oui, l�Etat par incomp�tence, laxisme, ferme les yeux sur de gros scandales de d�tournements � r�p�tition. Tant qu�� dire, il n�y a pas seulement les affaires Sonatrach et de l�autoroute Est-Ouest. Le syndrome de la corruption est l� dans toute son ampleur, offrant une image hideuse d�un pays livr� � des pr�dateurs de tout acabit qui agissent en toute qui�tude. Etat complice, directement ou pas, puisque ce sont ses commis qui sont cens�s le servir qui le d�pouillent, qu�ils soient ministres ou grands d�cideurs.
Malheureusement, il ne nous est pas encore donn� d�assister � des proc�s retentissants d�affaires de corruption et de d�tournement.
Dieu sait que les tribunaux croulent sous le poids de ce genre de d�lits. De report en report, le mal s�aggrave. Cela encourage, fait des �mules � quelque niveau que ce soit des institutions de l�Etat ou de soci�t�s nationales. La presse rapporte r�guli�rement des cas de diverses gravit�s. On ne s�en �meut plus, c�est devenu courant et donc banal ! Plut�t le vol que le travail ? Une soci�t� sans �thique ni morale ? Combien de temps attendront encore pour que l�Etat dans sa p�rennit� tranche la t�te � ces deux fl�aux, fr�res siamois, que sont les d�tournements de l�argent public des contribuables � c�est-�-dire vous et moi � et la corruption ? Mais apparemment, c�est � qui va manger l�autre� Les cons�quences de ce genre de pratiques sont n�fastes dans la mesure o� l�impunit� d�veloppe parfois les m�mes r�flexes chez certains qui ne croient plus � la n�cessit� de d�noncer la corruption mais veulent aussi en profiter !
La classe politique y compris l�opposition donne l�inqui�tante impression d��tre disqualifi�e quant � lutter contre ces fl�aux.
Bruits et chuchotements au sein de l�Alliance pr�sidentielle. Dans l�opinion publique, les affaires de ces principaux chefs font les choux gras. La crise au FLN fait ressortir les biens mal acquis, notamment par son premier responsable, selon ses contradicteurs. Ni Ahmed Ouyahia, Premier ministre, ni Aboudjerra Soltani n�ont en odeur de saintet� le simple citoyen. Le clou est enfonc� : �Il faut lutter contre les barons de l��conomie parall�le qui font subir des d�g�ts consid�rables � l��conomie nationale et au Tr�sor public.� (Belkhadem). Son alli� du RND, Sedik Chiheb, y va aussi de sa d�nonciation des entrepreneurs de �l�import-import�. Louisa Hanoune (Parti des travailleurs) et Sidi Sa�d (UGTA) pourfendent � l�unisson �les sp�culations � l�origine de l�augmentation des prix qui ont provoqu� les �meutes des jeunes�. Curieusement, personne n�avoue un fait indiscutable, celui d��tre pris de court. Dans leur qui�tude, les politiques re�oivent la r�volte des jeunes comme un coup de fouet. A d�faut d�anticiper, ils r�agissent un temps apr�s.
Selon un sch�ma d�analyse �cul�, certains annoncent la n�cessit� de �l�ouverture de canaux de dialogue� avec les jeunes. Du d�j� entendu.
Bien s�r, chacun pourra arguer de la fermeture du champ d�expression, le travail de sape du pouvoir qui fait tout pour r�duire l�influence de l�opposition, susceptible d��tre un contre-pouvoir cr�dible et donc une alternative � l��quipe dirigeante et a fortiori au syst�me en place. Hormis certaines individualit�s qui s�adonnent � une sorte de gu�rilla � l�int�rieur de l�Assembl�e populaire nationale (APN) qui ne changera guerre la donne, les vell�it�s de beaucoup de repr�sentants de partis se sont �mouss�es du fait d�avantages �g�n�reusement � octroy�s par le pouvoir (salaire de d�put�). Force est de noter que la plupart des forces de l�opposition sont acquises au pouvoir par le truchement de plusieurs formes de corruption sous forme d�avantages. Quant � la soci�t� civile, ses divisions, la course au leadership l�ont depuis longtemps infantilis�e. Ceux qui ne sont pas structur�s dans des associations n�essuient qu�indiff�rence et m�pris ! Ainsi, la proposition du RCD de Sa�d Sadi d�ouvrir un d�bat � l�APN est per�ue avec agacement par les uns quand elle ne re�oit pas un refus cat�gorique (FLN, RND).
Les �lus de l�Alliance pr�sidentielle, une fois le choc pass�, peuvent revenir � leurs affaires. Que vive le statu quo !
En dehors de toutes structures partisanes, le Dr Ahmed Benbitour, ex-Premier ministre qui n�a jamais dig�r� son �viction du gouvernement, continue par m�dias interpos�s � pourfendre le pouvoir qu�il accuse de tous les maux. �La nation est en danger et le pays est � la d�rive�, dit-il dans un appel �pour le rassemblement des forces du changement�. Rejoignant en cela Touati, pr�sident du FNA (Front national alg�rien), il r�clame la mise � la retraite de tout le personnel politique en charge des affaires de l�Etat. Chevalier solitaire, Benbitour ne draine cependant pas foule derri�re lui. Toutefois, il pourrait faire jonction avec le RCD qui �voque la n�cessit� d�une plate-forme structurante des forces sociales du changement. Par le pass� aussi, sous l�impulsion du RCD, une telle initiative �tait entreprise. Elle �choua tr�s vite du fait des luttes de leadership. Qu�en sera-t-il aujourd�hui ? Auront-ils plus � gagner qu�� perdre maintenant que le pouvoir est bien plus difficile � �branler ? Entre vouloir et pouvoir, il est bien long et sem� d�emb�ches le chemin ! Face � une opposition chloroform�e et fragilis�e par sa perte de combativit�, le pouvoir en place roule sur du velours. Ce n�est pas le vacarme des �meutes juv�niles qui emp�cheront ses tenants de dormir sur leurs deux oreilles ! Il a pour lui cette fantastique manne financi�re provenant de la vente du gaz et du p�trole qui lui permet d�acheter la paix sociale. Face � la mont�e des revendications, il peut l�cher du lest (financier) au besoin, comme c�est le cas pour le sucre et l�huile. Les �v�nements de Tunisie, en particulier la fuite de son pr�sident, joueront un effet �pouvantail sur les dirigeants.
La population aura tout � gagner des changements survenus chez nos voisins, m�me si l�on s�interroge encore sur cette �r�volution du jasmin� trop rapide et trop bien men�e�

Ce qui est s�r, en tout cas, c�est que les Alg�riens auront droit � plus de dividendes. Cela ne g�nera pas outre mesure le pouvoir d�essence populiste. Le cas est diff�rent en Tunisie, qui ne dispose pas de ressources cons�quentes et o� la bourgeoisie, classe dominante et dirigeante, va se repositionner dans le nouveau sch�ma politique, quitte � c�der plus d�espaces aux couches moyennes qui montent en puissance ces derni�res ann�es. Les �meutes juv�niles de janvier 2011, une nouvelle opportunit� pour la soci�t� civile, les partis politiques d�opposition � s�en saisir pour une recomposition du champ politique, pour le changement ? Voire�
B. T.
taouchichetbrahim@yahoo.fr

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