Actualit�s : L��TAT D�URGENCE
Contenu, instauration, reconduction et abrogation


Par Zineddine Sekfali, ancien ministre
L��tat d�urgence doit, pour pouvoir �tre instaur� ou reconduit, r�pondre � des conditions de fond et de forme ; celles-ci sont �dict�es, nous le montrerons ci-apr�s, par la Constitution. Une fois proclam�, l��tat d�urgence permet au ministre de l�Int�rieur, d�une part, et aux walis, d�autre part, de prendre, exceptionnellement, un certain nombre de mesures restreignant les libert�s publiques. Ces mesures sont nombreuses et n�ont pas toutes le m�me degr� de gravit�.
L��tat d�urgence autorise aussi, sur d�l�gation du ministre de l�Int�rieur, l�intervention de l�arm�e aux op�rations de maintien de l�ordre ; pour autant, l�autorit� militaire ne se substitue pas � l�autorit� civile et il n�y a pas de gouvernement militaire : c�est en cela pr�cis�ment que l��tat d�urgence diff�re de l��tat de si�ge, qui conf�re aux autorit�s militaires des pouvoirs autrement plus grands. Enfin, l��tat d�urgence autorise l�extension de la comp�tence d�attribution des tribunaux militaires, aux infractions qui, en temps de paix ou en temps normal, sont exclusivement de la comp�tence des tribunaux de l�ordre judiciaire ; n�anmoins, cette extension de comp�tence n�est pas automatique : elle doit �tre express�ment pr�vue par un texte l�gislatif, car la comp�tence des juridictions militaires est d�finie par le code de justice militaire qui est lui-m�me une loi et l�on ne saurait y d�roger qu�en vertu d�une loi. Les textes de base sont les articles 91 et 92 de la Constitution actuellement en vigueur, en l�occurrence celle du 8 d�cembre 1996. Il nous faut aussi mentionner l�article 86 de la Constitution du 23 f�vrier 1989, et ce pour deux raisons. La premi�re, c�est pour souligner les ressemblances et faire ressortir les diff�rences qui existent entre les dispositions relatives � l��tat d�urgence contenues dans ces deux constitutions ; la seconde est que le d�cret pr�sidentiel du 9 f�vrier 1992 portant instauration de l��tat d�urgence a �t� pris sur la base de la Constitution du 23 f�vrier 1989. Pour les constituants de 1996 comme ceux de 1989, il faut qu�il y ait �n�cessit� imp�rieuse�, pour que l��tat d�urgence soit instaur�. Cela signifie que le pays ou certaines parties du pays connaissent des d�sordres graves et d�une ampleur telle qu�il faut, pour les contenir et y mettre fin, que des mesures drastiques soient imm�diatement prises. Notons par ailleurs que l��tat d�urgence est parfois instaur� dans certains pays, en cas de survenance d�une importante calamit� naturelle, comme par exemple un grave cataclysme. L�objet ou la raison d��tre de l�instauration de l��tat d�urgence est de �restaurer l�ordre public, mieux assurer la s�curit� des personnes et des biens ainsi que le bon fonctionnement des services publics�, pour reprendre les termes m�mes de l�article 2 du d�cret du 9 f�vrier 1992 ; l��tat d�urgence ne saurait en aucune mani�re �tre le moyen de r�primer, pour des motifs politiques, �conomiques ou sociaux, la population ou une cat�gorie de personnes d�termin�es. L�instauration de l��tat d�urgence est faite par un d�cret pris par le pr�sident de la R�publique, apr�s consultation du Haut- Conseil de s�curit� (institu� par l�article 162 de la Constitution de 1989 et l�article 172 de la Constitution de 1996), du pr�sident de l�APN, du pr�sident du Conseil national (Constitution de 1996), du chef du gouvernement devenu Premier ministre apr�s la r�vision constitutionnelle de 2008, et du pr�sident du Conseil constitutionnel. Le d�cret doit indiquer la dur�e pour laquelle l��tat d�urgence est instaur�. S�il appara�t que l��tat d�urgence n�a plus de raison d��tre, cette dur�e peut �tre r�duite : qui peut le plus, peut le moins. La reconduction de l��tat d�urgence ne peut, quant � elle, �tre faite sans l�approbation de l�APN (Constitution de 1989) et depuis 1996, avec en outre celle du Conseil de la nation, ces deux assembl�es devant si�ger en chambres r�unies. Rappelons qu�il n�a �t� reconduit, si je ne m�abuse, dans les formes pr�vues par la Constitution qu�une seule fois, en 1993, sous l�empire de la Constitution de 1989 ; il ne l�a jamais �t� sous la Constitution de 1996� D�o� la question : l��tat d�urgence n�est-il pas devenu caduc depuis fin 1994 d�but 1995 ? Et dans l�affirmative, est-il vraiment indispensable de prendre un d�cret pour abroger le d�cret du 9 f�vrier 1992 et/ou le d�cret de reconduction, devenus tous les deux par hypoth�se caducs ? Les mesures que la proclamation de l��tat d�urgence permet de prendre peuvent �tre class�es selon leur gravit�, de la mani�re ci-apr�s.
1- La r�tention dans des centres de s�curit�. Ces mots s�lectionn�s avec un soin particulier par les r�dacteurs du d�cret du 9 f�vrier 1992 signifient : arrestation et mise en d�tention dans des camps construits en toile ou en dur, pour une p�riode d�termin�e.
2- L�assignation � r�sidence. Cette mesure prend g�n�ralement deux formes : on peut �tre assign� soit dans une autre localit� que celle o� l�int�ress� r�side habituellement, ou dans son propre domicile avec interdiction d�en sortir� La mesure est g�n�ralement accompagn�e de l�obligation pour la personne concern�e d�aller p�riodiquement �pointer� au commissariat de police.
3- L�interdiction de s�jour. Elle consiste dans l�interdiction faite � une personne de para�tre dans certains lieux ou localit�s.
4- L�obligation faite aux �trangers de s�journer dans certaines zones dites de s�jour r�glement�.
5- Les perquisitions de jour comme de nuit. Il s�ensuit, me semble-t-il, la possibilit� pour la police d�entrer chez les gens, en dehors des heures l�gales.
6- Suspension ou dissolution des assembl�es locales et de leurs ex�cutifs.
Je classe le recours aux forces arm�es et le renvoi devant les tribunaux militaires dans les mesures �hors cat�gorie�, car elles sont �videmment tr�s particuli�res ; quand on les d�cide c�est qu�on est pr�t � passer au stade de l��tat de si�ge� Notons que dans certains pays, les textes sur l��tat d�urgence pr�voient d�autres mesures comme le contr�le de la presse �crite, autrement dit la censure, ou la limitation de la vente de produits inflammables comme l�essence, ou la d�tention des armes de chasse, par exemple. Toutes les autres mesures du d�cret du 09/02/1992, quoique certainement restrictives des libert�s, sont � mon avis de moindre gravit� ; il s�agit de : la r�quisition des travailleurs, de l�interdiction de manifester, des limitations et interdictions de circuler, de la r�glementation de la circulation et distribution des denr�es alimentaires ou de biens de premi�re n�cessit�, de la fermeture des salles de spectacle, des d�bits de boissons et autres lieux de r�union. Mais toutes ces mesures, parce qu�elles sont contraires � des dispositions l�gislatives, ont besoin pour pouvoir �tre prises par les autorit�s administratives en charge de la mise en �uvre de l��tat d�urgence d��tre express�ment pr�vues par un texte l�gislatif, c�est-�-dire soit une loi vot�e par le Parlement, soit une ordonnance du pr�sident de la R�publique. C�est donc � juste titre que la Constitution de 1996, � la diff�rence de celle de 1989, �dicte dans son article 92 : �L�organisation de l��tat d�urgence et de l��tat de si�ge est fix�e par une loi organique�, c�est-�-dire par une loi adopt�e � la majorit� absolue des d�put�s et � celle des 3/4 des s�nateurs. En conclusion, s�il appara�t douteux qu�il faille prendre un d�cret pour annuler un autre d�cret qui est devenu caduc parce que sa date de validit� a expir�, par contre il faut, sans plus tarder, prendre une loi organique fixant les mesures que le gouvernement et les walis sont autoris�s � prendre, lorsque le pr�sident de la R�publique d�cide d�instaurer l��tat d�urgence. C�est l� une exigence de l�Etat de droit.
Z. S.

Nombre de lectures :

Format imprimable  Format imprimable

  Options

Format imprimable  Format imprimable