Chronique du jour : A FONDS PERDUES
Fuites de capitaux


Par Ammar Belhimer
ambelhimer@hotmail.com
Les fuites massives de capitaux des pays du Sud vers ceux du Nord occultent un ph�nom�ne structurel de nos �conomies et de nos pouvoirs : leur caract�re extraverti, pour les premi�res, et compradore, pour les seconds. Un processus centrifuge de flux de capitaux n�arr�te pas de nous appauvrir. Si l�on en croit Global Financial Integrity(*), un think tank am�ricain qui r�unit magistrats et avocats ayant pignon sur rue, comme la juge Eva Joly, les flux financiers illicites sortant d'Afrique ont repr�sent� au moins 29 milliards de dollars par an entre 1970 et 2008 (hors inflation), tandis que l'aide ext�rieure � l'ensemble du continent ne se montait qu'� 18 milliards.
Plus r�cemment, cette tendance tirait � la hausse. Compte tenu de la forte croissance �conomique des ann�es 2001-2008 (5% � 7% par an), tir�e par la hausse des mati�res premi�res, l�h�morragie a pris des proportions in�dites : l'Afrique aurait perdu pr�s de 54 milliards de dollars par an en moyenne durant cette p�riode, et m�me 90 milliards en 2007 et 2008. Cumul�s depuis 2011, les montants des transferts illicites repr�sentent deux fois la dette ext�rieure du continent. Les champions de l��vasion se recrutent au Nigeria, en Angola, en Afrique du Sud, en �gypte et en Tunisie, pays o� elle d�passe les 100 dollars par habitant et par an en moyenne. Ces agr�gats sont tir�s des chiffres transmis au Fonds mon�taire international et � la Banque mondiale par les pays en d�veloppement � propos de leur balance des paiements et de leur commerce ext�rieur de marchandises. Ils ne rendraient que partiellement compte de la gravit� du ph�nom�ne et sont loin de r�v�ler le volume r�el de la fraude principalement destin�e aux paradis fiscaux, et aliment�e tant par les entreprises locales que par les multinationales. Pour Global Financial Integrity, il faudrait probablement multiplier ces chiffres par deux pour approcher la v�rit� et mesurer la gravit� d�un fl�au qui handicape lourdement le d�veloppement de l'Afrique. Global Financial Integrity est revenu cette semaine � la charge avec un nouveau rapport couvrant la p�riode 2000-2008(**) qui �value la croissance des flux illicites pour ces neuf ann�es � 24,3% pour la r�gion Afrique du Nord-Moyen-Orient (r�gion Mena), 21,9% pour l�Afrique et 7,85% pour l�Asie. En volume, les plus gros montants fuient les pays d�Asie (44,4%), suivis de la r�gion Mena (17,9%), l�Europe �en d�veloppement � � sous-entendu Bulgarie, Roumanie et autres ex-pays de l�Est (17,8%), l�h�misph�re Ouest (15,4%), et l�Afrique (4,5%). L�Arabie saoudite (302 milliards), le Kowe�t (242) et le Qatar (138) sont en bonne place dans le �top 10� des pays qui ont cumul� les plus hautes fuites de capitaux entre 2000 et 2008, aux c�t�s de la Malaisie (291) et du Nigeria (130). Qu�en est-il de notre pays ? Au cours de la m�me p�riode, l�Alg�rie aurait �export�, hors circuits l�gaux, 13,6 milliards de dollars, soit 1,7 milliard de dollars par an. Ces chiffres ne couvriraient pas la totalit� des infractions � la r�glementation de change et transferts de capitaux, ni les commissions occultes per�ues � l��tranger par les signataires (ou leurs hommes de paille) de march�s publics de travaux, de fournitures ou de services. Les grands travaux sont au c�ur de ces fl�aux. Si l�on croit les r�dacteurs du site en ligne �Tout sur l�Alg�rie�, la soci�t� Pearson Asia Capital, qui appartient en r�alit� � l�homme d�affaires fran�ais Pierre Falcone, serait charg�e de distribuer 80% des commissions issues des lots centre et ouest de l�autoroute Est-Ouest, soit 536 millions de dollars ; les 20% restants �tant distribu�s par l�entreprise chinoise Citic-CRCC � des consultants qui ont travaill� directement avec elle. Il s�agit notamment d�experts chinois et internationaux qui ont collabor� au projet. �Patrick Rosenbaum, tr�s �cout� par les responsables de Citic, est au c�ur du dispositif. Comme quoi, s'agissant d'un march� fortement captif, les autres partenaires se trouvent parfois contraints de sous-traiter � partir de l'ancienne puissance coloniale. Lorsque l�on sait que des d�cisions de logements sociaux ont �t� vendues � l��tranger, on doute de la capacit� du syst�me actuel � construire une �conomie nationale, aux mains d�un pouvoir national. Cette incapacit� hypoth�que toute perspective constructive d�accumulation locale et affecte tous les secteurs de la vie �conomique, sociale et culturelle. Il n�y a pas que les capitaux priv�s qui fuient la nation. Ses artistes, ses peintres, ses �crivains et� m�me ses danseurs du Ballet national ! Le march� informel est la sph�re de pr�dilection pour la circulation des capitaux illicites, avant leur blanchiment. On �value � �plus de 40%� sa part dans la masse mon�taire en circulation, avec une pr�dilection pour les secteurs de la distribution de biens de consommation (fruits et l�gumes, la viande rouge et blanche ; poisson, textile/cuir, importations). L�ancienne puissance coloniale reste le principal b�n�ficiaire des flux illicites � partir de notre pays, en raison de l�existence d�une cha�ne de d�pendances, de fili�res �tablies et de la pr�sence d�une forte communaut� nationale, elle-m�me g�n�ratrice de flux illicites. �Nous faisons l�hypoth�se que la rente p�troli�re a permis de satisfaire un besoin de domination dont la formation remonte � l�occupation coloniale�, �crit Luiz Martinez dans sa derni�re livraison(***). Le mal ne date pas d�aujourd�hui : �A la fin de la guerre civile, en 1999, les avoirs des milliardaires alg�riens � l��tranger sont estim�s � 40 milliards de dollars �, rappelle le m�me auteur. Quels moyens de lutte propose Global Financial Integrity pour juguler les fuites illicites et une plus grande transparence des transferts de capitaux ? Cinq grandes mesures sont soulign�es :
- Limiter la marge de manipulation des prix dans la sph�re commerciale
- Assurer un meilleur suivi des transactions, des b�n�fices et des imp�ts acquitt�s par les soci�t�s multinationales
- S�assurer de la propri�t� effective de tous les comptes bancaires et des valeurs mobili�res
- Garantir et intensifier les �changes transfrontaliers de renseignements fiscaux sur les comptes personnels et d'affaires
- Harmoniser les infractions en vertu des lois anti-blanchiment dans tous les pays coop�rant dans le cadre du Groupe d'action financi�re(****).
A. B.
(*) Illicit Financial Flows from Africa : Hidden Resource for Development. Voir : www.gfip.org
(**) Illicit Financial Flows from Developing Countries : 2000- 2009, A January 2011 Report.
(***) Luis Martinez, Violence de la rente p�troli�re : Alg�rie � Irak � Libye, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, col. Nouveaux D�bats, Paris 2010, p. 63.
(****) Le Groupe d'action financi�re (Gafi) ou Financial Action Task Force (FATF) est un organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, cr�� par le G7 lors du sommet de l'Arche � Paris en 1989, en r�ponse � des pr�occupations croissantes au niveau international concernant la lutte contre le blanchiment de capitaux. Le secr�tariat du Gafi est situ� au si�ge de l'OCDE, dans la capital fran�aise.

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