Contribution : Contribution
La femme et les droits de l�homme en droit alg�rien (2e partie et fin)



Par Nasr Eddine Lezzar, avocat
Le domicile conjugal : une am�lioration � saluer et � parfaire
Les r�gles d�attribution ou plut�t de gestion du domicile conjugal, apr�s le divorce, �taient des plus iniques dans l�ancien texte, la nouvelle mouture enregistre une avanc�e � saluer mais aussi � parfaire. Sous l�ancien r�gime, la divorc�e gardienne des enfants ne pouvait b�n�ficier du domicile conjugal que sous deux conditions qui se trouvent �tre prohibitives :
- l�absence d�un �ouali� pour l�h�berger ;
- que l��poux poss�de plus d�un logement.
Si la premi�re est aberrante, la seconde est impossible. Est-il concevable qu�une femme accompagn�e d�une nombreuse prog�niture se mette � la recherche de quelqu�un �ouali� pour l�h�berger avec son contingent alors qu�elle est elle-m�me �oulia�. En outre, les �poux qui envisagent de divorcer organisent l�unicit� de leur domicile de mille et une fa�ons, comme quelqu�un qui organise son insolvabilit�, en vendant ou c�dant, de fa�on factice, le ou les logements surnum�raires qui risquent d��tre affect�s � la r�pudi�e et ses enfants. Le r�sultat est que durant deux d�cennies d�application du texte, je ne connais personnellement pas de cas de domicile conjugal qui ait �t� affect� � l�exercice du droit de garde. Il faut saluer l�effort de certains magistrats qui ont cherch� � att�nuer l�iniquit� du texte en condamnant l��poux � s�acquitter du montant d�un loyer ind�pendant de la pension alimentaire. Les nouvelles dispositions ont, en fait, consacr� cette formule jurisprudentielle salutaire en pr�voyant l�obligation, devenue l�gale et express, incombant � l��poux de verser � la gardienne des enfants l��quivalent d�un loyer d�cent. L�article, en outre, garantit � l��pouse le maintien au domicile conjugal en attendant que l��poux ex�cute son obligation. C�est une avanc�e remarquable qui ouvre des br�ches. La notion de loyer d�cent est approximative et des �poux malintentionn�s exploiteront sans doute l�ambigu�t�. Ils enverront leur femme et leurs enfants dans des logements � la d�cence controvers�e. Une autre disposition judicieuse assure � l��pouse et � ses enfants le maintien au domicile conjugal jusqu�� ce que le mari ex�cute son obligation de loyer. N�eut-il pas �t� pr�f�rable de se limiter � la derni�re disposition et de consacrer � la gardienne des enfants, le maintien tout court au domicile conjugal afin d�assurer � la famille (ou plut�t ce qu�il en reste) la stabilit� mat�rielle, � d�faut de la stabilit� psychologique et affective? Le l�gislateur aurait d�, � notre sens, s�arr�ter au droit au maintien dans le domicile conjugal pour �viter aux enfants les d�sagr�ments mat�riels et psychologiques d�un transfert notamment en p�riode scolaire. Il faut aussi prot�ger l�int�r�t des maris en pr�cisant que ce maintien cesse avec le droit de garde, en cas d�arriv�e des enfants � l��mancipation l�gale ou en cas de remariage de la m�re. La d�ch�ance du droit de garde engendre la perte du droit au domicile conjugal. Il est naturellement r�voltant pour les maris de voir leurs ex-�pouses remari�es � un tiers et vivant sous son toit. Le p�re pourra ainsi contr�ler l�utilisation de son domicile et �tre assur� de la cons�cration � ses enfants. Le domicile conjugal deviendra paternel, et sera assur� de rester aux enfants, � leur stabilit�, � leur bien-�tre.
L�omnipr�sence du minist�re public dans les affaires familiales
Le minist�re public est devenu partie prenante et doit �tre mis en cause dans toutes les affaires relatives � l�application du code de la famille. Cette implication des parquets dans toutes les affaires �du code� est une incursion publique dans des sph�res, parfois extr�mement priv�es et totalement intimes. Les parquets sont d�pass�s et les procureurs fatigu�s, ils ont �norm�ment de travail, leur plan de charge augmente exponentiellement. De ce fait, une nouvelle fili�re des affaires familiales leur est ouverte ou plut�t impos�e alors que dans la majeure partie des cas ils (les procureurs) ne se sentent pas interpell�s. Ceci �tant, ils r�agissent � cette mise en cause de fa�on amorphe et passive � la limite de la simple formalit�. N�aurait-on pas d�, ne devrait-on pas, limiter cette mise en cause aux causes qui le m�ritent, notamment celles li�es � la pension alimentaire, au logement conjugal, au droit de garde, au droit de visite?
- Que peut ou que doit dire un procureur dans une affaire qui n�a aucune implication p�nale? Exemple : un simple divorce par volont� unilat�rale, par consentement mutuel, les effets conjugaux. En restreignant la mise en cause du parquet aux affaires o� ils peuvent, p�nalement, �tre interpell�es, on all�gerait leur fardeau et on augmenterait l�efficacit� et la c�l�rit� de leurs interventions. Par ailleurs, cette nouvelle disposition a cr�� dans certains tribunaux un incident proc�dural sans pr�c�dent, ce qui a engendr� � une p�riode donn�e un dysfonctionnement total de la section du statut personnel.
- Pour comprendre cela, il faut savoir que la mise en cause du procureur de la R�publique en tant que partie dans un proc�s donn� n�cessite une citation � compara�tre transmise par voie d�huissier. Des procureurs de la R�publique se sont sentis offusqu�s et ont refus� d�accepter les notifications transmises par voie d�huissier estimant que cela �tait incompatible avec leur statut. Les huissiers soumis, dans leurs activit�s, au contr�le des parquets se sont laiss�s intimider et se sont donc abstenus de mener la proc�dure � son terme. Les juges du statut personnel (appel�s dor�navant juges des affaires familiales) ont estim� devoir s�en tenir � la lettre du texte et ont rendu des jugements de rejet en la forme pour non-accomplissement des proc�dures requises. Et voil� les justiciables pris en otages d�une bataille de proc�dure. Ce blocage proc�dural qui a caus� de multiples d�nis de justice dans certains tribunaux a trouv� une issue gr�ce � des accords conclus entre parquets, b�tonnats et juges du statut personnel. Mais cet arrangement est informel, donc pr�caire ; il peut �tre remis en cause par tout magistrat. Ce genre d�attitude est fr�quent � l�occasion de nouvelles affectations. Les nouveaux juges n��tant pas au courant de pratiques ou de coutumes convenues. Seule une cons�cration l�gislative pourra mettre un terme d�finitif � ce blocage proc�dural.
Une louable pr�caution, une malheureuse ambigu�t� : le r�glement en r�f�r� des affaires de domicile conjugal du droit de visite et du droit de garde
Un article, nouvellement introduit, pr�voit le r�glement en r�f�r� des affaires li�s aux questions suscit�es, c�est une louable initiative, ce genre de questions ne supporte pas les d�lais et les lenteurs des proc�dures ordinaires. Cependant une ambigu�t� induite par la r�daction pas tr�s attentive du texte temp�re notre enthousiasme :
- S�agit-il d�une nouvelle comp�tence attribu�e au juge naturel des r�f�r�s qui est le pr�sident du tribunal ou d�une nouvelle proc�dure d�urgence autoris�e pour le juge naturel des affaires de famille qui est le juge des affaires familiales ? Et nous voil� devant un conflit n�gatif de comp�tence, chemin potentiel ou plut�t certain vers le d�ni de justice. Le pr�sident du tribunal rejetterait ce genre de dossiers pour incomp�tence mat�rielle en application du code de proc�dure civile qui ne l�autorise � prendre en r�f�r� que les d�cisions qui n�ont pas d�incidence sur le fond. Le juge des affaires familiales refusera de trancher en r�f�r� consid�rant qu�il s�agit d�une comp�tence exclusive du pr�sident du tribunal. Le r�dacteur aurait lev� l�ambigu�t� en attribuant la comp�tence en la mati�re �au juge des r�f�r�s� ou en disposant que le juge familial statue en r�f�r� qui signifie statue en urgence. Il nous semble que la deuxi�me position est nettement plus judicieuse le juge des affaires familiales �tant la personne la mieux indiqu�e pour trancher, dans la s�r�nit� ou dans l�urgence, les affaires de famille.
La polygamie : de l�information au consentement
Une autre avanc�e (mais il n�est pas �vident qu�elle en soit une) porte sur le n�cessaire consentement de l��pouse ou des �pouses � la polygamie du mari. Le texte de 1984 se limitait � l�obligation d�information. Il est vrai que c�est un palier franchi dans la protection des femmes qui maintenant peuvent refuser de subir cet affront alors que dans l�ancien texte, elles ne pouvaient que le voir venir. Il faut pr�ciser que la r�forme de 2006 permet toutefois au magistrat de suppl�er � la volont� de l��pouse, pour peu qu�il constate que les conditions d��quit� sont r�unies.
L�enfance hors mariage : le n�ant juridique
Il reste un grand d�fi, celui de l�enfance con�ue et n�e hors mariage (j�ex�cre et rejette la formule �enfants ill�gitimes�). Nous avons choisi de traiter cette question dans cet article r�serv� aux femmes car la m�re fait l�enfant avec quelqu�un mais le porte seule, elle est abandonn�e quand elle le met et subit avec lui son destin malheureux et cruel. Les r�dacteurs du nouveau texte n�ont pas os� ou n�ont pas pens� devoir se pencher sur cette question douloureuse entre toutes. Pourtant, ce dossier aux relents de trag�die m�rite une attention particuli�re et une r�flexion s�rieuse en raison de pr�occupantes statistiques et d�autant plus qu�elle se trouve encadr�e et g�r�e par des incons�quences l�gislatives des diff�rents chapitres et sections de notre droit.
- Il faut commencer par pr�ciser que le code p�nal alg�rien ne prohibe pas les relations sexuelles hors mariage lorsqu�elles ont lieu entre personnes adultes consentantes, c�libataires et en dehors d�espaces publics.
- On r�prime l�attentat � la pudeur lorsqu�il est public, on sanctionne aussi les relations avec mineurs ou avec et entre personnes mari�(e)s en cas de plainte de l��poux tromp� (l��poux peut signifier aussi bien l�homme que la femme).
De son c�t�, le Code de la famille ne pr�voit aucun statut pour l�enfant issu de relations sexuelles somme toute licites et l�gales puisque non prohib�es et non sanctionn�es. Par ailleurs, aucun texte alg�rien ne cr�e d�obligations, m�me alimentaires, vis � vis de l�enfant naturel. Enfin, notre l�gislation, notamment le Code de la famille, prohibe la l�gitimation de l�enfant naturel par le mariage de ses parents biologiques.
- En conclusion et en d�finitive, le droit alg�rien autorise l�enfant � na�tre en dehors du mariage mais ne lui consacre aucun droit et aucun statut et le condamne � rester ad vitam aeternam dans un n�ant juridique.
Lors d�un voyage en Afrique de l�Ouest, j�ai eu � conna�tre les textes pertinents en la mati�re et j�ai �t� subjugu� par la fa�on dont l�enfant est prot�g�.
- L�enfant est affili� � ses parents biologiques quel que soit leur statut.
- Le statut des parents (mariageconcubinage) est mentionn� dans les documents d��tat civil ; l�enfant est ainsi s�r de conna�tre ses g�niteurs et aura � qui s�identifier.
- Le p�re biologique est toujours astreint � une obligation alimentaire et d�entretien vis � vis de l�enfant naturel.
- Lorsqu�un enfant na�t d�une femme ayant eu des relations avec plusieurs hommes durant la p�riode pr�sum�e de la conception, l�obligation alimentaire est imput�e au dernier partenaire jusqu�� preuve du contraire. Dans tous les cas de figure, l�enfant naturel n�est jamais dans la nature. Le statut de l�enfant naturel en droit alg�rien est un grand tabou qui doit �tre lev� ; c�est aussi un grand d�fi qui doit �tre relev�. Tout comme nous avions dit en 1984 que le premier Code de la famille en Alg�rie avait au moins le m�rite d�exister, nous disions en 2006 que cette premi�re r�forme, plus de deux d�cennies apr�s, a eu le m�rite d��tre faite, elle a apport� un peu de lumi�re dans un texte obscur mais des zones d�ombre subsistent.
Conclusion
Depuis sa promulgation, le Code de la famille n�a jamais cess� d��tre en question et en cause. Il a toujours �t� au centre des d�bats et des pol�miques. Le combat pour ou contre ce texte a �t� entach� d�une malheureuse politisation. Il serait tr�s long d�expliquer ici comment et pourquoi. Trois grandes tendances se sont d�gag�es dans ces diatribes.
- La premi�re r�clamait une abrogation pure et simple et l�adoption d�une l�gislation la�que �galitaire.
- La seconde revendiquait son maintien mordicus parce que puis� dans l�indiscutable charia islamiya.
- Enfin une position m�diane qui soutenait l�apport de r�formes par amendements possibles.
- Les positions radicales, m�me celles de ceux qui combattent pour l��mancipation de la femme, ont �t� improductives dans ce combat pour les femmes.
- La tendance islamiste, ou du moins une partie, aurait pu, � notre sens, �tre amadou�e et gagn�e � la cause des femmes par l�invocation d�un discours islamique et d�une lecture de la charia d�fenderesse des droits des femmes.
- Je ne sais plus qui disait : �Il ne faut pas que les femmes luttent contre l�islam, mais contre le terrain conquis par les hommes dans l�islam. �
- Le salut et l�efficacit� r�sident � nos yeux dans des r�formes par amendements, une d�marche plut�t juridique loin des passions et des politiques.
- Elle semble avoir pr�valu, elle a eu des r�sultats qu�il faudra regarder comme une bouteille � moiti� vide ou � moiti� pleine, c�est selon. Nous pensons pour notre part que le combat pour la r�forme de la loi et du doit aurait gagn� et aurait �t� gagn� s�il �tait rest� � l�abri des surench�res et des d�magogies, entre les mains des professionnels du droit. Nous ne disons pas que les juristes et praticiens du droit doivent rester seuls et garder pour eux seuls le monopole de l�honneur des luttes, l�avanc�e des textes est importante mais non suffisante ; le droit et la jurisprudence ont incontestablement leurs apports p�dagogiques, ils font avancer les choses et les personnes. Mais un texte ne vaut que par ceux qui l�appliquent et aussi par ceux auxquels il s�applique. Il est courant et d�j� grave qu�une �galit� reconnue dans les textes soit compromise dans la pratique, il est nettement plus dramatique lorsque l�in�galit� est consacr�e par les textes eux-m�mes et lorsque l�inf�riorit� de la femme est �rig�e en principe. Il est tragique et d�sesp�rant lorsque l�in�galit� pr�vue par la loi est admise dans l�esprit de celui qui la subit. Ce qui inqui�te davantage c�est la reconnaissance de la l�gitimit� de ce statut in�gal par les femmes elles-m�mes et son admission comme d�coulant de la nature des choses. La culture en ces lieux n�a pas pr�par� les femmes � la contestation surtout de ce qui vient sous le cachet religieux (tel le Code de la famille). Ce qui r�volte beaucoup plus dans cette offense permanente et institutionnelle de la f�minit� c�est l�acceptation de l�in�galit� par les femmes, non pas comme une situation � combattre et � transformer, mais comme un �tat naturel dans lequel il faut se complaire. Mes cheveux se dressent de col�re et d�indignation lorsque j�entends une femme d�fendre le Code de la famille et s�opposer � son abrogation ou du moins � sa r�forme. (Femmes contre femmes). Ce qui inqui�te et r�volte c�est beaucoup moins la cruaut� du bourreau que la passivit� de la victime.
N.-E. L.

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