Contribution : M�DITERRAN�E Quelles arm�es pour la d�mocratie ?
1. Le Centre d��tudes et de documentation internationales de Barcelone (Cidob) que pr�side l�ancien ministre espagnol de la D�fense, Narcis Serra, vient d�organiser les 12 et 13 juin 2011 un s�minaire, le dixi�me du genre, intitul� �Forces arm�es et transitions d�mocratiques en M�diterran�e�.
De nombreux
repr�sentants des deux rives de la M�diterran�e, participants
institutionnels et acad�miciens, ont anim� des d�bats denses autour de
th�matiques de haut niveau. Non sans signification particuli�re,
l�ancienne Europe socialiste a �t� pr�sente � ce s�minaire avec des
d�l�gu�s de la Hongrie, de la Bulgarie et de l�Albanie. Il est � noter
que deux Alg�riens assistaient � ce s�minaire. Il s�agit de Mohamed
Chafik Mesbah que les lecteurs du Soir d�Alg�rie connaissent bien et
d�Abdenour Benantar, professeur � l�universit� Paris VIII.
2. Les th�matiques essentielles abord�es au cours de ce s�minaire se
rapportaient, respectivement, � la r�forme des institutions militaire et
s�curitaire dans le cadre des transitions d�mocratiques, les
cons�quences induites sur la s�curit� en M�diterran�e par les
transformations en cours dans le monde arabe et, enfin, les nouvelles
opportunit�s de coop�ration dans la gestion de crise en M�diterran�e.
Sur le premier point, le pr�sident du Cidob a pr�sent�, en ouverture du
s�minaire, une communication tr�s instructive portant mod�le de r�forme
de l�institution militaire dans le cadre d�un processus de transition
d�mocratique. Inspir�, par l�exp�rience qu�il a lui-m�me conduite en
Espagne, le mod�le de Narcis Serra s�appuie sur des variables qui se
retrouvent dans des soci�t�s d�velopp�es en Europe mais qui sont
inconnues dans les pays qui acc�dent, laborieusement, au syst�me
d�mocratique. Il en est ainsi de la soci�t� politique en Espagne,
parfaitement organis�e la veille de la fin de la p�riode franquiste,
mais inexistante, totalement inexistante dans la plupart des pays arabes
qui acc�dent � la d�mocratie. Or, cette soci�t� politique joue un r�le
essentiel d�interlocuteur dans la n�gociation du consensus qui permet �
l�institution militaire d�accompagner la transition d�mocratique avant
de se retirer de la sph�re politique. Conf�renciers et participants au
s�minaire ont not�, lors des d�bats, le r�le essentiel jou� par les
arm�es dans le succ�s des transitions d�mocratiques. Lorsque les arm�es
ont �t� favorables aux processus engag�s, le d�nouement a �t� rapide.
Lorsque les arm�es ont �t� favorables, plut�t, aux r�gimes en place, le
d�nouement qui n�a pas suivi se fait attendre, avec en sus, un prix
faramineux � verser. Les participants ont relev� que, dans le premier
cas, la Tunisie et l��gypte, il s�est agi d�arm�es nationales,
normalement constitu�es. Dans le deuxi�me cas, Libye, Y�men et Syrie, il
s�agit plus de gardes pr�toriennes que d�arm�es nationales. Sur l�aspect
d�taill�, Yezid Sayigh, �minent professeur au c�l�bre King�s College de
Londres et n�gociateur palestinien lors des n�gociations sur Ghaza, a
fait une intervention remarquable de rigueur et de concision. Sur le
m�me registre, relevons l�intervention de Salam Kawakibi, Syrien,
chercheur au think thank Initiative Arab Reform, lequel a expos�, avec
une certaine dose d��motion, la situation pr�valant dans son pays o�
l�arm�e syrienne se r�sumerait, concr�tement, � une juxtaposition de
gardes pr�toriennes appuy�es par de v�ritables milices. Dans les faits,
la r�alit� de l�arm�e nationale se r�sumerait autour de la Garde
r�publicaine, v�ritable bras arm� du r�gime alaouite, � quelques unit�s
lourdes dont l�encadrement provient, exclusivement, de la minorit�
alaouite.
3. Sur le second point, les pr�sents ont laiss� d�gager un profond
scepticisme � propos des prolongements que peuvent conna�tre les
processus de changement entam�s dans le monde arabe. Au plan interne, ce
sont deux menaces qui ont �t� �voqu�es. En premier lieu, les menaces de
r�sistance de p�les de pouvoir de l�ancien r�gime lesquels peuvent
manifester de l�obstruction pour emp�cher l�ach�vement des transitions
d�mocratiques. Pour affronter cette premi�re menace, la n�cessit� d�une
r�forme rapide consensuelle et efficace des institutions militaire et
s�curitaire a �t�, fortement, mise en �vidence. En second lieu, c�est la
menace d�une conqu�te h�g�monique du pouvoir par le mouvement islamique
qui a �t� �voqu�e. Ce mouvement, quoique n�ayant pas �t� un acteur
principal dans les soul�vements populaires intervenus, continue d��tre,
fortement, pr�sent sur la sc�ne nationale. Il est r�v�lateur que
l�ensemble des participants aient soulign� l�inanit�, dans le nouveau
contexte, des politiques visant � l��radication d�une r�alit�
sociologique et politique, dont, d�sormais, il ne peut �tre que tenu
compte, forc�ment. L�un dans l�autre, l�examen de ces deux menaces a
conduit � mettre en relief l�int�r�t du mod�le turc, lequel, n�anmoins,
n�a pas �t� jug� applicable, m�caniquement, dans tous les cas. Les
participants ont, plut�t, insist� sur un retrait rapide de l�arm�e de la
sph�re politique. Cette consid�ration a fait l�objet de longs
d�veloppements de la part de plusieurs conf�renciers, en particulier
Alonso de Vascucelos, directeur de l�Institut d��tudes de s�curit� de
l�Union europ�enne. Au plan externe, l�accent a �t� mis sur,
successivement, la menace de flux migratoires incontr�l�s vers l�Europe,
le risque de diss�mination des armes subtilis�es des d�p�ts libyens, la
persistance du conflit du Sahara Occidental et, enfin, les horizons
incertains qui se dessinent pour le conflit isra�lo-arabe. Les
participants ont, pour l�essentiel, convenus que les flux migratoires �
partir de la rive sud de la M�diterran�e ne peuvent �tre stopp�s que par
un v�ritable d�veloppement �conomique et social dans les pays de
provenance. Le traitement s�curitaire des ph�nom�nes migratoires ne
constitue pas une solution par lui-m�me. Sur le conflit du Sahara
occidental, plus pr�cis�ment, une passe d�armes a �t� enregistr�e entre
Khadija Mohsen-Finan, enseignante � l�universit� Paris VIII et auteur
prolifique sur le conflit sahraoui, et Mohamed Benhamou, professeur
marocain � l�universit� Mohamed V. Khadija Mohsen-Finan a affirm�, en
effet, que le Maroc �voulait prouver, en incluant le Sahara occidental
dans sa r�forme de r�gionalisation, que ce territoire est d�j� marocain,
posture qu'appuient Paris, Washington et l'Union europ�enne�. Or,
a-t-elle pr�cis�, �faire l'�conomie de la consultation des Sahraouis,
m�me pour aller vers une autonomie, n�est pas possible. Il n�est pas
possible de faire fi des Sahraouis et des Alg�riens et se contenter
d'avoir l'aval des Nations unies, de Washington, de Paris et peut-�tre
de Madrid�. Mohamed Benhamou a r�cus� cette analyse pr�cisant, pour sa
part, que �la r�gionalisation �tait une chose et le plan d'autonomie au
Sahara une autre�. Les participants ont relev�, cependant, l�alignement
ostensible de la France sur le Maroc, les Etats-Unis d�Am�rique faisant,
de plus en plus, pencher la balance, pour d�autres consid�rations, dans
cette m�me direction. A propos du conflit isra�lo-arabe, les
participants au s�minaire n�entrevoient pas de perspectives de
d�nouement proche mais insistent sur les nouvelles donn�es qui r�sultent
des transformations actuelles qui affectent le monde arabe. Il sera,
d�sormais, difficile pour Isra�l de s�appuyer, pour d�nier au peuple
palestinien ses droits nationaux l�gitimes, sur les alliances occultes
nou�es avec des dirigeants de r�gimes autoritaires. Isra�l devra
compter, d�sormais, sur les r�gimes d�mocratiques lesquels seront en
phase avec leurs opinions publiques. Il s�ensuivra, probablement, un
repositionnement de la politique de soutien de ces nouveaux pays
d�mocratiques � la Palestine. Nonobstant ces questions particuli�res,
les intervenants, abordant la stabilit� durable de la r�gion, se sont
accord�s pour admettre que les transitions d�mocratiques en cours dans
les pays de la rive sud de la M�diterran�e vont consolider, plut�t que
compromettre, la s�curit� de la r�gion.
4. S�agissant des nouvelles perspectives de coop�ration en mati�re de
s�curit� en M�diterran�e, les participants ont not� l�influence n�gative
du conflit isra�lo-arabe sur les processus de coop�ration politique
entre les deux rives, notamment ceux dont le caract�re est multilat�ral,
� l�exception du dialogue m�diterran�en de l�OTAN qui enregistre des
avanc�es modestes mais perceptibles. Les participants � ce s�minaire ont
admis, par ailleurs, que les processus de coop�ration ant�rieurs,
notamment le processus de Barcelone ou l�Union pour la M�diterran�e, ont
�chou� car ils avaient, en particulier, fait l�impasse sur les soci�t�s
et les peuples arabes limitant la coop�ration engag�e � des rapports aux
seuls r�gimes et gouvernements en place. D�une mani�re g�n�rale, les
participants europ�ens � ce s�minaire ont insist� sur la n�cessit�
d�adapter la coop�ration europ�enne, s�curitaire autant qu��conomique de
mani�re qu�elle r�ponde aux attentes propres aux pays concern�s. A plus
forte raison, a-t-il �t� soulign�, lorsque l�assistance propos�e se
rapporte aux processus de r�formes militaires ou d�appui aux transitions
d�mocratiques.
5. Hormis la communication pr�sent�e par Mohamed Chafik Mesbah qui est
publi�e dans nos colonnes, la situation en Alg�rie n�a pas �t� abord�e
de mani�re explicite. A travers les discussions intervenues dans le
cadre du s�minaire ou des entretiens qui se sont d�roul�s en apart�,
celle-ci a �t�, cependant, �voqu�e. Les id�es saillantes qui ont �t�
�mises peuvent se r�sumer en trois points. L��tat des lieux en Alg�rie
pr�sente de nombreuses similitudes avec la situation pr�valant dans les
pays affect�s par la vague de transformations dans le monde arabe. De ce
point de vue, il n�existe pas d�exception alg�rienne. L�Alg�rie dispose
de ressources financi�res importantes qui lui permettent, gr�ce � la
distribution d�une partie de la rente p�troli�re, de diff�rer l��ch�ance
de la transition d�mocratique. L�Alg�rie b�n�ficie, au moins dans la
conjoncture pr�sente, d�un certain soutien des Etats-Unis d�Am�rique.
Subsidiairement, la France, pour des raisons diff�rentes � peut-�tre
compl�mentaires � apporte un soutien relatif au r�gime alg�rien. Ces
deux pays, les plus importants partenaires de l�Alg�rie, attendent de
voir sans faire de la chute du r�gime alg�rien une priorit�. Faut-il
rappeler que les exemples tunisien et �gyptien d�montrent, avec
certitude, que les alliances contract�es par les r�gimes autoritaristes
avec les puissances occidentales ne r�sistent pas, ind�finiment, au choc
de la volont� des peuples r�volt�s.
H. M.
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