Chronique du jour : KIOSQUE ARABE
Des Kurdes, comme on peut les voir


Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com

Au bon temps des relations tendues, maussades, acrimonieuses entre l'Alg�rie et la m�re batterie(1), la presse de droite s'ing�niait � impliquer un suspect de type nord-africain dans tous les crimes et d�lits possibles. On retrouvait souvent � la �une� ou en bonne place cette indication pas n�cessaire, mais suffisante : �L'agresseur de la rue Mouffetard, de type nord-africain a pris la fuite, une fois son forfait accompli.�
La suite, il fallait la chercher, � la loupe, quelques jours plus tard avec cet aveu au forceps et presque contrit : �L'assassin du bistrot auvergnat �tait de la rue Mouffetard �tait son propre cousin qui a fait des aveux complets.� Le lecteur averti pouvait ainsi conclure � l'innocence du �Nord-Africain� qui ne pouvait �tre qu'alg�rien � l'�poque, car pour �tre cousin d'un Auvergnat� Vous voyez : on se surprend naturellement � avoir les m�mes r�flexes. Dieu merci ! Aujourd'hui, on parle de �type maghr�bin�, et la stigmatisation fait moins de bruit ici, puisque cela se passerait entre �Fran�ais�. Or, dans le cas qui nous occupe, l'art d'accuser en gros caract�res, et d'innocenter � l'encre sympathique, semble avoir fait des �mules, comme on peut le voir. Les faits se sont d�roul�s � Erbil, ou Irbil, la capitale du Kurdistan irakien, et si�ge du parlement et du gouvernement de l'Etat f�d�ral kurde. Erbil est donc une ville peupl�e de Kurdes majoritaires, en d�pit des efforts de Saddam Hussein pour y faire pousser du �ba�thiste � arabe pur et dur(2). C'est la relation d'une agression men�e par un groupe d'habitants d'Erbil contre les membres de l'�quipe d'athl�tisme irakienne, en stage dans la r�gion, et son entra�neur. Normalement, l'�v�nement s'est d�roul� trop loin, et il n'est pas assez important pour m�riter la �une� d'un journal d'ici, fut-il arabophone. Il se trouve, toutefois, que ledit entra�neur de l'�quipe d'Irak est un Alg�rien nomm� Noureddine Tadjine. Ce qui lui rend applicable, malgr� les distances en question, la loi du �mort kilom�trique�, telle qu'on l'enseigne dans toutes les r�dactions. Notre compatriote n'est pas mort heureusement, mais il semble que les actes aient �t� suffisamment graves pour susciter la juste �motion des supporters de l'�quipe d'Irak, et subs�quemment celle des Alg�riens. Jusqu'ici, il n'y a rien � dire, sauf � vouloir diss�quer les organes urinaires d'une sardine, comme dirait l'un de mes amis de Tlemcen(3). Cependant, on peut �tre d'un autre avis apr�s avoir lu cette titraille en premi�re page du quotidien Al-Nahar, dat� du 18 juillet 2011, et qui proclame : �Des Kurdes agressent � l'arme blanche l'entra�neur alg�rien Tadjine en Irak.� On saisit tout de suite la coupure : l'entra�neur alg�rien, donc arabe sans contredit, a subi des violences de la part de Kurdes, incontestablement non arabes. Au m�me emplacement, on nous apprend que l'entra�neur alg�rien a �t� bless� au bras et qu'un sit-in de protestation a �t� organis� en sa faveur, sans autres pr�cisions. D'accord, on a plus de chances de rencontrer des Kurdes que des Turcs � Erbil, mais puisqu'il est fait mention de la ville pourquoi ce souci du d�tail, � nul autre pareil ? Qui me dit que les agresseurs pr�sum�s ne font pas partie des quatre pour cent d'Arabes recens�s ? N'est-ce pas une autre fa�on de trifouiller dans le ventre de la sardine, � la fa�on recommand�e par notre ami de Tlemcen ? On en serait rest� � cette f�cheuse impression que les Kurdes en veulent au monde entier, si le lendemain, il n'y avait pas eu un filet dans le m�me journal, r�tablissant la r�alit� des faits. C'est en derni�re page que l'ambassade d'Irak en Alg�rie nous apprend que l'�quipe d'athl�tisme irakienne et son entra�neur avaient �t� agress�s par des �inconnus�. Ce n'�tait pas l'entra�neur alg�rien qui �tait cibl�, pr�cise la chancellerie irakienne, mais toute l'�quipe d'athl�tisme en stage � Erbil. Le communiqu� qui se veut rassurant laisse entendre que l'agression pourrait �tre le fait de supporters m�contents des performances sportives de leur �quipe nationale d'athl�tisme. Quel soulagement pour les Kurdes et pour leurs sympathisants ! Le soulagement est d'autant pus fort que nous sommes encore pass�s � c�t� de l'incident avec les Kurdes qui ont d�j� de s�rieuses raisons de nous en vouloir. Rappelez-vous l'accord d'Alger sign� entre le shah d'Iran et le pr�sident Saddam Hussein en 1975 sous l'�gide de Houari Boum�di�ne, et qui a superbement ignor� les droits du peuple kurde. Nos dirigeants qui r�clament des excuses � la France chaque fois qu'ils en reviennent gu�ris seraient bien inspir�s de dire quelques mots de regrets, � d�faut de repentance. En tout �tat de cause, ces informations dissipant les soup�ons de �complot kurde� ont �t� d'autant mieux accueillies que les Kurdes avaient fort � faire au m�me moment avec l'attaque de l'arm�e iranienne contre une base d'opposants kurdes iraniens dans le nord du Kurdistan. Il s'agit du PJAK, �quivalent iranien du PPK turc, et qui m�ne la lutte arm�e pour le m�me objectif. C'est moins compliqu� que �a peut le para�tre : un partage g�ographique l�onin a r�parti le Kurdistan sur quatre Etats, l'Irak, l'Iran, la Turquie et la Syrie. Jusqu'ici, seule la Turquie se permettait des incursions en Irak en vertu du droit de suite, et pour attaquer les combattants autonomistes kurdes. Avec la Syrie, aucun probl�me puisque B�char Al- Assad maintient le pays, avec ses Kurdes ses Arabes et ses minorit�s religieuses, dans un carcan de fer. D�sormais assur� d'avoir des alliances solides sur place, l'Iran peut attaquer � loisir les bases de combattants kurdes en Irak. On ne sait pas comment les Arabes qui se soucient comme d'une guigne de leurs �fr�res�, opprim�s dans l'Ahwaz iranien, se prendraient d'affection pour les Kurdes. La preuve ! En attendant, les Iraniens installent et consolident leurs t�tes de pont dans les pays arabes, tent�s de laisser aux Perses le soin de lib�rer un jour la Palestine. Les Kurdes ne sont pas pr�ts, en effet, d'offrir un nouveau Saladin � la Palestine, vu la fa�on dont ils ont �t� remerci�s pour le premier. En r�compense, les Iraniens pourraient recevoir le Liban, qu'ils ont d�j�, mais par acte notari�. Dans la foul�e, on pourrait leur ajouter le Bahre�n, cet �mirat assis sur une poudri�re chiite, comme l'affirme, non sans raison, notre grand �crivain Yasmina Khadra.
A. H.

(1) A d�faut d'�tre la �m�re patrie�, la France m�rite amplement le titre de �m�re batterie�, puisque tous les Alg�riens, plus ou moins haut plac�s, s'y rendent r�guli�rement pour recharger leurs accus.
(2) A Kirkouk, le �Hassi Messaoud� irakien, le r�gime baathiste a r�ussi, dans un premier temps, � installer une majorit� arabe dans la ville. Mais depuis 2003, les Kurdes, qui ont bien appris la le�on, ont invers� la tendance en s'installant massivement dans la capitale p�troli�re. Aujourd'hui, ils r�clament un r�f�rendum pour rattacher Kirkouk au Kurdistan, un r�f�rendum qu'ils sont certains de gagner, bien s�r.
(3) Contrairement � ce que pr�tendent d'aucuns, j'ai de solides amiti�s � Tlemcen, et dans ses environs. Il y a m�me des bambins de ma famille qui font actuellement trempette � Marsa Ben Mehidi, Port-Say pour le �Hizb-Fran�a�, au nez et � la barbe de Belkhadem. Sans compter les autochtones qui ont le m�me patronyme que moi. Alors ?

Nombre de lectures :

Format imprimable  Format imprimable

  Options

Format imprimable  Format imprimable