
Culture : LIBRAIRIE DU TIERS-MONDE Une sacrée soirée
Qui mieux que Abrous Outoudert peut parler de Hamid Grine, son ami depuis une rencontre à Casablanca au début des années 1990 ? Le directeur de la publication du quotidien Liberté et l’écrivain (lui aussi est journaliste) étaient les invités de Abderrahmane Ali-Bey pour une rencontre littéraire jeudi soir à la librairie du Tiers-Monde, à Alger.
Abrous Outoudert, en sa qualité de modérateur de la rencontre, devait
parler, un peu, du romancier. Il le fait dans une belle prose dans
laquelle sont cités la plupart des ouvrages de l’auteur de La nuit du
henné, de La dernière prière ainsi que de Parfum d’absinthe. Au passage,
il n’a pas manqué de taquiner son ami. «Hamid Grine est aussi
responsable dans une entreprise de téléphonie mobile. C’est pour ça
qu’on l’appelle Grine Puce», dira-t-il, en souriant, à propos de ce jeu
de mots avec le nom de Green Peace. Cette remarque a certainement
encouragé une journaliste à poser cette question : «M. Grine, ne
pensez-vous pas que vos rencontres littéraires et vos ouvrages sont très
médiatisés justement parce que les organes de presse espèrent bénéficier
de la pub de la firme de téléphonie dans laquelle vous travaillez ?»
L’écrivain lui répond que contrairement à ce que pensent certains, sa
notoriété ne date pas des années 2000 car déjà dans les années 1980, son
ouvrage Belloumi, un footballeur algérien s’est vendu à plus de 20 000
exemplaires. «Ce ne sont pas les médias mais les lecteurs qui font la
notoriété de l’écrivain», rétorque-t-il en donnant comme exemple le cas
d’un roman de l’écrivain français Michel Houellebecq qui après une
coûteuse campagne de promotion n’a même pas été «amorti» financièrement
parlant. Vint ensuite une question sur la censure et l’autocensure.
Concernant ses chroniques à Liberté, Grine répond qu’il a une «totale
liberté» (sans jeu de mots). Mais pour ses romans, il reconnaît qu’il
fait de «l’autocensure morale», notamment parce que ses enfants lisent
ses ouvrages. La même question a été posée à Outoudert. Le directeur de
Liberté estime que certaines rubriques et certaines signatures, du
moment qu’ils s’assument, devraient avoir carte blanche, faisant
allusion à la chronique et aux contributions telles que celle d’Amin
Zaoui. «Concernant les caricatures de Dilem, j’ai décidé de les
découvrir le lendemain comme les lecteurs, pour éviter de passer une
nuit blanche», avoue-t-il en souriant. Des présents se sont interrogés
sur la signification du personnage qui croit être le fils d’Albert
Camus, dans Parfum d’absinthe le dernier roman de Grine. «Camus n’est
qu’un prétexte pour parler des écrivains de cette période du
colonialisme. Camus ne s’est jamais considéré algérien. Il a toujours
dit qu’il est un Français d’Algérie. Mais même chez les écrivains
algériens de cette période, je n’ai pas trouvé beaucoup d’engagement
pour la Révolution algérienne. Ce n’est pas un jugement mais un simple
constat. Si j’avais été à leur place j’aurais peut-être fait comme eux.
Je ne voudrais pas polémiquer et si quelqu’un m’apporte la preuve que je
me suis trompé, j’en serai ravi», a-t-il fait remarquer. Pour Hamid
Grine, «l’écriture est un exercice narcissique très aliénant» et de ce
fait l’écrivain devrait bénéficier de l’indulgence du public. La soirée
s’est terminée comme elle a commencé, par une blague d’Abrous Outoudert
: «Kadhafi a quitté la Libye sans dire au revoir. C’est pas Tripoli
(très poli) de sa part.»
K. B.
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