Chronique du jour : DECODAGES
LES RELATIONS ÉCONOMIQUES CHINE-AFRIQUE :
Le gagnant-gagnant


Par Abdelmadjid Bouzidi
abdelmadjidbouzidi@yahoo.fr

L’Afrique a constitué, depuis les indépendances du continent, un enjeu stratégique pour la Chine. Un enjeu géopolitique à l’époque. Les années 2000 sont marquées par l’apparition du rajout d’un enjeu économique de très grande importance : les motivations chinoises pour l’Afrique sont en effet aujourd’hui dominées par des objectifs économiques. Le premier d’entre eux est la sécurisation d’un accès aux ressources : pétrole, mines, terres agricoles.
La Chine a des besoins immenses et sans cesse grandissants pour alimenter ses gigantesques marchés intérieurs et ne se contente plus de simples contrats commerciaux d’importation de matières premières en provenance du continent. Il faut, en premier lieu, rappeler que 92 % des importations de la Chine en provenance de l’Afrique sont constituées de pétrole brut (87 %) et de minerais (5 %). En matière d’exportations, la Chine n’exporte vers l’Afrique que des produits manufacturés : 94,7 % du total des exportations. Aujourd’hui, la motivation la plus forte de la Chine dans ses relations avec l’Afrique est bien le souci d’assurer son approvisionnement en pétrole particulièrement. 25 % des besoins de la Chine en pétrole sont satisfaits par l’Afrique (9 % en 1995). Nous savons que la Chine est aujourd’hui le deuxième consommateur mondial de pétrole après les Etats-Unis : 8 millions barils/jour (contre 19,5 pour les Etats-Unis). La Chine est bien sûr aussi un pays producteur de pétrole (le 5e au plan mondial), mais sa production (3,8 millions de barils/jour) est insuffisante pour satisfaire ses besoins. Le pays connaît un déficit croissant en hydrocarbures. L’Afrique est une solution stratégique à ce problème (Nigeria, Ghana, Angola) et la Chine y sécurise son approvisionnement énergétique selon diverses modalités : négociations directes entre Etats et compagnies pétrolières, d’Etat à Etat, réponse à des appels d’offres, rachat de licences à d’autres opérateurs pétroliers, packages deals «réserves de pétrole contre infrastructures».
• Avec le pétrole, la Chine s’intéresse aussi aux grands projets miniers en Afrique, notamment dans le fer et le cuivre. Les aciéries chinoises sont en effet avides de minerai (Baosteel, 1er aciériste chinois et 3e mondial derrière ArcelorMittal et Nippon Steel). La Chine a aussi des besoins énormes en cuivre (3,2 millions de tonnes importées en 2008) ; la Zambie, la Centrafique et le Congo Kinshasa intéressent beaucoup la Chine qui y est déjà très active par l’intermédiaire de son métallurgiste CNMC. Dans ce domaine, la Chine utilise beaucoup de «package deal minerai contre infrastructures».
• Dans le domaine agricole et des forêts, la Chine développe une coopération technique avec l’Afrique mais développe surtout les acquisitions de terres agricoles. Les exportateurs de bois vers la Chine sont le Gabon, le Cameroun, la Guinée équatoriale, le Congo Brazzaville, le Mozambique.
La Chine figure parmi les pays au premier plan du mouvement d’acquisition de terres agricoles en Afrique : Ethiopie, Ghana, Madagascar, Mali, Soudan. Au Congo Kinshasa, le groupe de télécommunications chinois a créé la filiale ZTE agribusiness pour la plantation de 2,8 millions d’hectares de palmiers à l’huile. Au Mozambique, la Chine développe dans des contrats de coopération la culture du riz qu’elle compte moderniser pour multiplier la production par cinq.
Les exportations chinoises de textiles-habillement
Il est incontestable que la part de marché africain conquise par la Chine dans le domaine des textiles-habillement s’est considérablement développée. La Chine a surclassé l’Union européenne dans ces produits. Déjà, en 2008 les textiles-habillement représentaient 20 % des exportations chinoises vers l’Afrique (9 milliards de dollars). Cette compétitivité chinoise est une compétitivité-coût et notamment les coûts salariaux horaires : Coût salarial horaire - opérateurs textiles (en USD)

La Chine importe d’Afrique les matières premières textiles, notamment le coton et exporte des produits d’habillement à bas prix, des tissus de la confection. La Chine installe aussi en Afrique des ateliers chinois de confection.
Vive le consensus de Pékin
Le constat est partagé par l’ensemble des analystes : la Chine est de plus en plus activement présente sur le continent africain. Cette présence a été confirmée en 2006 par l’organisation à Pékin d’un Sommet sino-africain qui a réuni 48 délégations de haut niveau (rappelons que l’Afrique regroupe 54 nations). L’objet principal de ce sommet qu’a voulu la Chine était de concevoir ensemble et de concrétiser un «partenariat stratégique global» entre la Chine et l’Afrique. Entre 1980 et 2006, date de la tenue du Sommet sino-africain de Pékin, le volume des échanges sino-africains a été multiplié par 50 et a atteint 56 milliards de dollars. Mais entre 2006 et 2008, ce volume a doublé en 2 ans, pour atteindre 106,84 milliards de dollars alors même que la Chine ne projetait de franchir le seuil des 100 milliards de dollars qu’en 2010. La présence officielle chinoise en Afrique a atteint 1 000 entreprises et 500 000 ressortissants. L’offre politique et économique de Pékin est en totale opposition au consensus de Washington qui promet le développement économique contre la libéralisation et la «démocratisation ». Le consensus de Pékin est basé sur la coopération entre Etats souverains, libre de toute interférence dans les affaires internes et est sans condition. C’est lors du Forum sino-africain de Pékin en 2006 que la Chine propose à l’Afrique un partenariat stratégique caractérisé par le respect de la souveraineté, la non-ingérence, l’égalité et la confiance réciproque sur le plan politique et la coopération win-win (gagnant-gagnant) sur le plan économique. Toute sa démarche est complétée au plan diplomatique par la sécurisation par la Chine de 25 % des voix de l’AG de l’ONU bien utiles lors des votes contre le soutien politique à l’Afrique et le droit de vote (encore le win-win). Enfin, pour les pays africains, l’action de la Chine sur leur continent est valorisante car cette grande nation les traite avec les égards dus à un allié et à un marché à conquérir, les éloignant de l’éternel assistanat auquel les soumet l’Europe notamment. De récipiendaire, l’Afrique devient partenaire. Les Africains apprécient chez les Chinois leur efficacité, leurs méthodes directes, leur approche débarrassée de discours et suivie immédiatement d’effets. Enfin, last but not least, Chine et nations africaines se pansent comme d’anciennes victimes du même «impérialisme occidental». Les populations africaines apprécient, pour leur part, la capacité des travailleurs chinois à évoluer dans des conditions épuisantes et des zones dangereuses par opposition «aux Blancs qui refusent de se salir les mains». Il faut aussi souligner que si les aides au développement que des Etats de l’Union européenne accordent à l’Afrique se font sous forme de remise de dettes. La Chine débloque plutôt des milliards de dollars sous forme de prêts sans intérêt. Et les Africains préfèrent de loin de «l’argent frais» au jeu d’écriture et d’effacement d’ardoises. Bien évidemment, à côté de tous ces aspects positifs du «partenariat stratégique» que veut développer la Chine avec les Etats africains, il y a, de la part de certaines franges de populations africaines, et notamment les opérateurs économiques, un certain nombre de critiques. Ainsi, les producteurs nationaux reconnaissent que l’arrivée des biens manufacturés chinois à très bas prix a fait augmenter la consommation locale, mais la pratique de la copie industrielle du produit de l’artisanat local est très mal acceptée. De plus, la fameuse compétitivité chinoise s’avère être un leurre quand on la mesure à l’aune de la qualité (bien mauvaise) des produits écoulés sur le marché local. Sur le plan de l’emploi, la concurrence est aussi rude. Les Chinois importent leur propre main-d’œuvre et leur diaspora investit les activités informelles qui constituent souvent la seule source de revenus des autochtones. Mais tous ces» inconvénients » sont vécus comme de simples désagréments par les populations africaines qui voient dans l'arrivée des Chinois et de leurs infrastructures, leurs produits manufacturés à très bas prix, leurs apports en ressources humaines (dans les secteurs de la santé notamment), une arrivée «d’oxygénation» de leurs vécus quotidiens faits de pénuries diverses et de privations dans la satisfaction de leurs besoins essentiels.
A. B.



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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/09/07/article.php?sid=122507&cid=8