Chronique du jour : ICI MIEUX QUE LA-BAS
11 septembre : le mentir-vrai


Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr

Les positions médianes sont toujours les plus exposées et les plus difficiles à tenir. N'étant ni d'un camp, ni de l'autre, on a fatalement les deux contre soi. Cette fatalité théorique trouve son expression, de façon abrupte, dans les commentaires, tranchés, parfois insultants, reçus à la suite de la chronique de la semaine passée. Ni Sarkozy, ni Kadhafi ? Ça ne plaît pas, on le comprend, aux Atlantistes et aux francophiles incurables, pas plus qu'aux défenseurs d'un monde arabe figé dans le glacis des dictatures avec ce qu'elles comportent d'humiliation pour les peuples.
Il est naturellement plus confortable d'appartenir à un camp, et de concentrer, ce faisant, toutes ses cartouches contre ceux d'en face. Ces derniers étant en l’occurrence ces deux camps qui, hier encore, se rencontraient dans la convergence d'intérêts communs. L'historien Gilbert Meynier a bien fait de me rappeler que Kadhafi avait été, à l'été et à l'automne 2010, missionné par l'Union européenne dont il était le fondé de pouvoir via l'Italie, moyennant vraisemblablement subsides, pour contenir le flux migratoire des Africains subsahariens. Il veillait sur l'application du programme de fermeture des frontières européennes dit Frontex. «C'est une des raisons pour lesquelles j'ai eu un peu de mal, au début, à comprendre les frappes OTAN/européennes tant elles me paraissaient aller à l'encontre de la logique de ces accords», écrit-il. Comment, en effet, ne pas être étonné que l'Union européenne se mêle de casser cette digue qui retient les vagues humaines cinglant vers les rives européennes de la Méditerranée ? Chacun des dictateurs du monde dit arabe, — qui est un monde berbère, copte, kurde, habité par d'autres peuples, — de Moubarak à Ben Ali, en passant par El Assad et Saleh, a tenu sa longévité au pouvoir avec, au bas mot, la bénédiction des grandes puissances de la mondialisation. C'est pourquoi on aurait presque envie de rire si les circonstances s'y étaient prêtées, à la lecture de certains pensums tendant à nous démontrer que la chute des dictateurs arabes équivaut à l'effondrement de l'indépendance et de «l'identité» des peuples. S'il est plus que certain que les attaques atlantistes comme celle contre Kadhafi, et leurs conséquences — encore inconnues, et peut-être préjudiciables à l'intégrité des Etats-nations tels qu'issus des luttes et guerres d'indépendance nationales, — ne sont pas motivées par la démocratie, il n'est pas dit que leur contraire, c'est-à-dire l'appui des dictateurs par les grandes puissances, serve la cause de ces peuples vivant sous la botte perpétuellement, soumis à l'indignité, au mieux à l'infantilisation. Si l'on n'est pas un suppôt du pouvoir, en Syrie ou au Yémen, on a à peine le droit de respirer. Fort heureusement, il y a des «penseurs» pour dire à ces peuples qu'il vaut mieux pour eux qu'ils continuent à subir les dictatures dynastiques qui les étouffent, les humilient, les paupérisent plutôt que d'encourir les frappes fallacieuses de l'impérialisme. Oui, ça continue... Peste ou choléra ? Vous désirez ? C'est un hasard du calendrier que ce débat essentiel pour la pédagogie du dilemme, survienne au moment où le monde commémore le 10e anniversaire du 11 septembre 2001. Le monde ? En fait ce sont les Etats- Unis, boussole et cœur battant d'un système unipolaire issu de la Guerre froide, qui entendent l'imposer au monde. Dix ans après cette attaque dont les images nappées d'irréalité continuent à tournoyer sur nos écrans de télévision et dans nos têtes, où en sommes-nous ? Le bilan est rapide à dresser. Il aura fallu à peu près 10 ans pour abattre... Ben Laden dans des circonstances plus que troubles. Il en a fallu beaucoup moins pour déclencher deux guerres, l'une en Irak et l'autre en Afghanistan, prétendument contre le terrorisme islamiste, mais en fait pour des motifs beaucoup plus prosaïques d'intérêts financiers et géostratégiques. L'autre élément du bilan est l'inflexion sécuritaire imprimée aux Etats-Unis et aux grandes puissances planétaires avec notamment des procédures d'exception comme le Patriot Act, et l'arbitraire telles les tortures en Irak et à Guantanamo. Cette inflexion sécuritaire, reconnue comme attentatoire aux droits humains dans les démocraties occidentales, se fonde évidemment sur la lutte contre le terrorisme islamiste. Si ce dernier n'existait pas, — mais hélas il existe bel et bien, sans pitié, ravageur, — il aurait fallu l'inventer pour disposer de l'ennemi idoine. Cependant, force est d'observer que l'efficacité est toute relative. Il n'y a jamais eu autant d'attentats islamistes (Londres, Madrid...), et de si terribles, que depuis que les puissants agitent les peurs de l'autre, mettant ainsi en application concrète la théorie du choc des civilisations de Samuel Huntington. L'ennui avec le radicalisme, c'est qu'il conforte celui d'en face. C'est un monde désaxé par la démence du capitalisme financier qui commémore les attaques du World Trade Center, et qu'on peut analyser a posteriori comme – paradoxe – le début de la fin de la suprématie des Etats-Unis sur le marché mondial. Depuis, on a vu l'émergence de puissances économiques comme la Chine et l'Inde qui semblent vouées, surtout la première, à un grand avenir. Les projectivistes les plus optimistes prévoient, à moyen terme, le déclassement des Etats-Unis dont on peut observer d'ores et déjà les prémices. Le 11 septembre aura, en définitive, sonné le glas d'un monde aux contours identifiés (ceux de la Guerre froide), et accouché d'un autre où les conflits pour l'espace, l'eau, le pétrole, l'argent, la nourriture, sont habillés de fallacieuses frusques idéologiques, tribales, identitaires, régionales, etc. Bienvenue dans le monde de l'opacité et des faux-semblants !
A. M.



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