Chronique du jour : ICI MIEUX QUE LA-BAS
Diog�ne sous le chapiteau


Par Arezki Metref
arezkimetref@free.fr

Ferm�, cloisonn�, verrouill� de toutes parts ? D'une certaine mani�re oui. �Je� est un autre et le moi est ha�ssable mais comment parler de l'exp�rience de l'autre en taisant celle de l'un ? Non seulement j'ai eu la joie et l'honneur d'�tre invit� au Salon du livre d'Alger (deux fois en 16 ans, un privil�ge, surtout par rapport aux auteurs qui n�ont jamais �t� invit�s !), mais je m'y suis rendu sans r�ler. Enfin, presque. En cons�quence, je ne vais pas emprunter la fl�che du Parthe, ce projectile empoisonn�, qu'on envoie au galop pendant la retraite. Est-ce par une sorte de solidarit� �clanique�, corporative, etc.?
Merci les potes. Le fait est que je n'aurai aucune critique � formuler. Eh non! Tout baigne, Madame la Marquise. En pinaillant, bien s�r, on peut d�busquer 36 000 d�tails qui clochent. Pourquoi les titres de transport sont-ils envoy�s si tardivement ? Pourquoi l'horaire de la table ronde a-t-il �t� programm� apr�s le retour ? Pourquoi ci, pourquoi ��? Ce n�est jamais nickel, et je sens remonter comme une bouff�e d'ingratitude rien que d'esquisser des interrogations. Ils font ce qu'ils peuvent et en plus ils nous invitent. On ne va pas se la ramener. Perso, je ne tiens pas � ce que le moindre mot de travers de ma part se retourne contre ceux qui ont eu l'aimable attention de m'inscrire sur la liste des invit�s. On imagine les rodomontades : �Regarde ton pote, on lui fait une fleur, il nous fait une crasse !�, �Je te l�avais bien dit !�� Au-del� de ma petite personne, il y aurait bien � dire sur le Sila en soi. Il est vrai, comme le fait remarquer un politologue, que la tenue de cette 16e �dition a quelque chose de particulier dans le contexte d'un �Printemps arabe� qui n'est ni printemps, ni uniquement arabe d'ailleurs. Tandis que dans plusieurs pays, la poudre parle et le sang coule, chez nous si la poudre parle et le sang coule aussi, une grande manifestation culturelle a lieu et r�affirme qu'un pays qui ne serait pas poss�d� du d�sir de connaissance a d'ores et d�j� cess� d'�tre vivant. Ce d�sir de connaissance, c'est sans doute le ressort qui actionne des centaines de milliers de visiteurs et les pousse � d�ambuler dans les all�es du salon. Tous les invit�s ont des histoires � raconter sur des lecteurs d�sargent�s qui se satisfont de quelques pages lues � la sauvette. Emouvant ! Il y a aussi �videmment, et on ne peut le dissimuler, la pr�dominance des livres islamiques financi�rement accessibles au plus grand nombre. Un habitu� de la manifestation explique que ce barbu qui sort d'un stand deux gros sacs remplis d'un m�me livre � bout de bras, ne fait pas que du pros�lytisme, il fait aussi du commerce en allant de ce pas les revendre dans les wilayas de l'int�rieur. �Ils vont finir � Oum El Bouaghi, me dit le cic�rone, dix fois leur prix. �a marche du tonnerre.� �a n'a rien d'original, trois fois h�las ! Le livre islamique a la m�me pr�gnance sur le salon du livre que l'islamisme sur la soci�t�, c'est proportionnel, rien � redire. Pour que �a cesse ici, il faut agir l�, pas de myst�re. J�ai lu un papier d' El Watan consacr� au Sila de l'ann�e derni�re. On y disait que 80% des livres �taient islamiques. Madre mia! Autant cette ann�e ? Langue au chat. Heureusement, il n'y a pas que �a. Il y a aussi le reste. Des auteurs d'ici et d'ailleurs qui, tel Diog�ne, �ce Socrate en d�lire�, selon Platon, se prom�nent en plein jour une lanterne � la main pour �clairer d'une lumi�re autre leur bout de chemin. Un chemin de solitude qui fait qu'on leur pardonne le boulet de l'�go qui fait fl�chir et parfois r�fl�chir. Il y a aussi les �diteurs, surtout les priv�s, les ind�pendants, on ne sait trop comment les appeler. Les �non-�tatiques�, voil� le mot qui convient. Suffisamment g�n�ral pour englober les Don Quichotte et les r�alistes, les subventionn�s plus souvent qu'� leur tour et les qui n'ont jamais per�u un dinar trou� d'aucune sorte d'autorit�, des qui font de l'�criture avec ses creux et d�li�s et des qui font des ronds et rien d'autre, des qui gal�rent pour l'art et des qui ont l'art de gal�rer. Bref, le monde de l'�dition est un tout, et il y a de tout dedans ! Un autre motif de satisfaction, puisqu'on y est, c'est la r�int�gration des �diteurs �gyptiens au Salon d'Alger. Le fameux match de foot qui a failli tourner � la guerre des fronti�res n'a pas manqu� d'aiguiser les hostilit�s entre l'Egypte et nous autres, faisant perdre la t�te � tout le monde. Entre-temps, Moubarak et son fils qui lorgnaient sur la Coupe du monde et la pr�sidence �gyptienne dans des regards concomitants ont �t� balay�s par le fameux �printemps arabe�. C'�tait un coup de passion aveuglante que de m�langer foot et culture mais enfin � l'impossible nul n'est tenu. C�est bien que les choses en soient revenues � leurs justes proportions m�me s�il a fallu un �printemps arabe� pour cela. Quoi qu�on fasse, on ne peut pas ne pas inviter les �diteurs �gyptiens. Ce sont les seuls, sur cette rive, a avoir �dit� un prix Nobel de litt�rature. D�ailleurs, plusieurs mois apr�s la chute de Moubarak, o� en est l�Egypte, celle des �diteurs comprise dans celle de la place Tahrir ? Elle constate sans doute avec l��crivain Alaa El Aswany ( Le Monde du 30 septembre), auteur du sublime Immeuble Yacoubian, que �beaucoup de membres du r�gime ont conserv� leur poste, y compris des g�n�raux de police qui ont tortur�, commis des crimes. Ces gens sont d�autant plus dangereux qu�ils sont d�sesp�r�s. Une r�volution, c�est l��limination d�un r�gime. Or, le Conseil militaire ne propose que des r�formes, qui sont le meilleur moyen de sauver le r�gime ancien�. A qui le dis-tu� Le recyclage des m�mes, on conna�t sous nos latitudes� On raconte que Diog�ne le cynique se baladait dans Ath�nes avec un coq enti�rement plum� aux ergots coup�s en disant �voici l�homme de Platon !�. Ce dernier avait d�fini l�homme comme �un bip�de sans cornes et sans plumes�. Contrairement � Platon, Diog�ne ne consid�rait l�homme que comme un �tre concret. Rien � voir avec l�id�alisation ! Concret, concret ! Et pas parfait. �a tombe bien !
A. M.

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