Contribution : LA CRISE DU LIVRE ET DE LA LECTURE EN ALG�RIE L'indiscutable responsabilit� de l'�cole r�form�e
Par Abdellali
Merdaci*
La mise en �uvre du projet gouvernemental sur le livre et la lecture
dans les programmes de l�Ecole alg�rienne � pour le moment, sans
calendrier pr�cis ni communication sur son cahier des charges � serait
imminente, selon Mme Khalida Toumi, ministre de la Culture, s�exprimant
� l'occasion de l'ouverture du 16e Sila. La d�marche principale de ce
projet, telle qu'elle est rapport�e dans la presse, est de proposer �
chaque �l�ve des trois paliers de l�enseignement (premier et second
cycles de l�Ecole fondamentale, lyc�e) la lecture, chaque ann�e, d�un
minimum de quatre livres (Cf. Abrous Outoudert, �Qui joue au 5 Juillet
pour qu'il y ait autant de monde ? Une rencontre avec le livre tout
simplement�, Libert�, 27 septembre 2011, �P�riscoop�, Le Soir d'Alg�rie,
26 septembre 2011, Badis Guettaf, �Une grande d�cision est prise�, Le
Jour d'Alg�rie, 24 septembre 2011). Tel qu�il est formul� par ses
initiateurs, les ministres de l�Education et de la Culture, ce projet
constitue un aveu en ce qu�il reconna�t implicitement : la faillite de
la lecture dans le syst�me de formation scolaire. S�il est �tabli qu'une
relance du livre et de la lecture dans la soci�t� passe par l��tape
indispensable de l'Ecole, il convient aussi d�admettre que cette
institution de l�Etat, devenue un cimeti�re du livre, a amoncel�, ces
derni�res d�cennies, les ruines de la pens�e, pour appeler � de
radicales transformations. Le retour du livre et de la lecture � l��cole
est une indication positive. Mais cela ne repr�sente qu�une partie du
probl�me. L�avenir du livre et de la lecture est tributaire d�une
refonte profonde et urgente de l�enseignement des langues et de
l�apprentissage de la lecture dans l�Ecole alg�rienne.
Une mise � mort
Quelques dates �gr�nent les rep�res � et leurs relents obsidionaux �
autour de ce d�sinvestissement de la lecture et du livre dans l�Ecole
alg�rienne. La premi�re r�forme qui entra�ne de notables d�gradations de
l�enseignement date de 1977. Elle consacre les choix id�ologiques du
FLN, parti unique, plus pr�occup� d�arabit� chatouilleuse que de rigueur
des connaissances � transmettre. Les acquis de l�Ecole alg�rienne, de
1962 � 1976, ont �t� effac�s sans examen. Si la langue arabe y gagne le
statut de langue fondamentale de la Nation, comme le pr�cise la
Constitution de 1976, au m�pris d�une diversit� linguistique r�elle de
ses r�gions, le fran�ais, jusqu�alors principal v�hicule de
l�enseignement, langue v�hiculaire et potentiellement r�f�rentiaire,
devient une langue seconde aux objectifs mineurs : permettre une
communication de base aux �apprenants�. Depuis l�application de la
r�forme de 1977 les hi�rarchies � fortement symboliques � des langues
dans l�Ecole alg�rienne sont red�finies, avec notamment une arabisation
intensive qu�il serait infond� de consid�rer comme l�unique cause d�une
irrattrapable �rosion du syst�me d�enseignement national. En v�rit�,
l�affaissement � aux retomb�es spectaculaires � de l�enseignement en
langue fran�aise � et de la langue fran�aise � en est le premier facteur
d�structurant. Il y a une explication : � d�faut de concevoir ses
propres programmes de formation dans la stricte observance des h�ritages
de l'Ecole alg�rienne, le l�gislateur scolaire, sous Boumedi�ne, puis
Chadli Bendjedid, impulsant une nouvelle r�forme en 1986, s��tait tourn�
vers des ing�nieries �ducatives, inappropri�es et sans lendemain,
ramass�es dans les poubelles de l�Europe et de l�Am�rique du Nord. Alors
que l�Alg�rie poss�dait un syst�me d��ducation rigoureux issu de l�Ecole
coloniale, qui depuis l�unification des syst�mes de formation dans la
colonie, en 1949, a donn� de semblables opportunit�s de d�veloppement
aux langues fran�aise et arabe, le dernier gouvernement de Boumedi�ne �
dont le ministre de l�Education �tait Mostefa Lacheraf (23 avril 1977-7
mars 1988) � s�est attach� � d�truire une exp�rience de formation de
trente ans d��ge qui englobait l�exp�rience respectable des lyc�es
franco-musulmans, dignes successeurs des M�dersas. Cette Ecole, sortant
d�une �poque coloniale, r�appropri�e dans l�Alg�rie ind�pendante par ses
ma�tres alg�riens et fran�ais (d�un remarquable d�vouement) n��tait pas
en situation d��chec. Le seul �chec observable a �t� de la convertir aux
attentes id�ologiques conservatrices du FLN qui rel�vent plus de
l�immaturit� politique que du nationalisme, commode bouc �missaire.
Cette Ecole des ann�es 1960-1970 �tait d�j� alg�rienne et Boumedi�ne
n�avait pas encore song� � la r�former avant d��tre encourag� � le faire
par Mostafa Lacheraf. Ni Boumedi�ne ni Lacheraf � qui le conseillait �
n�ignoraient que cette Ecole dont ils signaient r�solument l�arr�t de
mort a form� l�essentiel des cadres de l�arm�e, de l�administration
gouvernementale, de l�industrie et de l��conomie. Et principalement ceux
de l�Ecole et de l�Universit�. Pourra-t-on seulement citer les noms et
les parcours des personnalit�s alg�riennes, n�es entre 1930 et 1960,
dans les champs de la pens�e, des arts et des lettres, de la m�decine,
des sciences et techniques et des m�dias, redevables de l'enseignement
de cette Ecole � �minemment nationale � qui attendait seulement
d'�voluer dans le chemin qu'elle s'�tait trac�, depuis l�ind�pendance,
plut�t que d��tre engloutie dans une rupture pseudo-r�volutionnaire ?
Elle deviendra, � son corps d�fendant, l�exutoire de tous les
ressentiments. On a mis � mort une authentique Ecole alg�rienne, qui
formait � bon escient, pour aller vers un destin aventureux. L�Ecole
r�form�e, qui lui succ�de, a farci de jeunes cervelles d��pop�es
flamboyantes d�un lointain Hedjaz, dans le ressac de leurs fleuves de
sang, tenues pour la source d�un pays au carrefour de la M�diterran�e et
de l�Occident et de l�Afrique. Elle a gomm� dans l'histoire du peuple
alg�rien son pass� colonial. Cet �crasement de l�histoire des Alg�riens
et de leur parcours dans la colonie fran�aise correspondait plus � une
volont� malheureuse d�agir le secret des origines du nouvel Etat
ind�pendant qu�au deuil d�une �nuit coloniale� (F. Abbas). Ce travail de
reconstruction de l'�tre alg�rien, pr�sent dans le discours scolaire
d'avant la r�forme, dans de sensibles pages d'�crivains nationaux, a �t�
brutalement interrompu. L�Alg�rien enfouissait ses origines pour se
rev�tir des oripeaux d�un Orient arabomusulman fantasm�. L�Ecole
r�form�e de Boumedi�ne et Lacheraf � qui prend son envol en 1977 �
explique aujourd�hui l�aptitude des Alg�riens, quels que soient leur
cat�gorie sociale et leurs itin�raires familiaux et sociaux, � vouloir
quitter leur pays et � revendiquer des nationalit�s �trang�res, au
premier plan celle de l�ancien colonisateur. Le drame de l�Ecole
alg�rienne r�form�e ressortit de la trag�die nationale des ann�es 1990,
de ses 200 000 morts, de ses millions de victimes et de ses d�combres.
Loin de l�humanisme, elle a rendu possible le seul cri de la violence et
des haines communautaires.
Des r�formes catastrophiques
L�Ecole r�form�e de 1977 qui remod�le l�enseignement des langues �
et de mani�re draconienne du fran�ais dont on a supprim� une tradition
d�enseignement qui a fait ses preuves � a h�t� la disparition du livre
et de la lecture dans la soci�t�. En Alg�rie, la lecture est enseign�e
principalement dans les mati�res de langues, singuli�rement l'arabe et
le fran�ais. Je ne cite ici que l'exemple de la langue fran�aise pour
identifier de nouveaux comportements dans l�Ecole alg�rienne r�form�e,
qui, du reste, sont aussi rep�rables dans la mauvaise fortune de la
langue arabe. Contrairement � ses parents et � ses arri�re-
grands-parents qui ont fr�quent� l��cole de la colonie ou celle qui lui
a succ�d� � l'ind�pendance, l��colier alg�rien allait apprendre, �
partir de la fin des ann�es 1970, la langue fran�aise � qui baignait son
environnement quotidien � comme une langue �trang�re. En fait, on lui
servait les m�mes m�thodes d�enseignement qu�aux �l�ves du Guatemala ou
du Lesotho qui ne connaissent rien de la France, de son histoire et de
sa langue. Les jeunes �coliers alg�riens, les �apprenants� des ann�es
1980 et 1990, ont �t� les cobayes de diff�rentes �coles doctrinales et
didactiques fran�aises, belges et canadiennes qui ont trouv� dans
l�Ecole alg�rienne le terrain vivant pour l�exp�rimentation de leurs
m�thodes d�apprentissage du Fran�ais langue �trang�re (FLE). S'il faut
regretter l'absence d'un bilan syst�matique de l'enseignement du FLE en
Alg�rie, l�incurie en est lisible dans l�inculture des dipl�m�s actuels
de l�Universit�, toutes disciplines confondues. Le r�sultat le plus
perceptible de cette r�forme ? Les quotidiens nationaux publient
souvent, pour l��dification de leurs lecteurs, le floril�ge de copieuses
proses de dipl�m�s de l�Universit� dans un semblant de langue fran�aise,
inf�mes et tortueuses syntaxes devant lesquelles le charabia d�antan se
parerait de vertu acad�mique et litt�raire. Au-del� de la vacuit� des
programmes de la r�forme de 1977, le l�gislateur alg�rien a p�ch� par
simplisme p�dagogique et surabondance id�ologique, car il ne se souciait
que d�armer l�Ecole alg�rienne face � l�imp�rialisme culturel fran�ais.
Voici, � titre d�exemple une recommandation qui fut des plus discut�es :
�L'enseignement du fran�ais n'est charg� d'aucun objectif culturel ou
esth�tique. Il se situe sur un plan exclusivement linguistique et ne
consid�re que le crit�re de l'efficacit�.� C��tait une situation
ubuesque. La culture et l�esth�tique fran�aises � que soutenaient le
livre et la lecture � �taient enlev�es aux �l�ves de l�Ecole qui se
consolaient d�apprendre, par le geste et par la parole, la mythologie de
tous les sabreurs d�Orient. L�efficacit� linguistique postul�e par le
l�gislateur scolaire ? Elle �tait circonscrite aux �l�ves localis�s dans
les grands centres urbains, provenant d'une bourgeoisie citadine dont la
connaissance et la pratique priv�e et publique de la langue fran�aise
�taient le vernis. L'Ecole r�form�e a approfondi dans l�enseignement de
la langue fran�aise une s�gr�gation entre cat�gories sociales
(accompagnement de l'�l�ve dans les familles ais�es et impr�gn�es d'une
culture de la langue; apprentissage en situation active de
communication) et spatiales (�cart ville-campagne discriminant), plus
nuanc�e auparavant. Sur cet aspect, une enqu�te sur les lecteurs
alg�riens au tournant des ann�es 1960-1970 (Cf. Charles Bonn, �La
litt�rature alg�rienne et ses lectures. Imaginaire et discours d�id�es�,
Ottawa, Naaman, 1974 ; voir pp. 158-211), donc avant la r�forme de 1977,
apporte d�utiles pr�cisions sur la r�partition spatiale de la langue et
de la culture litt�raire fran�aises dans la soci�t� alg�rienne. La
pr�sence d�enqu�t�s originaires de petits centres ruraux de l�Est
alg�rien � proches de Constantine � appara�t comme une donn�e importante
des �quilibres ville-campagne dans la diffusion scolaire et situe leur
perm�abilit� aux productions symboliques en langue fran�aise. La
m�fiance envers un �objectif culturel et esth�tique�, sur lequel
insistait le l�gislateur scolaire, dressait une sorte d�insurmontable
barrage. Pour le l�gislateur scolaire, traduisant en consignes fermes
les attentes des responsables du FLN (qui n�en ont pas priv� leur
prog�niture, leurs parent�les et leurs client�les), les valeurs
culturelles et esth�tiques de la langue fran�aise �taient une menace
pour nos �coliers, coll�giens et lyc�ens. Cette surench�re politique et
id�ologique, dans les derniers mois de la pr�sidence de Boumedi�ne et
tout au long de celle de Chadli Bendjedid, s�habillant de l�artificieux
alibi de la technicit� de la langue de communication, pouvait masquer
l��croulement de l��thique de l�enseignement dans une Ecole
excessivement politis�e. Le sentiment � lisible dans les attendus des
directives de programmes � �tait de refaire la guerre coloniale dans la
classe de langue fran�aise au moment o� l�enseignement des autres
langues �trang�res �tait apais� et non connot� sur le plan politique.
Arabisant form� au Machrek, cacique du FLN, ancien commissaire du parti
� Tizi Ouzou (1962-1969) et secr�taire g�n�ral de l�UGTA (1969-1973),
Mohamed-Ch�rif Kheroubi, qui prenait la suite de Lacheraf au minist�re
de l�Education (8 mars 1979-17 f�vrier 1986), en �tait l�aiguillon. Les
r�formes de l�enseignement de la langue fran�aise continu�es en 1986 �
sous la conduite de Mme Z'hor Ounissi, ministre de l�Education du 18
f�vrier 1986 au 8 septembre 1988 � restituent un impensable trop-plein.
Comme si l�intention �tait de lui �ter toute substance et d�en faire une
case vide dans l�emploi du temps hebdomadaire. Un seul exemple pour
montrer l�inanit� de m�thodes d�enseignement import�es �cl�s en main� et
vendues � des lyc�ens qui ne pratiquaient gu�re la langue fran�aise. Le
manuel de 3e ann�e secondaire de langue fran�aise introduisait aux
applications de grilles conceptuelles de linguistique th�orique et de
socios�miotique, les plus hardies, de Benveniste (sur l��nonciation) �
Genette (sur la narratologie) et m�me � Bakhtine et Kristeva (qui, pour
diff�rentes raisons, restaient, en ces ann�es-l�, encore inaccessibles �
mes �tudiants de Th�orie de la litt�rature � l�Universit� !). Ce
programme �tait destin� � des �l�ves de fin de cycle scolaire d�pourvus
des fondamentaux de la langue fran�aise, qui en ont plus accumul� les
m�connaissances que la connaissance, qui n�en ma�trisaient pas l�usage
de l�oral � et encore moins celui de l��crit. Par la magie de quelle
poudre de perlimpinpin ambitionnait-on d�enseigner � ces �l�ves, en rade
dans la classe de fran�ais, la �th�orie des textes�, le difficultueux
�arbre de la description � de Jean Ricardou et les �typologies
descriptives � de Philippe Hamon, qui provoquent aujourd�hui encore des
sueurs froides aux professeurs en titre de l�Universit� alg�rienne ? La
plaisanterie �tait assur�ment d�un tr�s mauvais go�t. Apr�s la
r�volution rat�e du 5 Octobre 1988, il y aura un long repli.
L�enseignement de la langue fran�aise sortait des sentiers de la vieille
guerre coloniale, mais une autre guerre venait, cruelle et sanglante. Du
fait de r�formes erratiques, l��l�ve alg�rien ne pouvait pr�tendre �
comme le lui assignaient imp�rativement des programmes d�enseignement
exp�rimentaux de FLE � d�couvrir et utiliser pour ses besoins quotidiens
une langue fran�aise de communication, d�vitalis�e et d�barrass�e de ses
arri�re-plans historiques et culturels. Apr�s avoir �t� ministre de
l�Enseignement sup�rieur et de la recherche scientifique (ao�t
1993-novembre 1997), M. Benbouzid est aux commandes de l�Education
depuis le 25 novembre 1997, apr�s avoir connu une br�ve p�riode de
disgr�ce et de rel�gation au minist�re de la Jeunesse et des Sports. Il
aura ses r�formes en accord�on de l�Ecole fondamentale, et plus
particuli�rement de l�enseignement des langues, au d�but des ann�es
2000. Cette derni�re r�forme ne d�rogera pas, pour l'enseignement du
fran�ais, au formalisme des d�bats doctrinaux sur le FLE qui vol�rent
au-dessus des t�tes des enseignants et des �l�ves. Rien ne permet de
dire que l�Ecole alg�rienne r�form�e de M. Boubakeur Benbouzid ait mieux
enseign� et d�fendu les langues �trang�res en g�n�ral (notamment
l�anglais re�u sans animosit� par les instances politiques et valoris�
comme garant de l�ouverture au monde) que le fran�ais. Mais le grand
malheur de la langue fran�aise � fragile embarcation qui appartient �
l�histoire de l�Alg�rie et des Alg�riens � est d�avoir �t� encalmin�e
dans les prolongations d'une guerre anticoloniale, inlassablement
r�p�t�e dans un pays ind�pendant. L��l�ve de l�Ecole r�form�e � et cela
est dramatiquement perceptible dans la nouvelle g�n�ration � ne peut
soutenir l��preuve d�une communication orale en langue fran�aise,
lorsqu�il a de terribles angoisses � l��crire. Il est certain qu�il ne
lit plus dans cette langue. Ni m�me en arabe. C�est le pr�sident
Bouteflika qui s'�tonnait, dans un �lan de puriste, de d�couvrir ce
francarabe, m�tin� de culture SMS, qui est aujourd�hui l'idiome
intemp�rant de la jeunesse des �coles.
L'�viction de la litt�rature et de la lecture
Mais revenons donc � l'Ecole d'avant 1977, probablement la plus
parfaite d�entre toutes (j'entends bien, � ce propos, les accusations de
pass�isme). Rafra�chirais-je des souvenirs en rapportant le tableau des
lectures d��uvres et d�auteurs commenc�es assez t�t au cours �l�mentaire
1re ann�e. Lisait-on les po�sies de Sully Prudhomme, le premier prix
Nobel de litt�rature, en 1901, et de Jean Aicard (�Les Po�mes de
Provence�, 1874) ? On ne pouvait pr�tendre �tre candidat � ce m�morable
examen d�entr�e en sixi�me des lyc�es et coll�ges et du v�n�rable
certificat d��tudes primaires s�il n��tait studieusement lu et relu �Le
Lac� (Lamartine) et �La Mort du loup� (Alfred de Vigny), sommets de la
litt�rature romantique fran�aise. Et des po�mes du Parnasse (Heredia),
du Symbolisme (Henri de R�gnier). Et aussi �Le Dormeur du val�
(Rimbaud). Cette initiation � la lecture d'�uvres litt�raires s�appuyait
sur des acquis linguistiques qui ne se pr�valaient encore que de
vieilles grammaires qui n�en avaient cure de �strat�gies grapho-orales�
et de �recodage phonologique �. Les petits �coliers d'Alg�rie pouvaient
se confronter sans d�choir, sur le plan des savoirs linguistiques et
litt�raires, � leurs camarades des pays francophones d�Europe et
d�Am�rique du Nord. Cette Alg�rie de Boumedi�ne pouvait aussi se targuer
d�avoir une presse et des journalistes de langue fran�aise de qualit� et
� cet indicateur constant � le potentiel de locuteurs francophones le
plus important dans le monde apr�s la France. Pour les id�ologues de
l��poque, entre deux avions en partance pour Paris, ce qui n��tait pas
per�u comme un paradoxe, il fallait se d�faire du legs colonial. Sous le
contr�le du FLN, l�Alg�rie des ann�es 1960-1970 entreprend une
alg�rianisation tous azimuts, aux cons�quences le plus souvent absurdes.
Les ma�tres de l�Ecole ont proc�d� � des r�am�nagements de programme
mesur�s, accordant une part m�rit�e � la litt�rature alg�rienne de
langue fran�aise. Qu�on en juge. Dans le programme d�enseignement de
langue fran�aise des coll�ges (correspondant � l'actuel second cycle de
l'Ecole fondamentale), on distinguait les romans de Marie-Louise
Amrouche, Malek Bennabi, Mourad Bourboune, Mohammed Dib, Assia Djebar,
Mouloud Feraoun, Malek Haddad, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Kaddour M�hamsadji,
Malek Ouary ; les po�sies d�Ahmed Azzegagh, Dib, Anna Greki, Haddad,
Nordine Tidafi et surtout ce chant des cimes de Z'hor Zerari (�Contre
les barreaux�), lu par des dizaines de milliers d��l�ves, mu par
l'esp�rance de la paix et de la libert�, �clatant dans l�ab�me de la
ge�le coloniale ; et aussi les essais d�Ahmed Akkache et Mohamed-Cherif
Sahli. Voil� au sortir des ann�es 1960-1970 un �tat de la culture
litt�raire du coll�gien alg�rien, d�une profondeur et d�une qualit�
d�sormais introuvables dans l�Ecole fondamentale de M. Benbouzid, qui ne
sait produire de lecteurs. Le p�dagogue d�avant 1977 qui restait attach�
� une inculcation rigoureuse de la syntaxe de la langue fran�aise
pouvait envisager � c'�tait alors une mutation consid�rable � de
l�enseigner dans ses marges r�f�rentiaires alg�riennes. Les textes des
auteurs cit�s �taient lus comme exemples d�un fran�ais d�Alg�rie dont
l�histoire r�cente n�excluait ni l�originalit� ni la pertinence. Depuis,
il y a eu r�gression Voici, pour m�moire, les programmes d'auteurs et de
textes des lyc�es d�avant la r�forme de 1977, qui comportent la lecture
suivie, en 1re et 2e ann�e secondaires, de deux grands textes de la
litt�rature alg�rienne. 1re ann�e : Moli�re : �Tartuffe� (1664- 1669) ;
Montesquieu : �Les Lettres persanes� (1721) ; Hugo : �Les
Contemplations� (1856) ; il est aussi not� : �initiation � la po�sie
�pique� avec quelques po�mes de �La L�gende des si�cles� (1859-1883) ;
Vall�s : �Le Bachelier� (1881) ; Zola : �Germinal� (1885) ; Anouilh :
�Antigone� (1944). La lecture suivie de �L'Incendie� (1954) de Mohammed
Dib a pu s'appuyer sur les pistes de lecture propos�es par Fran�ois
Desplanques, enseignant � l�Universit� de Constantine, dans une
anthologie �dit�e par l'Institut p�dagogique national (Alger, 1972, 54
p.). 2e ann�e : Moli�re : �Don Juan� (1665). Voltaire : �Zadig� (1748).
Stendhal : �Le Rouge et le Noir� (1830). Baudelaire : �Les Fleurs du
mal� (1857). Le texte alg�rien propos� est �Nedjma� (1956) de Kateb
Yacine. Cet enseignement de l'�uvre �tait structur� par un choix de
textes de l'Institut p�dagogique national (Alger, 1973, 132 p), pr�c�d�e
par une introduction critique, traduite et adapt�e du m�moire en langue
anglaise du Dipl�me d'�tudes sup�rieures de litt�rature de Hocine
Menasseri : �William Faulkner : �The Sound and the Fury�, Kateb Yacine :
�Nedjma�� (Universit� d�Alger, 1968). 3e ann�e : Pascal : �Les Pens�es�
(1670). Diderot : �Jacques le Fataliste� (1778-1780, 1796). Le
surr�alisme (doctrine, diff�rents auteurs et textes). Aucun texte
alg�rien n��tait inscrit au programme de cette ann�e. Apr�s la r�forme
de 1977, le l�gislateur de l'Ecole r�form�e de 1986 avait encore r�fr�n�
les ardeurs des enseignants de langue fran�aise pour la lecture d��uvres
de langue fran�aise. Il renfor�ait d'infranchissables balises autour du
seul objectif : enseigner une communication basique dans un �fran�ais
standard�. L��viction de la litt�rature fran�aise (et de langue
fran�aise) de tous les cycles d'enseignement en �tait la sanction
manifeste. Les �l�ves perdaient, avec elle, cet indispensable exercice
dirig� de lecture qui �tait le gage d'une culture humaniste. Les axes de
travail �nonc�s, en 1986, dans les programmes � th�oriques � de la
classe de fran�ais donnaient l'impression � tout � fait trompeuse �
d'une formation linguistique et litt�raire d'une haute tenue. Plus
sp�cialement orient� sur la description linguistique et stylistique des
textes litt�raires, le programme de 3e ann�e secondaire annule la
perspective classique d'histoire litt�raire (� travers ses d�coupages
synoptiques en si�cles, p�riodes, doctrines et �coles) au profit d'un
�miettement des tendances litt�raires. On en expose les principales
lignes : Prosodie : po�me; fonctionnement du m�tre ; l'intonation (dans
le discours oral). Paragraphe : �conomie du paragraphe dans le texte.
Etude de la nouvelle � partir de M�rim�e et de Maupassant. Le r�cit de
fiction : morphologie (structures, s�quences, actants, etc.). Textes
�tudi�s : contes extraits du recueil �Le Grain magique� (1966) de Taos
Amrouche ; extraits de roman : non pr�cis�s (au choix de l'enseignant).
La description : r�alisme (E. et J. Goncourt, Flaubert), naturalisme
(Zola), nouveau roman (Robbe-Grillet, Butor). Enseignant la didactique
des textes litt�raires � l'Universit�, dans un contact permanent avec
les professeurs de lyc�e, je n�ai pu v�rifier, en son temps, que ce
programme �tait enseign� � notamment dans les lyc�es de l�Est alg�rien �
dans une p�riode de r�cession, o� l�Ecole alg�rienne a davantage projet�
l�analphab�tisme et la d�culturation de masse. Dans une appr�ciation
globale et s�rielle des acquis linguistiques et litt�raires et de la
pr�sence de la lecture et du livre dans l'enseignement, l��l�ve des
ann�es 1962-1977, nonobstant les marqueurs d�origine sociale et
g�ographique, avait un meilleur positionnement dans la langue fran�aise,
dans le livre � comme m�diation primordiale de la relation p�dagogique �
et dans la culture litt�raire, que celui des ann�es 1980-2010. Il savait
aussi construire (sur les registres de l�oral et de l��crit) un
raisonnement dans une langue fran�aise ma�tris�e. Le l�gislateur des
r�formes de 1977, 1986 et du d�but des ann�es 2000 a certes recouru aux
conceptualisations les plus r�centes de la linguistique et de la science
des textes dans des programmes inadapt�s � des �l�ves au fran�ais
rudimentaire, qui ne s'�l�veront jamais aux exigences de l�expression
�crite et orale. Et qui finiront par se couper d�finitivement de la
lecture et du livre.
L'incons�quence comme mode de gouvernance
L'Ecole alg�rienne r�form�e n'a pas encore �valu� son mode de
gouvernance. Et son incons�quence qui perdure. Volontiers r�formatrice
(depuis 1977 et 1986 et apr�s l�av�nement de l��cole fondamentale,
plusieurs grandes r�formes en un quart de si�cle, se chevauchant
parfois), mal inform�e de la r�alit� des savoirs linguistiques de ses
enseign�s, achetant au comptant de fumeuses ing�nieries didactiques de
FLE dans les laboratoires �trangers, elle se caract�rise par une l�g�re
inconstance. Depuis la fin des ann�es 1970, elle a potentialis�, en
termes de communication et de culture, les d�ficits de l��l�ve alg�rien.
Voici quelques notations provisoires : 1�/ Les d�cideurs alg�riens ont
confondu langue fran�aise et colonialisme fran�ais. Depuis
l�ind�pendance, la suspicion de n�ocolonialisme, qui l�a durement
frapp�e, �tait un imparable argument livr� aux fougueux orateurs des
meetings des kasmas et des mouhafadas du FLN. Au tournant des ann�es
1970- 1980, il �tait acquis que la minoration de la langue fran�aise
dans l�enseignement, dont le seul bilan aujourd�hui est celui d�un
d�solant g�chis, �tait la solution pour lutter contre un
n�o-colonialisme insidieux, traqu� dans la culture et l�esth�tique
fran�aises. 2�/ Le gouvernement alg�rien devrait abandonner ses lubies
d�une �cole technicienne (comme si la technique n��tait pas une des
formes sup�rieures de l�Art), oppos�e aux sciences humaines et sociales
et aux lettres. Et se convaincre que l�acquisition d�une langue restera
toujours incompl�te sans ses valeurs culturelles et esth�tiques que le
l�gislateur scolaire a supprim�es de l�horizon de l�Ecole alg�rienne
r�form�e. 3�/ Le livre et la lecture doivent retourner � l'�cole. Autant
pour sauver l'enseignement des langues que pour r�amorcer la dynamique
du livre et de la lecture dans notre soci�t�. L�Alg�rie est un des rares
pays au monde qui a fait de ses propres �crivains nationaux � quel que
soit leur outil linguistique � des �trangers dans son syst�me scolaire.
4�/ L�Ecole doit pouvoir jouer son r�le institutionnel � l��gard de la
litt�rature nationale, de ses auteurs et de leurs textes, de leurs
trajectoires, de leurs comp�titions et de leurs positionnements. La
l�gitimit� d�une litt�rature nationale, de ses auteurs et de leurs
textes se forge aussi par leur int�gration dans le travail scolaire.
Mais l�Ecole r�form�e de M. Benbouzid n�est forte que de ses archa�smes
pour mener des changements salutaires. Elle a, depuis longtemps, ali�n�
la confiance de ses propres enseignants, de ses �l�ves et de leurs
parents, et de la soci�t�. Il faut sur le livre et la lecture voir les
intentions du gouvernement se r�aliser concr�tement pour y croire. Ce
serait un premier pas dans le pari de r�enchanter l�Ecole alg�rienne et
de la remettre dans le sens de l'Histoire, de sa vraie histoire, hier
r�pudi�e par des apprentis sorciers dans le vent d�l�t�re d�incendiaires
r�formes.
A. M.
* Ecrivain-universitaire. Publie, au mois de novembre 2011, chez
M�dersa, �L'Essai alg�rien de langue fran�aise de la p�riode coloniale
�.
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