Contribution : POLITIQUE LINGUISTIQUE EN ALG�RIE
Entre le monolinguisme d�Etat et le plurilinguisme de la soci�t�  (2e partie et fin)


Par le Professeur Abderrezak Dourari*
Les ordonnances et lois sur la g�n�ralisation de l�arabisation (terme ambigu) montrent par d�faut les choix effectu�s par le gouvernement.
En effet, la politique linguistique de l�Etat alg�rien peut �tre d�finie en creux � travers les dispositions l�gales suivantes : l�Ordonnance pr�sidentielle de 1976, la loi 05-91 portant g�n�ralisation de l�utilisation de la langue arabe ; l�Ordonnance pr�sidentielle 96-30 du 21/12/1996 modifiant et compl�tant la loi 91-05 du 16/01/1991 portant g�n�ralisation de l�utilisation de la langue arabe ; la Constitution amend�e en 2002 ; et enfin la loi d�orientation sur l��ducation nationale de 2008.
La loi 05-91 pr�voit dans son chapitre (IV) dispositions p�nales (sic) des sanctions s�v�res contre ceux qui contreviendraient � la d�cision gouvernementale de g�n�raliser l�utilisation de la langue arabe (art 29 � 35).
L�ordonnance 96-30 enfonce le clou et g�n�ralise davantage :
- son article 2 modifie l�article 11 de la loi 05- 91 comme suit : �Les �changes et les correspondances de toutes les administrations, entreprises et associations, quelles que soient leur nature, doivent �tre en langue arabe� ;
- son article 4 modifie l�art 18 de la loi pr�c�dente ainsi : �Toutes les d�clarations, interventions, conf�rences et toutes �missions t�l�vis�es doivent �tre en langue arabe�. Il reconduit les dispositions p�nales.
L�amendement, sous la pression des �v�nements de Kabylie, de la Constitution alg�rienne en 2002, rehaussant la langue tamazight � la dignit� de langue nationale � c�t� de la langue arabe, n�a entra�n� aucun changement � ce dispositif l�gal et n�en a pr�vu aucun pour l�application de cette nouvelle disposition constitutionnelle. La loi d�orientation sur l��ducation nationale de 2008 est le dernier texte connu qui encadre la probl�matique des langues notamment � travers leur prise en charge dans le syst�me �ducatif. Ce texte ne fait pas suite aux dispositions de la Constitution remani�e en 2002 hormis le fait de parler de l�enseignement de la langue tamazight sans en pr�ciser les finalit�s, cependant. Il ne souffle aucun mot sur l�existence m�me de la langue arabe alg�rienne m�me sous le titre des �langues maternelles�. Les �principes fondamentaux� qui doivent guider �la nouvelle politique �ducative�, �num�r�s dans les pages 7, 8, 9, 10 et 11 de ladite loi d�orientation, r�v�lent la posture sous-jacente quant � la perception officielle de l�identit� et des langues en Alg�rie, notamment l�exclusion de l�arabe alg�rien et le r�le peu flatteur attribu� � tamazight, soit tout ce qui fait l�alg�rianit� : Au point 1 (p. 7) il est affirm� : �Il s�agit tout d�abord de favoriser la consolidation de la vocation de l��cole comme vecteur de l�affirmation de la personnalit� alg�rienne et de la consolidation de l�unit� de la nation.� Plus loin, �l��cole alg�rienne� tire ses fondements des principes fondateurs de la nation alg�rienne, principes inscrits dans la d�claration de Novembre 1954 ainsi que dans la Constitution et les diff�rentes chartes dont la nation s�est dot�e�. �L��cole doit � cet effet, contribuer � perp�tuer l�image de l�Alg�rie terre d�islam, partie int�grante du Grand Maghreb, pays musulman, arabe, amazigh, m�diterran�en et africain�� (p. 7). L�amazighit� n�est qu�une troisi�me �couche� identitaire en d�pit du fait que, historiquement, c�est sur le socle amazigh que s�est construite la personnalit� alg�rienne. Dans l�esprit du l�gislateur, les Alg�riens �taient d�abord musulmans, puis sont devenus arabes et enfin amazighs ! C�est l�ordre achronique de l�esprit mythique. L�expression �l�attachement � son h�ritage civilisationnel plusieurs fois mill�naire�, en ne mentionnant pas la nature de cet h�ritage, insinue une ambigu�t� : on penserait � l�amazighit�, mais il s�agit moins de cela que d�arabit� et d�islamit� puisque aussi bien il est mentionn� (p. 8) que �les caract�ristiques de la nation alg�rienne ont �t� ainsi fa�onn�es par l�islam en tant que religion qui a conf�r� au peuple alg�rien la dimension fondamentale de son identit�. Islam non seulement en tant que religion, mais aussi �en tant que mod�le d�organisation sociale�. Mais si l�islam sature tous les espaces et occupe l�galement une position hyperotaxique dans l��cole alg�rienne (v. El-Mestari Djilali, 2010) quel r�le est-il laiss� � tamazight et � l�arabe alg�rien ?
(a) Islam et langue arabe scolaire
Le texte se donne l� un contexte pour insister sur le lien entre la langue arabe scolaire et l�islam : �L�attachement � l�islam et aux valeurs de la civilisation arabo-musulmane avec sa composante fondamentale qui est la langue arabe.� (p. 9) Voil� donc. L�islam est une �dimension fondamentale � et la langue arabe est �une composante fondamentale�. D�aucuns reconna�tront ici l�id�ologie diffus�e massivement dans l�Est alg�rien par l�Association des oul�mas (AOMA), puis partout dans le pays, o� l�identit� alg�rienne est r�duite � l�islam et l�arabit� (chaabou el-djaz�iri muslimoun wa ila el-�urubati yantassib, disait un c�l�bre po�me de Ben Badis, chef de cette association mort en 1936 = �le peuple alg�rien est musulman et � l�arabit� il appartient�), sous pr�texte de lutte contre le charlatanisme au profit de l�islam vrai (salafisme). En d�pit de son rejet de la lutte pour l�ind�pendance (pourtant principe fondateur de toute l�gitimit� du pouvoir depuis l�ind�pendance), qu�elle avait th�oris� par les deux concepts de �nationalit� ethnique� (arabe), et de �nationalit� politique� (fran�aise), jusqu�en 1956 o�, apr�s le Congr�s de la Soummam, elle est forc�e � se mettre dans les rangs, cette id�ologie des oul�mas n�a pas manqu� d�impr�gner le mouvement nationaliste y compris communiste (v. M�moires de Chebih El-Mekki et de Ammar Ouzegane) sur la conception du syst�me �ducatif et m�me sur la pens�e universitaire postind�pendances. (Fanny Colonna, 2010, p. 31). On comprend ainsi pourquoi l�enseignement de l�arabe scolaire devient un enseignement apolog�tique bis du conservatisme religieux. On a l�impression d��tre au VIIIe et IXe si�cles quand la constitution de la grammaire arabe classique ne servait qu�� encadrer l�interpr�tation et la compr�hension du texte coranique, � la mani�re de la grammaire sanskrite. Aujourd�hui encore, on continue � consid�rer le corpus qui a servi � la formation de la grammaire arabe aux VIIIe et IXe si�cles comme la seule r�f�rence, � croire que cette langue est une momie. Sa dictionnairique n�a pas �volu� non plus (V. A. Dourari, 2010 ; Mohammed Benrabah, 2009 ; Latifa Al- Sulaiti et Eric Atwell, 2003).
(b) La langue arabe scolaire
Vient ensuite l�arabit� (p. 9). �L�arabit� en tant que langue, civilisation et culture s�exprimant � travers la langue arabe (quelle vari�t� ?) premier instrument pour l�acquisition du savoir dans toutes les �tapes de l�enseignement et de la formation.� Tout est dit. La langue arabe scolaire est pr�conis�e comme la future langue unique du domaine formel. La concession consistant � ins�rer la langue tamazight dans les interstices l�gislatifs est tellement visible : quand il est affirm� que �la langue arabe, au m�me titre que l�islam, constitue avec la langue amazighe le ferment de l�identit� culturelle du peuple alg�rien et un �l�ment essentiel de sa conscience nationale� (p. 9), on marque, dans la foul�e, une pr�sence de tamazight qui n�est, en bout de compte, que superf�tatoire �tant donn� la lourde pr�sence, maintes fois r�affirm�e dans le texte, de l�islam et de la langue arabe scolaire. Elle n�est en tout cas qualifi�e ni de �composante�, ni �dimension fondamentale �. On a bien vu citer l�islam et la langue arabe tous seuls (dans un titre), mais tamazight a d�, pour �tre cit�e, �tre bien encadr�e par l�islam et l�arabe scolaire. On ferme vite la petite fen�tre de tamazight pour recadrer sur l�arabe scolaire. �L�enseignement de la langue arabe doit �tre d�velopp� pour �tre une langue de communication dans tous les domaines de la vie et un instrument privil�gi� de la production intellectuelle. � (p. 10) [�] �La promotion de l�enseignement de la langue arabe en tant que langue nationale et officielle et facteur de recouvrement de la personnalit� alg�rienne.� (p. 10) La langue arabe doit par cons�quent saturer tous les espaces de la communication quotidienne et de tous les domaines et m�me celui de la personnalit� alg�rienne, cens� �tre celui des caract�risations anthropologique et historique ! On se demande bien pourquoi il faut une loi de g�n�ralisation de l�arabisation, avec une composante p�nale si l�Alg�rien est d�j� arabe � la fa�on de l�arabe scolaire ! L�Alg�rien doit donc recouvrer sa personnalit�, constitu�e essentiellement d�arabe scolaire et d�islam, qu�il aurait alors perdu ?! Si on ne nous explique pas quand cela s�est pass� (c�est la p�riode coloniale fran�aise qui est vis�e), on ne nous explique pas non plus pourquoi tamazight avec l�arabe alg�rien �v�ritable socle anthropologique et historique de la personnalit� alg�rienne � visibles pour tous, n�ont pas de r�le � jouer dans ce n�cessaire recouvrement de la personnalit� alg�rienne perdue !
(c) Tamazight
�L�amazighit� en tant que langue, culture et patrimoine
� (p. 10) est le titre suivant cens� nous �clairer davantage. Ce titre consacr� � tamazight contraste fort avec celui concernant la langue arabe : �L�arabit� en tant que langue, civilisation et culture.� Le terme civilisation ne concerne que l�arabe, rel�guant tamazight � une simple affaire de patrimoine. Il n�est pas concern� par le �recouvrement� de la personnalit� alg�rienne dont il s�agissait, n�cessitant un effort de reconstruction intellectuel et mat�riel de la part de la nation, mais seulement un effort mn�monique. En d�niant � tamazight le qualificatif de �civilisation �, accord� � la �langue arabe�, on r�v�le une sous-estimation de cette langue, culture et civilisation qu�est tamazight ou la berb�rit�. C�est l�, en fait, une haine de soi (V. A. Dourari, 2003- b) constitutive des perceptions des classes dirigeantes issues du parti unique (FLN). Cette berb�rit� qui, conc�deraient les th�ses de cette classe politique, remonterait en fait � une souche y�m�nite, donc arabe ! (V. Dourari A., 1993 ; 2003 (b) ; M. Chafiq, 1989 ; Malika Hachid, 2001)� On nous dit plus loin qu�elle �est une composante int�grante de la personnalit� nationale historique� et que �� ce titre, elle doit b�n�ficier de toute l�attention et faire objet de promotion et d�enrichissement dans le cadre de la culture nationale�. Donc composante �int�grante� et non fondamentale ! Bonnes intentions, syncr�tisme culturel ou ruse discursive ? Comment enrichir un patrimoine ? On d�couvre au d�tour d�une expression qui a d� �chapper � la vigilance des r�dacteurs que les Alg�riens ont des �langues maternelles� diff�rentes et qu�ils devraient tous avoir int�r�t � renouer des liens avec cette langue tamazight. Cette op�ration se fera �notamment par l�enseignement de l�histoire ancienne de l�Alg�rie (et du Maghreb) de sa g�ographie et de sa toponymie � (p.10-11). Mais quelles sont-elles ces langues maternelles ? L�arabe scolaire en fait-il partie ? Ou s�agit-il aussi de tamazight et de l�arabe alg�rien ? �L�Alg�rien, nous dit cette loi, devra pouvoir apprendre cette langue nationale. L�Etat devra mettre en �uvre tous les moyens humains, mat�riels et organisationnels afin d��tre en mesure de r�pondre progressivement � la demande partout o� elle s�exprime sur le territoire national.� (p. 11) Beaucoup de conditionnels et de modalisations. Ce qui est s�r, c�est que l�enseignement de tamazight r�gresse � vue d��il en termes du nombre d��coles qui l�enseignent et au nombre d��l�ves qui suivent cet enseignement sur le territoire alg�rien. On le voit bien, les langues maternelles des Alg�riens ne sont pas nomm�es. En plus, le fait de citer la langue arabe sans sp�cifier de quelle vari�t� il s�agit (arabe alg�rien ou arabe scolaire) insinue que les deux sont confondues. La langue fran�aise, qui fait �videmment partie du paysage linguistique alg�rien, notamment du domaine formel, est pass�e sous silence (V. Merdaci Abdellali, 2011 : p. 08-09). Ce n�est que bien plus tard (en p14) qu�on en parle dans un chapitre consacr� aux langues �trang�res.
(d) Les langues �trang�res
La question est abord�e sous le titre �de d�velopper l�enseignement des langues �trang�res afin que l��l�ve alg�rien ma�trise r�ellement, au terme de l�enseignement fondamental, deux langues �trang�res, tout en veillant � leur compl�mentarit� avec la langue arabe�� Suivra un long argumentaire sur �l�ouverture� n�cessaire de l��cole et son �int�gration au mouvement universel de progr�s�, puis sur la �tendance mondiale en mati�re d�enseignement dans un monde structur� autour de la communication et du�� Apr�s avoir �tabli une v�ritable citadelle discursive autour de �la personnalit� alg�rienne �, faite d�arabe scolaire et d�islam �fondamentalement � et des traces mn�moniques de tamazight, le l�gislateur a cru enfin pouvoir ouvrir les horizons pour participer au mouvement du monde en mati�re �d��ducation plurilingue�. Ce discours propitiatoire est cens� l�gitimer l�enseignement des langues �trang�res. Ainsi est-il affirm� qu�une �politique rationnelle et avis�e des langues �trang�res qui tienne compte des seuls int�r�ts de l�apprenant alg�rien et de la place de l�Alg�rie dans le concert des nations, doit �tre mise en �uvre pour pouvoir acc�der � la science, � la technologie et � la culture universelle� (p.15). Puis une assertion lourde de sens : �le monolinguisme ne peut contribuer au d�veloppement du pays�, car, affirme-t-il, �il ne permet ni l�ouverture sur le monde ni l�acc�s aux savoirs et aux connaissances scientifiques �labor�es ailleurs��. On voit tr�s bien le syncr�tisme auquel le l�gislateur a �t� contraint. Concilier deux tendances contraires : le repli sur un soi mythique avec l�obligation de la g�n�ralisation du monolinguisme � base d�arabe scolaire et l�ouverture sur l�autre et sur les sciences avec le plurilinguisme. Sous le chapitre dispositions communes (p41) il est affirm� dans l�article 33 que �l�enseignement est dispens� en langue arabe � tous les niveaux d��ducation, aussi bien dans les �tablissements publics que dans les �tablissements priv�s��. Dans l�article 34, il est affirm� que �l�enseignement de la langue tamazight est introduit dans le syst�me �ducatif pour r�pondre � la demande exprim�e sur le territoire national. Les modalit�s de cet article seront fix�es par voie r�glementaire� (p43). Quant � l�article 35, il stipule que �l�enseignement des langues �trang�res est assur� dans des conditions fix�es par voie r�glementaire �. La loi n�a pas jug� utile d�expliciter, comme c�est le cas pour la langue scolaire, les modalit�s d�enseignement de tamazight et des langues �trang�res. Un autre moyen par lequel est creus� le d�s�quilibre entre les langues dans le syst�me �ducatif alg�rien au profit de la langue arabe scolaire en d�pit des d�clarations d�intention sur le plurilinguisme et sur la demande d�enseignement de tamazight sur le territoire national.
(e) Les institutions de prise en charge des langues
La politique linguistique se lit aussi de mani�re plus concr�te � travers le dispositif institutionnel mis � disposition des langues, notamment celles de l�arabe scolaire et de tamazight. La langue fran�aise et la langue arabe scolaire sont prises en charge notamment � travers un grand nombre d�institutions universitaires (d�partements universitaires sp�cialis�s) � travers le territoire national. L�essentiel de la presse �crite se fait en langue arabe scolaire et en fran�ais, ce qui donne � leur pr�sence un caract�re imposant dans la sph�re des m�dias (�m�diasph�re� comme logosph�re visible et audible) et dans la soci�t�. La langue arabe scolaire jouit en plus d�une acad�mie (AALA) et d�un conseil sup�rieur (CSLA) sous tutelle de la pr�sidence de la R�publique. Tamazight est par cons�quent le parent pauvre. Le Haut- Commissariat � l�amazighit�, institution symbolique et politique sous tutelle de la pr�sidence de la R�publique, n�a plus de haut-commissaire depuis plusieurs ann�es. Le CNPLET est mis sous tutelle du minist�re de l�Education nationale, institutionnellement non concern� par la recherche scientifique, et ne peut effectivement pas recruter des chercheurs.
(1) Les langues nationales :
Les langues nationales, arabe scolaire et tamazight,
ne sont, cependant, pas servies de mani�re �quitable par l�Etat : La langue arabe, mieux dot�e que sa s�ur jumelle, est enseign�e partout et toutes les mati�res sont enseign�es en elle. Outre les acad�mies et institutions culturelles et religieuses internationales et des autres Etats arabes, elle dispose en Alg�rie d�une acad�mie, d�un conseil sup�rieur, de plusieurs d�partements universitaires et de centres de recherche pluridisciplinaires relevant soit de la pr�sidence de la R�publique soit de l�enseignement sup�rieur� Elle dispose aussi du puissant et omnipr�sent r�seau de mosqu�es et d�un puissant lobby comme l�association de d�fense de la langue arabe. Tamazight, sa s�ur nationale, ne poss�de ni acad�mie, ni conseil sup�rieur (dont les d�crets de cr�ation ont �t� d�programm�s du conseil des ministres en 2008), ni des centres de recherche relevant du MESRS. Elle n�est servie que par un haut-commissariat (HCA) sans haut-commissaire, un centre de recherche relevant de l��ducation nationale (CNPLET) o� la recherche est statutairement impossible (EPA), et de trois instituts universitaires de tamazight � Tizi-Ouzou, Bouira et B�ja�a ! Pourtant, c�est tamazight qui a le plus besoin du soutien de l�Etat par des institutions scientifiques comp�tentes, statutairement et financi�rement outill�es � cet effet ! L��l�vation de tamazight, sous pression au rang de langue nationale en 2002, n�a eu aucun effet sur les modes de sa prise en charge institutionnelle. La r�gression de l�enseignement de tamazight (V. Dourari A., 2011-b ; et entre autres le dossier de la D�p�che de Kabylie, quotidien national du 26/09/2011) est un autre probl�me induit de la politique d�enseignement non m�thodique de cette langue ! En Alg�rie, cette langue non normalis�e est pr�cipitamment introduite dans le syst�me �ducatif. Les atermoiements quant � la cr�ation de centres d�am�nagement de cette langue d�notent de la facticit� de cette op�ration. Pour comparaison, le Maroc a install� l�Ircam (Institut royal de la culture amazighe en 2003) comprenant sept centres universitaires sp�cialis�s dans la prise en charge de cette t�che ! Ces centres, regroupent des chercheurs de haut niveau et sont dirig�s par des professeurs universitaires de haut rang. Aujourd�hui, tamazight est en passe de devenir la deuxi�me langue officielle du royaume. La Libye et la Tunisie sont en passe de reconna�tre leur amazighit�.
(2) Les langues �trang�res
Les langues �trang�res sont d�une n�cessit� imp�rieuse pour le d�veloppement �conomique et scientifique du pays. C�est le moyen le plus s�r et le plus rapide pour �tre en phase avec l��volution de la pens�e scientifique et philosophique dans le monde, car le monde dit arabe ne produit plus ni sa pens�e, ni sa science, ni encore moins son pain. Il a quitt� le monde du savoir depuis le XVIe si�cle, a tent� une reprise au XIXe. Si�cle dans cette fameuse Nahdha, puis est vite retomb� dans la l�thargie (M. Arkoun, 2007). Le renforcement de l�apprentissage/enseignement des langues �trang�res les plus proches de l�espace g�ostrat�gique alg�rien et les plus d�velopp�es dans le monde (le fran�ais, l�anglais, l�espagnol, l�italien, l�allemand�) permet d��tre � jour en mati�re de documentation scientifique sans passer par le filtre d�formant et retardant de la traduction, elle-m�me quasi inexistante dans le monde dit arabe. Le renforcement de la ma�trise de la langue arabe scolaire (institutionnelle) permet de faciliter la communication entre les scientifiques arabisants et francisants. Il permet aussi la plus grande socialisation des savoirs scientifiques et de l�esprit rationnel dans la soci�t�. La mise en rapport de cette langue avec des contenus p�dagogiques rationnels de son histoire et de celle du monde d�velopp� contemporain ainsi que la modernisation des m�thodes de son enseignement, loin des rigidit�s id�ologiques, lui permet d��tre plus attractive pour les apprenants (V. Dourai A., 2007). Ainsi donc, en int�grant les �l�ments de la politique linguistique ci-dessus, une corr�lation sera �tablie entre la politique linguistique et la politique �ducative et culturelle de l�Etat.
III) Perspectives : Pour une politique linguistique rationnelle, plurilingue et citoyenne
a) Les langues alg�riennes : �l�ments pour un d�bat
En mars 1990, lors d�un colloque de l�universit� d�Oran sur les dialectes en Alg�rie, j�avais soutenu qu�il s�agissait d�enseigner, apr�s l�avoir normalis�e, chaque vari�t� de tamazight � part. Une acad�mie s�occuperait de l�am�nagement de cette langue polynomique. Elle suivra un processus qui consisterait � instituer une vari�t� normalis�e commune pour le domaine formel ; en ne s��cartant jamais des demandes sociales et prendra le temps n�cessaire � cela. Mais ce n�est malheureusement pas la seule question de l�unification qui est pos�e. Les contenus des enseignements, les manuels, les dictionnaires� le sont aussi et un gros effort doit �tre consenti dans ce sens pour r�ussir � recouvrer son �tre, son identit� r�elle, non pas pour s�y recroqueviller narcissiquement, mais pour mieux s�en lib�rer et aller de l�avant avec un certain sentiment d�apaisement. En raison du retard �pist�mique accumul� autant par l�arabe scolaire que par tamazight et le maghribi, la modernit� n�cessaire et urgente � la p�rennit� de la nation passe par la langue fran�aise ; car c�est la langue de modernit� qui est la plus ancr�e dans le tissu social alg�rien et maghr�bin. Les Mexicains, les Cubains, les Br�siliens�, ce qu�on appelle l�Am�rique latine, parlent l�espagnol ou le portugais, vari�t�s latines de leurs ex-occupants. Kateb Yacine disait : �Je voudrais dire aux Fran�ais, en fran�ais, que je ne suis pas fran�ais. Cette langue qui est loin d��tre une langue de colonisation et est plus qu�un tribut de guerre, a servi d�instrument de guerre contre le colonisateur fran�ais � la colonisation n��tant pas r�ductible � la seule question linguistique, des Fran�ais �de souche� se sont sacrifi�s pour la lib�ration de l�Alg�rie. La politique linguistique d�arabisation, dont les contenus et les r�f�rences sont inscrits explicitement dans le conservatisme et l�archa�sme a �chou�. Elle a servi surtout � emp�cher les Alg�riens d�acc�der � la litt�rature scientifique et rationnelle produite dans la langue fran�aise et sa litt�rature autant que dans la langue arabe classique elle-m�me o� l�avantage a �t� donn� aux sources documentaires propices au conservatisme et au fanatisme religieux. Le fran�ais, du fait de son enracinement dans la soci�t�, a de fait le statut de langue seconde en Alg�rie pour le domaine formel. Le choix d�une langue d�acc�s � la modernit� ne rel�ve pas du caprice. Il n�y a pas d�h�sitation possible entre l�anglais et le fran�ais d�un point de vue objectif, car on ne choisit pas une langue comme on choisirait des l�gumes sur les �tals d�un vendeur. L�anglais, l�espagnol ou le fran�ais sont des langues presque au m�me niveau de d�veloppement. L�arabe scolaire aujourd�hui est comme un coureur qui n�arrive pas � se qualifier pour la comp�tition. L�Alg�rie n�est pas une soci�t� homog�ne linguistiquement, contrairement � ce que pr�supposent les textes portant sur la langue nationale et officielle (l�ordonnance de 1976 portant syst�me �ducatif alg�rien, loi 91-05 du 16/01/1991 portant g�n�ralisation de la langue arabe, l�ordonnance de 1996 du 21/12/1996 relative � la g�n�ralisation de l�usage de la langue arabe scolaire et la loi d�orientation scolaire de 2008), m�me si une langue, le maghribi ou l�alg�rien, est parl�e par la majorit�. La soci�t� alg�rienne, pas plus que les autres soci�t�s du monde, n�a pas besoin d��tre homog�ne aux plans linguistique et culturel m�me si l�on note aussi l�universalisation des cultures (V. Dourari A., 2003-a). Cependant, toutes les soci�t�s d�veloppent des langues v�hiculaires. L�Alg�rie poss�de l�arabe alg�rien tr�s proche � se confondre avec le marocain et le tunisien. Les autres vari�t�s existeront toujours et pour longtemps en coexistence pacifique si elles ne sont soumises � aucune agression (v. A. Dourari (s/d), 2002). Distinguer, en pens�e, la pluralit� linguistique de l�unit� politique (cf. Dourari A., 1996/1997), la religion de la langue� comme on distingue entre pluralisme politique et unit� nationale, et cette derni�re des modes d�organisation politique et �tatique. L�Iran est musulman sans avoir jamais abandonn� le persan� C�est un probl�me civilisationnel. Les Iraniens avaient, avant l�islam, une civilisation brillante : celle des Sassanides qui a produit une pens�e scientifique et culturelle et un Etat structur�. Le mouvement dit de la �chou�oubiyya� (ethnisme) est n� d�abord en Iran. Il pr�nait l�autonomie des identit�s ethniques par rapport � la religion. Les Bulgares, les Turcs, les Tch�tch�nes� n�ont pas eu non plus � abandonner leurs langues pour �tre musulmans. Les Arabes, m�me � les prendre pour un tout homog�ne, ne repr�sentent aujourd�hui qu�une infime proportion des musulmans. La population maghr�bine, amazighe dans sa quasi-totalit�, a continu�, quant � elle, � pratiquer sa langue tout en adoptant inconsciemment l�arabe maghr�bin dans la foul�e des �v�nements sociologiques et transactionnels courants : il leur fallait une langue commune neutre, une lingua franca !
b) Lin�aments pour une politique linguistique plurilingue et citoyenne
L�apaisement identitaire
relatif � cette dimension historique, anthropologique, culturelle, linguistique et sociale de l�alg�rianit� (socle amazighe multimill�naire) ne peut provenir que d�une prise en charge s�rieuse et scientifique de tamazight, et des autres langues en usage en Alg�rie. La politique linguistique, autant que celles culturelle et �ducative actuelles, impr�gn�e de l�id�ologie arabo-islamique du PPA-MTLD (qui avait le pr�texte d�un contexte historique particulier) et de l�Association des oul�mas, continue d�affaiblir la loyaut� � l��gard de la communaut� nationale et politique. La n�cessit� d�une politique linguistique en coh�rence avec une politique �ducative est pressante. Elle permet d�avoir une vision globale coh�rente de la situation linguistique du pays, des objectifs vis�s par �tape ainsi que l�int�gration de la demande linguistique et culturelle dans un syst�me �ducatif qui devra �tre lui-m�me sous-tendu par la volont� de construire un esprit rationnel et scientifique (savoir et savoir-faire) coupl� � une �thique citoyenne moderne (savoir �tre). Cette politique linguistique fond�e sur le pluralisme, en harmonie avec le pluralisme politique, articulera les langues du domaine formel (le fran�ais et l�arabe scolaire) avec celles relevant du domaine personnel (les vari�t�s de tamazight et celles de l�arabe alg�rien-langues parentes) compte tenu de leurs fonctions sociales diff�renci�es et �volutives. Ces langues doivent pouvoir �tre �tudi�es et d�velopp�es autant que possible. Elles doivent pouvoir �tre introduites progressivement dans certaines sph�res du domaine formel. Les institutions universitaires et scientifiques doivent inscrire et publier des recherches (th�ses et m�moires) sur et dans ces langues notamment dans les instituts de langues arabe scolaire, tamazight et m�me des langues �trang�res (th�ses de science du langage, de sociolinguistique, et de linguistique�). Le faux rapport d�exclusion postul� et entretenu entre pluralisme linguistique et unit� nationale fait �cran � l��mergence d�un regard apais� et objectif de la r�alit� et des projections possibles. La soci�t� �tant plurilingue, il est normal qu�une autre politique linguistique soit mise en �uvre autour d�un ensemble de priorit�s (V. A. Dourari, 2010 -b). Une planification linguistique est n�cessaire pour tenir compte des demandes identitaires, de celles du d�veloppement et de la mondialisation. En Alg�rie, cette politique devra distinguer les domaines d�usage des langues selon les crit�res socio-fonctionnels entre :
(1) Le domaine formel, o� le fran�ais et l�arabe scolaire dominent et ne pourront �tre d�tr�n�s dans un proche avenir m�me si l�Etat doit am�nager une plus grande place pour l�espagnol, pr�sent � l�ouest du pays, et qui prend une envergure internationale. Penser � une meilleure prise en charge de l�enseignement de l�anglais et des autres langues m�diterran�ennes. La modernisation de l�enseignement de l�arabe scolaire (V. A. Dourari, 2007) doit aussi figurer parmi les priorit�s de l�Etat afin de le remettre en contact avec son h�ritage rationnel ancien et nouveau dont les conservateurs l�ont mutil�.
(2) Le domaine personnel et intime, o� il s�agit de r�pondre rationnellement � la demande sociale d��mancipation des langues alg�riennes, notamment des vari�t�s de tamazight, et de l�arabe alg�rien (variante du maghr�bin) qui repr�sente l�originalit� alg�rienne et maghr�bine. La reconnaissance par l�Etat, autant que par les chercheurs, de l�amazighit� du Maghreb, de l�alg�rianit� et de la maghr�binit� culturelle et linguistique du pays, permet de recomposer le puzzle identitaire mill�naire, d�un c�t�, et le paysage g�opolitique et g�oculturel des Alg�riens et des Maghr�bins, d�un autre c�t�. L�officialisation de la reconnaissance des langues autochtones apporte des solutions au malaise identitaire et linguistique. La pluralit� des vari�t�s de tamazight ne pose pas un probl�me insoluble � son enseignement. Il est vrai que la politique linguistique d�un Etat d�coule en droite ligne de la politique g�n�rale de celui-ci. La mise en �uvre d�une politique linguistique et culturelle d�int�gration du pluralisme alg�rien de fait (Cf. A. Dourari, 1997) ouvert sur la modernit� et la citoyennet� est une urgence. Le d�ni identitaire observ� par les diff�rents gouvernements alg�riens depuis l�ind�pendance, par l�imposition arbitraire de la politique d�arabisation dont l�un des objectifs av�r�s est de gommer tamazight et d�obstruer toute fen�tre sur la modernit�, a incrust� dans les esprits une attitude de r�actance visc�rale � tout ce qui est officiel. Des kabylophones, pour pr�venir la disparition de la langue kabyle, selon eux, vont jusqu�� mettre en place un parti kabyle (Mouvement pour l�autonomie de la Kabylie) et r�cemment m�me un gouvernement provisoire kabyle. Dans ce contexte, une s�paration symbolique graphique de tamazight (la graphie latine est largement diffus�e en Kabylie parmi les �lites et suscite un puissant soutien), qui la singulariserait de la langue arabe scolaire et de l�arabe alg�rien (largement diffus�es en Alg�rie), est un pain b�ni pour les d�fenseurs de l�autonomie de la Kabylie. Le r�tr�cissement de la sph�re tamazightophone sous l�effet de la progression rapide de la sph�re de l�arabe alg�rien devenu, depuis le XIIIe si�cle selon G. Camps, la langue commune v�hiculaire des Alg�riens et m�me des Maghr�bins, ajout�e � la peur d�une glottophagie imminente pousse les �lites kabylophones � tenter de masquer tout trait de ressemblance de tamazight avec l�arabe (la graphie entre autres) � commencer par l�expurgation de tout le lexique emprunt� � la langue arabe et � augmenter les signes de diff�renciation linguistique. Ce processus glottophage est loin d��tre une vue de l�esprit puisqu�on le constate au Maroc aussi d�apr�s Mostefa et Peter Behnsthedt, (Benabou, 2003) qui d�clarent : �Il est vrai que la communication entre berb�rophones du S�s et ceux de Jerada passe avec quelques difficult�s. La population arabophone aussi est venue d�un peu partout. Tout ce m�tissage favorise l�usage de l�arabe. De ce fait, certains S�si se sont compl�tement arabis�s.� (p. 110)
IV) Pour ne pas conclure
Tamazight est une langue polynomique. Quelle vari�t� doit �tre standardis�e et comment pour devenir la langue commune des tamazightophones (est-ce possible et est-ce n�cessaire ?) sans soulever de r�actions de rejet de la part des locuteurs des autres vari�t�s ? Ou alors faut-il consacrer chaque vari�t� quitte � risquer de p�renniser leur diff�renciation ? En fin de compte, le probl�me a �t� compliqu� au plus haut degr�, et le travail scientifique futur sur l�am�nagement de tamazight consistera d�abord � disjoindre la demande linguistique et culturelle objective des repr�sentations id�ologiques sous-jacentes qui obscurcissent la probl�matique et nourrissent le conflit. Au niveau macrosociologique et, probablement, � celui de son corollaire, la philosophie politique, il s�agit de s�interroger sur les modalit�s d�int�gration de tamazight dans un Etat unitaire. Il s�agit aussi de se demander comment int�grer tamazight dans le domaine formel sachant que celui-ci est d�j� occup� par l�arabe scolaire et le fran�ais dans un contexte de globalisation �conomique et linguistique, d�un c�t�, et de s�interroger sur les nouvelles fonctionnalit�s de cette langue, de l�autre. Ne faut-il pas reconna�tre explicitement le r�le pr�pond�rant r�el du fran�ais dans les domaines �labor�s ? Quel type de gouvernance mettre en place afin d��viter les frustrations et les identit�s de repli sur soi. La d�mocratie linguistique ira main dans la main avec la d�mocratie politique et sociale. La d�mocratie politique et culturelle apaisera les tensions id�ologiques li�es � l�amazighit�, � l�arabit� et � la religion. Il s�agit d�une question de gouvernance moderne.
A. D.

*Professeur des sciences du langage, Universit� d�Alger 2, directeur du CNPLET/MEN/ Alg�rie

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