Actualit�s : Ennahda, dernier cadeau empoisonn� de Ben Ali ?

De Tunis, Hassane Zerrouky
�Avec les Alg�riens, nous sommes fr�res dans la b�tise. On se lance pr�cipitamment dans des �lections alors que les conditions socio-politiques d�un vrai pluralisme et d�un vrai changement font d�faut�, explique une enseignante tunisienne.
�Ennahda est le dernier cadeau empoisonn� que nous a l�gu� Ben Ali�, clame l��crivain et po�te Taoufik Ben Brik, qui qualifie le succ�s �lectoral du parti islamiste de �victoire de la droite de l�inquisition �. Propos s�v�res qui s�adressent surtout � �la gauche, l�ultragauche et la soci�t� civile� qui, selon lui, �ont offert le pouvoir sur un plateau au parti de Ghannouchi en lui d�livrant un brevet de d�mocratie et de parti lib�ral respectueux des acquis de la modernit�. Et de se demander si �la Constituante �tait la priorit� de l�heure� ? Ziad Daoulakli, dirigeant d�Ennahda, la cinquantaine, au look trompeur d�homme de gauche, en jean, coiff� d�une casquette de joueur de base-ball, est bien s�r d�un autre avis. Pour ce repr�sentant du courant �r�formiste � d�Ennahda, son parti a respect� la loi. �Il n�y a eu ni d�passements ni instrumentalisation de la religion� � des fins �lectorales m�assure-t-il. R�futant les accusations port�es contre Ennahda, il affirme qu��il n�y aura pas d�instauration de la Charia. Nous revendiquons un Etat civil. Il n�y aura pas d�instauration de la Charia : on s�est engag� avec un programme o� il n�est pas question de Charia, on ne va pas en pr�senter un autre une fois au pouvoir, ce serai trahir les gens qui ont vot� pour nous�. Pour lui, �l�islam religion d�Etat figurait dans l�ancienne Constitution. Cela est suffisant pour nous�. Quant aux droits des femmes, il se veut rassurant. �Dans notre programme, c�est �crit et c�est clair. On s�engage � respecter le statut personnel des femmes tel qu�il existait. On n�y touchera pas.� Dans son programme en 365 points, o� il n�y a nulle r�f�rence � l�islam, Ennahda �s�engage � prot�ger les acquis de la femme (�) � prot�ger la libert� de la femme contre toute imposition de style vestimentaire, � rompre avec toutes les formes de discrimination et de violence inflig�es aux femmes�. Reste que ce programme demeure muet sur la question de la polygamie interdite par le p�re de l�ind�pendance tunisienne Habib Bourguiba. �D�s le IXe si�cle s'est r�pandue dans le pays la pratique du �mariage kairouanais�, du nom de la ville de Kairouan dont l'�cole islamique rayonnait alors dans toute l'Afrique du Nord, et qui interdisait � l'homme de prendre une deuxi�me femme�, rappelle l'historien Alaya Allani, cit� par l�AFP. Publiquement, sur les t�l�s ou les radios, les dirigeants d�Ennahda n��voquaient que rarement le religieux. Pluralisme, d�mocratie, libert� de la presse et de conscience, respect des droits de l�homme, Etat civil, justice sociale, promesses de r�duction du ch�mage, relance �conomique, du tourisme (500 000 emplois), et augmentation du revenu national �taient les ma�tres mots du discours servi aux Tunisiens. Mais sur le terrain, c�est tout autre chose. Disposant de l�argent, du poids du nombre, d�une exp�rience militante de plus de 30 ans en d�pit de la r�pression du r�gime de Ben Ali, les islamistes �taient pr�sents partout y compris dans les coins les plus recul�s du pays. �A Kairouan, ils faisaient jurer les gens sur le Coran de voter Ennahda, promettant les foudres de Dieu s�ils votaient pour les m�cr�ants et les ath�es�, explique Massoud Romdhani, syndicaliste et ancien membre du Comit� de soutien aux salari�s du bassin minier de Gafsa. �Dans la campagne et les quartiers populaires de Kairouan, ils ont offert des moutons aux pauvres pour f�ter l�A�d al-Adha�, ajoute-til. �L�argent et l�islam ont �t� les ingr�dients de la victoire d�Ennahda. Contre �a, on ne peut rien. Le discours politique, rationnel ne passe pas�, s�indigne cet homme respect� et connu � Kairouan. �Les d�chirements, les dissensions et les luttes fratricides entre partis de gauche, la multiplicit� des listes � plus de 115 partis et listes ind�pendantes � ont facilit� la t�che � des islamistes qui n�avaient pas de concurrents sur leur droite�, poursuit-il. En effet, la multitude de partis et de listes ind�pendantes ont rendu Ennahda visible. Qui plus est, dit-on � Tunis, Ennahda avait des observateurs dans tous les bureaux de vote. �Dans certaines r�gions, ses militants �taient seuls, ils pr�sidaient m�me les bureaux. Je vous laisse imaginer le reste�, dit ce militant du PDP (Parti d�mocratique progressiste). �Ils ont tenu un discours bas� sur deux choses contradictoires. En public, ils �taient pour la d�mocratie et un Etat civil. Sur le terrain, ils disaient aux gens qu�ils allaient appliquer la loi islamique�, explique Zeynab Farhat, directrice du T�atro, un espace d�art et de cr�ation, mais aussi lieu de d�bats politiques et de rencontres culturelles. �Vous savez, la Tunisie n�est pas l�Alg�rie. Ici le clivage arabophone-francophone n�existe pas. On ne s�exprime qu�en arabe. Les islamistes nous ont attaqu�s sur notre mani�re de penser, de nous comporter, de vivre, incompatibles � leurs yeux avec l�Islam. Et �a a march�, fait-elle remarquer. �Et puis, il y a El Jazeera qui s�est mise au service d�Ennahda�, dit Sofiane, doctorant en litt�rature arabe. Des faits corrobor�s par Riadh Ben Fadhel, directeur de la campagne du P�le d�mocratique moderniste. �Les islamistes ont men� contre nous une campagne immorale de d�nigrement et de diffamation : ils nous ont pr�sent�s comme des ath�es, des m�cr�ants, des gens aux m�urs l�g�res, des homosexuels. Nos militants ont subi des agressions � Sfax, Tozeur, El Ksour, Kebili, Medenine, Ksar Hellal.� L�avocate Radhia Nesraoui, qui a d�fendu les militants d�Ennahda au m�pris de sa libert� sous Ben Ali, n�est pas en reste. �Les islamistes ont dit aux gens du peuple que si le PCOT arrivait au pouvoir, il allait interdire l�islam, fermer les mosqu�es�, s�indigne la candidate du Parti communiste ouvrier tunisien (PCOT). �Avec les Alg�riens, nous sommes fr�res dans la b�tise. On se lance pr�cipitamment dans des �lections alors que les conditions socio-politiques d�un vrai pluralisme et d�un vrai changement font d�faut. On s�est focalis� sur le RCD, pendant ce temps, dans les quartiers populaires, les islamistes, qui disposent de beaucoup plus de moyens et surtout d�argent, travaillaient au corps la soci�t�. Et on s��tonne aujourd�hui que les barbus raflent la mise�, se demande Nadia, professeur d�universit�. �Expliquer le succ�s des islamistes par l�usage du religieux, de la ruse, de l�argent, c�est un peu court, �a on le savait, on �tait averti, on avait pourtant sous les yeux les exemples alg�rien et �gyptien�, assure Djelloul syndicaliste et militant du P�le d�mocratique moderniste (PDM), selon qui �il faut absolument revoir notre strat�gie. En plus de la question des libert�s, de la s�paration du politique et du religieux, il faut absolument mettre le social au rang de nos priorit�s, car notre discours a �t� mal ou pas du tout per�u par les couches populaires�. Le social ? Les islamistes d�Ennahda, dont le programme rappelle � s�y m�prendre celui de la �droite populaire� fran�aise ou italienne, veulent concilier l�islam et le march�, promettant beaucoup de choses en mati�re de r�duction du ch�mage et de relance �conomique. Ils comptent sur l�argent des pays du Golfe pour tenir leurs engagements. Enfin, autre source d�inqui�tude des d�mocrates, les islamistes comptent bien prendre le contr�le de l�Union g�n�rale des �tudiants tunisiens (UGET) � l�occasion des prochaines �lections universitaires, dit-on � Tunis. M�me l�UGTT (syndicat des travailleurs) est dans la ligne de mire des islamistes. En clair, dans les semaines et mois � venir, les progressistes et d�mocrates tunisiens ne vont pas �tre � la f�te.
H. Z.

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