Actualit�s : Entretien
ISABELLE MANDRAUD, JOURNALISTE AU QUOTIDIEN FRAN�AIS LE MONDE :
�Aucun pays du Maghreb n�est rest� � l��cart du �printemps arabe��


Entretien r�alis� par Mohamed Chafik Mesbah
Titulaire d�une licence en histoire, Isabelle Mandraud d�bute comme journaliste ind�pendante et se distingue par de nombreux reportages en Russie. Elle poursuit, peu apr�s, sa carri�re au quotidien Lib�ration avant de rejoindre, finalement, Le Monde en 1999. Au sein de ce journal de renom, elle est en charge, successivement, de l�actualit� sociale puis des activit�s du Parti socialiste fran�ais jusqu�� l��lection pr�sidentielle de 2007. Elle dirige la rubrique relative aux activit�s de la police avant de se voir confier, depuis 2010, la couverture du Maghreb au service international du journal. Coauteur, pour Canal +, d�un documentaire de 90 minutes consacr� � la primaire socialiste de 2007 et intitul� �Candidats�, Isabelle Mandraud est laur�ate de la Fondation Hachette, prix jeune journaliste.
Le Soir d�Alg�rie : En charge des pays du Maghreb au sein de la r�daction du quotidien fran�ais Le Monde, vous n�h�sitez pas � vous d�placer, fr�quemment, sur le terrain. Cela vous procure quel avantage et entra�ne quel impact sur vos articles ?
Isabelle Mandraud :
C�est exact, je me rends sur le terrain aussi souvent que possible car cela me para�t indispensable pour tenter de comprendre au mieux les soci�t�s et les m�canismes politiques propres � chacun des pays du Maghreb. C�est une r�gion passionnante et je ne con�ois pas de mener ce travail �� distance �. Aller sur place est toujours riche en enseignements. Cela m�a permis, notamment, de percevoir la perc�e du parti islamiste Ennahda aux �lections du 23 octobre en Tunisie, bien avant le scrutin. En me rendant au centre de ce pays, dans des r�gions isol�es, �il n�y avait pas photo� si vous me passez l�expression. Les militants nahdaouis �taient tr�s pr�sents, tandis que ceux des autres formations semblaient bien timides, voire absents. A la suite de ces reportages, j�ai �crit un article sur �l�irr�sistible ascension d�Ennahda� qui m�a valu beaucoup de critiques et de reproches des �modernistes� tunisiens. Mais fallait-il taire ce qui apparaissait, sur le terrain, comme une lame de fond ?
Quel tableau commun peut-on mettre en �vidence � propos de la situation g�n�rale qui pr�vaut dans les pays du Maghreb ?

A l��vidence, les pays du Maghreb poss�dent beaucoup de traits en commun, une culture et des modes de vie proches, m�me si chacun a sa propre histoire et des syst�mes politiques diff�rents. La corruption, le ch�mage en g�n�ral, et celui des jeunes dipl�m�s en particulier, la grande pauvret� dans certains endroits et, surtout, un couvercle de la peur qui a saut� face � des pouvoirs de nature dictatoriale us�s, ce sont des traits communs � la plupart des pays du Maghreb. Enfin, l�utilisation massive des t�l�phones portables et le d�veloppement d�Internet ont, partout, contribu� � pousser les jeunes � devenir des acteurs de la vie int�rieure de leur pays en s�affranchissant des moyens traditionnels d�expression, par le vote, la revendication ou la manifestation. Tout ceci constitue les points communs d�une r�gion qui, aujourd�hui, est en �tat de �r�bellion�.
Cet �tat des lieux pr�dispose-t-il aux transformations en cours dans les syst�mes de gouvernance des pays concern�s ?
Sans aucun doute, mais selon des voies diff�rentes. Le couvercle a saut� violemment en Tunisie tandis que la Libye a v�cu un dramatique conflit arm�. Neuf mois apr�s le d�but du soul�vement, les premi�res �lections libres et d�mocratiques ont �t� organis�es en Tunisie, ce qui est assez remarquable m�me si la situation reste tr�s instable du fait, entre autres, des difficult�s �conomiques qui s�accroissent dans le pays. Apr�s 42 ans de r�gne sans partage de Kadhafi, les choses s�annoncent plus compliqu�es en Libye. Au Maroc, une autre voie a �t� suivie puisque le roi Mohammed VI a lui-m�me pris les devants pour endiguer un mouvement de contestation, en r�formant la Constitution puis en organisant des �lections l�gislatives anticip�es. Mais l� encore, force est de constater que les cons�quences sont un peu diff�rentes de celles esp�r�es puisque les partis proches du pouvoir ont �t� disqualifi�s dans les urnes. En Alg�rie enfin, apr�s les �meutes de janvier, il y a eu aussi anticipation, d�abord avec la lev�e de l��tat d�urgence, la redistribution massive d�une partie de la rente � sous forme d�augmentations des salaires, d�aides � l�emploi pour les jeunes et de subventions pour les produits de premi�re n�cessit� � puis avec l�annonce de r�formes politiques par le pr�sident Abdelaziz Bouteflika. D�une fa�on ou d�une autre, aucun pays du Maghreb n�est rest� � l��cart du �printemps arabe�, a fortiori indiff�rent.
Comment expliquer que les revendications de justice et de libert� exprim�es par les peuples maghr�bins aient conduit � l��mergence des mouvements islamistes comme force politique essentielle ?

C�est l�un des paradoxes des mouvements du monde arabe. Les islamistes n��taient pas aux premi�res loges lors des soul�vements, mais ce sont eux qui en r�coltent les fruits. Car les peuples descendus dans la rue ne sont pas les m�mes que ceux qui ont vot�, que ce soit en Tunisie ou en Egypte, encore moins au Maroc o�, d�ailleurs, les contestataires ont boycott� les �lections l�gislatives anticip�es. Je vais peut-�tre choquer, mais l��mergence sur le devant de la sc�ne politique de partis islamistes n�est cependant pas ill�gitime, en dehors m�me du fait qu�ils ont remport� de fa�on d�mocratique la bataille des urnes. Qu�on le veuille ou non, pendant des ann�es, ils ont incarn� la r�sistance face � des r�gimes brutaux et corrompus qui s��taient arrog� � bon compte un r�le de rempart contre �la menace islamiste�. C�est vrai en Tunisie, en Libye, en Egypte et peut-�tre demain en Syrie. Dans beaucoup de pays du Maghreb, les islamistes ont su habilement jouer sur la question identitaire arabo-musulmane, rassurante dans un environnement d�stabilis� et une mondialisation angoissante. Derri�re tout cela, il y a sans doute aussi beaucoup de d�ception vis-�-vis de l�Occident. La mont�e des salafistes est pr�occupante, mais le plus important, reste que les partis islamistes vainqueurs comme Ennahda en Tunisie ou le PJD au Maroc respectent leurs engagements en mati�re de d�mocratie.
Au total, les �v�nements en cours dans le Maghreb s�apparentent plus � des r�voltes qu�� des r�volutions n�est-ce pas ?

Ce sont surtout jusqu�ici des r�voltes, exception faite � mon avis de la Tunisie qui, en s�engageant dans la voie d�une Assembl�e constituante, va jusqu�au bout de la logique du changement. Dans d�autres pays comme l�Egypte, il est encore un peu trop t�t pour se prononcer.
L�Alg�rie est-elle une exception au Maghreb ?
Les ingr�dients d�un fort m�contentement social existent, lequel se manifeste par des explosions de col�re, �� et l�, de fa�on d�sordonn�e. Mais oui, l�Alg�rie constitue une exception dans le sens o� elle a connu, bien avant d�autres, un d�sir de lib�ralisation d�s la fin des ann�es 1980. H�las, il s�en est suivi une guerre civile terrible qui a forc�ment un impact encore aujourd�hui. Cette m�moire, alli�e au principe cher � la diplomatie alg�rienne de non-ing�rence, explique en partie sa r�serve vis-�-vis de ce qui se passe autour. En contrepartie, l�Alg�rie, le pays le plus important du Maghreb par sa taille, le nombre de ses habitants et sa lutte contre le colonialisme qui a influenc� une partie du monde, de la Palestine � l�Afrique du Sud, est apparue isol�e sur la sc�ne internationale.
L�action diplomatique de la France au Maghreb est-elle appropri�e ? Et celle des Etats-Unis d�Am�rique ?

Je ne sais pas si l�action de la diplomatie fran�aise est �appropri�e� comme vous dites, mais elle a �t� embarrass�e par les mouvements intervenus dans le monde arabe qu�elle a appr�hend�s de mani�res diff�rentes. Les liens humains, culturels, historiques, �conomiques avec le Maghreb sont � la fois un atout formidable pour la France et sa diplomatie, mais aussi un handicap en situation de bouleversement. De ce point de vue, on le voit bien, la diplomatie am�ricaine est plus r�active, m�me si elle reste entrav�e par le conflit isra�lo-palestinien.
M. C. M.

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