
Chronique du jour : LETTRE DE PROVINCE Naegelen et l’aveu de Bouteflika
Par Boubakeur Hamidechi
hamidechiboubakeur@yahoo.fr
Il a finalement choisi la «République» des juges pour adresser au pays
réel son premier message après 8 mois de silence. Même si ce ne fut
qu’une courte parenthèse ouverte à l’intérieur d’un laïus calibré à la
virgule près et qui se voulait comme un exercice improvisé dont il
serait l’unique auteur. Le chef de l’Etat a, par conséquent, corrigé sa
dérobade de Laghouat en s’astreignant, cette fois-ci, au pesant devoir
de clarification tant attendu par l’opinion. A-t-il convaincu faute de
rassurer sur l’essentiel ? Certainement pas si ce n’est qu’à travers le
court diagnostic l’on a cru déceler quelques aveux. Reconnaissant
d’abord qu’en matière d’élections la plupart des scrutins, tenus
jusque-là, avaient emprunté aux méthodes du gouverneur Naegelen, celles
de la fraude et la falsification des résultats, il s’engagera ensuite à
garantir la transparence des prochaines échéances. Sauf que cette
dialectique de tribun qui prône le dépassement de l’erreur par
l’artifice de la parole risque de laisser dubitatif l’électeur
abstentionniste même si elle doit faire l’affaire de quelques appareils
politiques… En effet, cela fait bien deux lustres que l’exorcisme des
promesses officielles a cessé d’opérer. Sous l’impulsion de sa
présidence, deux législatures ne viennent- elles pas de s’écouler et qui
se sont caractérisées par le recours à la pratique des quotas dans les
urnes et sa conséquence l’émergence d’indus élus ? Naegelen a donc bon
dos de nos jours lorsqu’il est évoqué comme un épouvantail politique car
sous le ciel souverain de l’Algérie, les malversations électorales des
pouvoirs n’ont-elles pas connu les sommets de la sophistication au point
que le sombre gouverneur colonial fait désormais figure de piètre
bricoleur ? Pire que les «élus de l’administration» qu’avait jadis
fabriqués la France avec quelques indigènes, le système algérien n’a eu
de cesse de formater des quasi-nervis à ses ordres qu’il envoyait, par
bataillons entiers, dans les institutions. Car si le recours à la
transgression des libertés politiques a son histoire en Algérie, elle
n’était souvent qu’épisodique avant d’être systématisée et normée. En
somme, elle définissait parfaitement le système lui-même. Pas de maire,
pas de députés ou de sénateur et surtout pas de président de la
République sans une pré-désignation en amont des bulletins de vote. Ces
derniers, n’ayant été que de faux paraphes à la plus modeste légitimité
jusqu’à la plus sacrée d’entre toutes, expliquent désormais pourquoi
l’électeur se détourne de ce devoir civique dont le chef de l’Etat fait
référence. Or, suffit-il actuellement de quelques réaménagements
cosmétiques des lois organiques pour renouer avec la confiance des
citoyens ? Même si l’année 2012 devait nous valoir quelques changements
positifs à travers les élections générales quel sera leur impact sur le
long terme afin de sortir du «système» et aller vers une seconde
république ? La question est nodale et pourtant l’on se refuse à
l’inviter au débat national. Dans le contenu des engagements du pouvoir,
l’on préfère abuser de la notion de «transition » avec tout ce que
celle-ci connote d’abord de restriction dans les «ordres du jour» et
ensuite du souci qu’a le pouvoir de demeurer le seul autorégulateur du
changement. Il est d’ailleurs significatif que Bouteflika continue à
cultiver le silence sur la nature de la réforme constitutionnelle tout
autant que sur l’agenda la concernant. A peine a-t-on eu écho, depuis
Paris et l’interrogatoire du ministre Medelci, que celle-ci serait fixée
à la fin de 2012. Ceci étant dit, la brève rhétorique du président
a-t-elle oui ou non clarifié ses intentions et éclairci l’horizon ? Sans
doute qu’il vient de laisser transparaître son éternelle méfiance à
l’endroit du multipartisme. C’est ainsi que pour se dédouaner de ses
anciennes directives censurant les agréments, il remet en avant un faux
distinguo entre «grands» partis et «partillons». Une étonnante pirouette
juste après avoir admis que les étalonnages électoraux des uns et des
autres furent par le passé factices. Idéologiquement, il se révèle peu
convaincu des réformes qui s’imposent à lui dans ce domaine en concédant
du revers de la main qu’il accordera le feu vert aux légalisations en
attente, quand bien même ne croit-il toujours pas à la réalité de leur
existence ! Voilà une curieuse perception pour recadrer la démocratie.
Celle à laquelle il reste attaché et qui s’est cimentée par la
connivence entre la puissante administration et les lobbies d’appareils
pour ensuite décréter «hors-la-loi» les voix critiques et les cercles
réfractaires à l’instrumentalisation. Or, cet état des lieux du champ
politique n’a-t-il pas été son œuvre au cours des dix années écoulées ?
Celle qui a fait croire qu’un pluralisme existait en l’illustrant par
des animateurs acquis et marchant sous les bannières du FLN et du RND,
notamment. En clair, les «grands» partis ne sont que ceux-là et tout le
reste n’est que confettis. De fait, le président promet de piloter le
changement des mœurs politiques de l’Etat sans que lui-même en soit
intimement convaincu de la nécessité. Il est dans la concession tactique
qui ne travaille qu’au devenir du pouvoir en place. Désormais, si une
croyance en le pluralisme démocratique est encore possible, il faudrait
peut-être en rechercher les bons pèlerins dans les modestes chapelles où
prêchent encore quelques solitaires personnalités. Car elles constituent
une sorte de «petite Algérie» accrochée à un grand idéal et rêvant du
grand soir. Pour le moment, la périphrase présidentielle qui caresse
dans le sens du poil le génie lucide du peuple s’adresse moins à ce
dernier qu’aux castes patriciennes qui l’ont longtemps accompagné mais
seraient tentées de rejoindre d’autres camps. En effet, comment peut-on
ignorer que, quand les princes sont en difficulté, ils ne font d’abord
que battre le rappel des allégeances ? C’est ce que vient de faire le
nôtre. Quant à l’électeur échaudé, il n’est pas sûr qu’il se soit
intéressé aux promesses déclamées devant la «république» des juges.
B. H.
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