Actualit�s : AHMED BENBITOUR, AU SOIR D�ALG�RIE :
�Je ne cr�erai pas de parti�


Entretien r�alis� par Brahim Taouchichet
Plusieurs fois ministre puis chef de gouvernement, Ahmed Benbitour est ce que l�on pourrait appeler le parfait fonctionnaire, s�rieux, studieux, homme des grands dossiers et de missions d�licates. Il a chut� dans le s�rail politique sans parrainage ni sponsors comme l�exigent les us et coutumes en vigueur. Il d�missionne en 2000 suite � un d�saccord avec Abdelaziz Bouteflika et � fait nouveau � le fait savoir dans une lettre rendue publique le lendemain m�me de cette grave d�cision et se retrouve mis � la retraite � l��ge de 54 ans ! Mais il n�est pas rest� dans son coin � ronger son frein. Bien au contraire, il fait preuve d�une grande activit� politique lui que l�on peut assimiler plut�t � un technocrate, commis de l�Etat. Pour lui, le pays tel que gouvern� actuellement fonce droit vers le pr�cipice, �la nation est en danger�. Par la faute d�un �pouvoir autoritariste et patrimonialiste �. Dans cet entretien exclusif au Soir d�Alg�rie, le Dr Ahmed Benbitour revient sur de nombreux sujets de l�actualit� politique et �conomique du pays dans un ton mordant sans �tre vindicatif pour autant. Il rejette d�un revers de la main la cr�ation d�un parti politique et toute participation aux prochaines �lections : �Je n�ai pas l�intention de cr�er un parti, ni d�appeler � la participation aux �lections.� Il ne croit pas non plus � la capacit� des partis politiques d��tre une alternative pour le changement.
Le Soir d�Alg�rie : De �L�enfance studieuse et militante� durant la p�riode coloniale � l�homme dans la force de l��ge engag� dans les affaires de l�Etat alg�rien ind�pendant, voil� une bien singuli�re trajectoire�
Dr Ahmed Benbitour :
Je suis n� dans la p�riode imm�diate de l�apr�s-Seconde Guerre mondiale dans une famille de commer�ants nationalistes. Orphelin de p�re, j�ai �t� �lev� par ma m�re. Mon oncle maternel a �t� arr�t� en 1941 �pour d�tention ill�gale d�armes de guerre� et emprisonn� � la prison de Berrouaghia. Il est mort en 1943, � la suite d�une tuberculose qu�il a contract�e dans les conditions p�nibles de son emprisonnement. Mon oncle paternel est arr�t� en 1948 une premi�re fois �pour atteinte � la s�curit� ext�rieure de l�Etat� et, en 1957, une derni�re fois. Il a �t� jet� d�un avion dans le d�sert de la r�gion de Timimoun, la m�me ann�e. Un moudjahid, ancien ministre, qui a connu ma m�re dans l�action militante pendant la guerre de Lib�ration nationale l�a qualifi�e dans un livre qu�il vient de publier de �passionaria d�El-Gol�a�. C��tait cela l�ambiance militante dans laquelle j�ai grandi. Les bons r�sultats scolaires ont fait le reste pour d�terminer cette trajectoire singuli�re. En r�alit�, c�est une exp�rience o� pourrait se retrouver toute une g�n�ration. Celle qui a v�cu son enfance pendant la guerre de Lib�ration nationale et sa vie active dans la p�riode d�apr�s-ind�pendance. Une g�n�ration qui a port� les espoirs d�une Alg�rie de progr�s et de prosp�rit�, digne de la grandeur de son peuple et des potentialit�s de son pays. L�espoir �tait fond� au d�part : une R�volution prestigieuse, des opportunit�s de carri�re formidables. D�s la fin des �tudes sup�rieures, on est propuls� � de hautes responsabilit�s. J�ai commenc� ma carri�re comme professeur de management et directeur de la planification et du contr�le de gestion dans une entreprise publique qui employait 16 000 travailleurs.
Vous faites partie des hauts cadres de l�Etat appartenant � une g�n�ration, pur produit de l��cole alg�rienne, qui critiquent violemment le syst�me une fois lib�r�s de l�obligation de r�serve. R�glement de comptes ou conviction que vous pouviez faire plus et mieux ?
C�est la conviction que le pays pourrait faire beaucoup plus et bien meilleur, s�il �tait correctement gouvern�. Je n�ai pas attendu de quitter le syst�me pour exprimer mes craintes. J�ai �crit un premier livre en 1992, alors que j��tais membre du gouvernement qui commen�ait par : �En d�but de cette derni�re d�cennie du XXe si�cle, la situation �conomique et sociale appara�t bien pr�occupante. � On y trouve �galement, en parlant des �lections de 1991 : �Les r�sultats des �lections, aussi bien par l�abstention que par les voix exprim�es, confirmaient le d�sir d�un changement radical. Ce changement radical signifie un changement de la gestion �conomique, sociale et politique qui �tait totalement d�faillante et qui est responsable de la situation actuelle du pays.� Dans le deuxi�me livre publi� en 1998, nous pouvons lire : �Aujourd�hui, le pays vit une exp�rience douloureuse parce que le syst�me politique en place depuis l�ind�pendance, marqu� par la cooptation, c�est-�-dire la fid�lit� au chef au d�triment des principes, a emp�ch� l�installation de la comp�tence aux niveaux �lev�s de la hi�rarchie de l�Etat.� Ou encore : �Ainsi par l�incomp�tence, la corruption, la pr�bende, la mauvaise gestion des affaires �conomiques et la cooptation, le syst�me politique pr�valant a cr�� un contexte o� se c�toient la mis�re sociale et l�humiliation, bien mises en �vidence par l�expression hogra.� Dans Radioscopie de la gouvernance alg�rienne, je publie en annexe II, le texte du projet de r�formes que j�ai propos� au chef de l�Etat en 1995 ; il est intitul� : �Elections pr�sidentielles et Pacte national politique et social pour le progr�s et la prosp�rit�. Il s�agit d�une feuille de route dont l�application aurait permis la mise en place de tous les instruments d�une r�publique moderne � fin 1998.
Justement, Radioscopie de la gouvernance alg�rienne(*), un constat sans complaisance, peut �tre aussi amer et � la limite de l�alarmisme de la r�alit� �conomico-politique de l�Alg�rie de ce 21e si�cle.
Il ne s�agit pas d�alarmisme, mais d�une analyse lucide et responsable qui d�crit l�Alg�rie avec, d�un c�t�, ses atouts et ses potentialit�s et, de l�autre, ses faiblesses et ses d�rives. Dans ce livre �crit en 2006, je disais que l��conomie alg�rienne est vuln�rable, volatile et d�pendante et que l�Etat alg�rien d�rivera durant la d�cennie 2000-2010 vers un Etat d�faillant. Qu�en est-il aujourd�hui ? L��conomie est plus vuln�rable, plus volatile et plus d�pendante, comme le confirment ces chiffres : les importations sont pass�es de 20,68 milliards de dollars en 2006 � 38,89 en 2010, soit une augmentation de 88%, presque le doublement. Il y a une acc�l�ration de la volatilit�, lorsque nous comparons les budgets de l�Etat de 2010 et 2011. En 2010, les recettes courantes plus la fiscalit� p�troli�re � 37 dollars le baril couvraient � peine le budget de fonctionnement et il ne reste que 172 milliards de dinars pour le budget d��quipements ! En 2011, les recettes courantes et la fiscalit� p�troli�re � 37 $ ne couvrent plus que 74% du budget de fonctionnement et il ne reste rien pour le budget d��quipements. Donc, la situation ne fait que s�aggraver. Le dire avec les chiffres n�a rien d�alarmiste ! Aujourd�hui, l�Etat alg�rien r�pond aux cinq crit�res d�un Etat d�faillant et il d�rivera, � moins d�un changement, durant la d�cennie 2010-2020 vers un Etat d�liquescent.
Certains parlent de r�miniscences d�un homme d��u et aigri qui a tout donn� et qui n�a rien obtenu en retour.
Un homme d��u, oui, aigri, pas du tout. J�ai toujours consid�r� chacune de mes missions au service de l�Etat alg�rien comme un acte de remboursement de la dette contract�e par ma g�n�ration aupr�s de celle qui l�a pr�c�d�e. C�est pourquoi, aux premiers mois de l�ind�pendance, je me suis engag� dans une course effr�n�e pour rattraper le retard accumul� dans les �tudes pendant la guerre de Lib�ration nationale. Par la suite, je me suis lanc� le d�fi de r�aliser un cursus universitaire dans les branches les plus difficiles et les plus utiles, pour l��tape de d�veloppement que traversait mon pays : math�matiques, gestion, �conomie et finances, afin de r�pondre aux exigences les plus contraignantes de mon m�tier. Dans l�exercice de mes fonctions, aux diff�rents niveaux de la hi�rarchie de l�Etat, j�ai rarement pris des vacances. Mais, ironie du sort, et � l�instar de beaucoup de comp�tences, je me suis trouv� � la retraite � l��ge de 54 ans. Au moment o� le pays avait le plus besoin de savoir et d�exp�rience. Vous constatez que je ne critique jamais les personnes mais j�analyse les programmes, les missions et les institutions. La mission d�finit un profil de comp�tence pour la r�aliser. Lorsque cette comp�tence n�existe pas, je le signale. Ce n�est pas attaquer ces responsables, mais juste leur dire qu�ils n�ont pas le profil n�cessaire !
En m�me temps, le livre donne l�impression d�un plaidoyer pour le �meaculpa � d�Ahmed Benbitour qui avait quand m�me la charge de nombreuses et d�licates affaires de l�Etat.

Le �mea-culpa� de ce que l�on a fait par rapport � ce que l�on pouvait faire. En fait, le r�gime en place, caract�ris� par le client�lisme, entre autres, n�accepte pas le changement, m�me pas dans les limites de votre mission. Pour moi, c�est une question d�ambition pour mon pays, parce qu�il a les potentialit�s humaines et mat�rielles pour �tre un grand pays. C�est aussi une question de reconnaissance vis-�-vis de ceux qui ont donn� leur vie pour l�ind�pendance de ce pays. C�est, enfin, une question de responsabilit� vis-�-vis des g�n�rations futures, puisque nous exploitons des ressources non renouvelables (p�trole et gaz).
A chaque �tape de votre itin�raire,
vous affirmez refuser des postes au sein des institutions et vous donnez l�impression que l�on vous force la main mais vous acceptez finalement apr�s un �th� � la pr�sidence...
Quand il fallait �tre ferme, je l�ai �t�. Mais je ne suis pas t�tu au point de ne pas prendre en compte les arguments que m�expose celui qui m�appelle � une fonction, d�autant plus s�agissant de personnalit�s au sommet de la hi�rarchie de l�Etat. Je voudrais pr�ciser qu�il faut faire la diff�rence entre assumer des missions au service de l�Etat et �appartenir au syst�me�. Dans les faits, j�ai d�missionn� de mon poste de directeur des �tudes et de la pr�vision au minist�re des Finances � la suite des �v�nements d�Octobre 1988. J�ai d�missionn� de mon poste de ministre des Finances parce que le gouvernement n�a pas retenu ma proposition de restructuration du secteur bancaire. J�ai d�missionn� du poste de chef du gouvernement, lorsque le chef de l�Etat a d�cid� de l�gif�rer par ordonnance. J�ai refus� d�entrer dans le gouvernement en juin 1991. J�ai refus� la proposition de chef de gouvernement en 1998. J�ai accept� d�entrer pour la premi�re fois dans le gouvernement en f�vrier 1992 avec l�arriv�e de feu le pr�sident Boudiaf, parce qu�alors un grand espoir nous �tait permis.
Voulez-vous dire que le syst�me � � travers ses hommes � vous utilise puis vous jette comme un citron press� quand il n�a plus besoin de vous ?

Le syst�me est plus int�ress� par la docilit� et la soumission que par la comp�tence et la fermet�. Il peut, momentan�ment, accepter en situation de grandes difficult�s la comp�tence, mais jamais la fermet�. Dans mon travail, je suis poli mais ferme sur les principes et l�avenir des g�n�rations futures. Beaucoup de gens confondent politesse et laxisme.
En m�me temps, vous d�noncez �l�inculture et l�incapacit� des dirigeants successifs � construire un Etat avec des institutions cr�dibles et fortes�.

Nous assistons � la centralisation du pouvoir de d�cision entre un nombre r�duit d�individus en lieu et place des institutions habilit�es. Par exemple, plus de 50% de la fiscalit� p�troli�re n�est pas inscrite dans la loi de finances et �chappe de ce fait au contr�le, a priori, du Parlement. Il faut noter que l�institutionnalisation du pouvoir est contrebalanc�e par la personnalisation du pouvoir, le culte de la personnalit�, la g�n�ralisation de la corruption, l�institutionnalisation de l�ignorance et de l�inertie. Les exp�riences dans d�autres pays prouvent que la r�ussite de sortie de crise d�pend essentiellement de la qualit� des institutions et de celle des responsables qui doivent y faire face. C�est pourquoi je dis : comprendre les raisons de la d�rive ne suffit pas, il faut les comp�tences et les institutions ad�quates pour y faire face.
Fr�quemment, vous exprimez votre reconnaissance et vos remerciements � ceux de vos collaborateurs et � des personnalit�s de haut rang du pouvoir. N�est-ce pas pr�server l�avenir, votre avenir politique ?
Mon avenir est dans le changement de tout le syst�me de gouvernance et pas seulement de ses dirigeants actuels. Le seul avenir qui nous attend, si ce syst�me de gouvernance concentre toutes ses forces � maintenir le statu quo n�cessaire � sa survie, est une soci�t� d�structur�e, appauvrie dans tous les sens du terme, sans rep�res et sans valeurs.
Des rumeurs circulent quant � l�invitation d�Ahmed Benbitour � �prendre un th� � la pr�sidence�, c�est-�-dire revenir aux affaires...

Je ne fais pas attention aux rumeurs. Mais comme je viens de le dire, j�ai la plus forte conviction que le pays est � la d�rive et la nation en danger. La seule issue est le changement de tout le syst�me de gouvernance. Nous sommes � un carrefour qui nous m�nera vers le mod�le des pays �mergents : Chine, Br�sil, Turquie�, s�il y a le changement d�sir�. Nous irons fatalement vers une situation semblable � la Somalie avec le statu quo.
Le �clash� avec le pr�sident Bouteflika � parce que vous refusiez le �jeu de l�ombre�� sanctionn� par une lettre de d�mission rendue publique, par ailleurs, le 26 ao�t 2000, vous conforte-t-il aujourd�hui encore dans cette d�cision ?
Il n�y a pas eu de �clash� entre le pr�sident et moi. Nous avons des conceptions diff�rentes de l�Etat. Moi je suis pour un Etat appuy� sur des institutions fortes, lui croit dans un Etat centralis�, entre les mains d�un nombre restreint d�individus. Le temps a malheureusement confirm� mes craintes. Je dis qu�il n�y a pas de �clash� parce que, lorsque le pr�sident m�a re�u pour lui pr�senter la d�mission de mon gouvernement, il m�a retenu pendant plus d�une heure pour me parler de son exp�rience politique et on s�est quitt�s � ma demande, en se donnant un rendez-vous pour un d�ner ult�rieurement afin de prendre le temps de continuer notre discussion. Le rendez-vous n�a pas eu lieu.
De par votre exp�rience approfondie des rouages de l�Etat et du s�rail politique, vous en �tes arriv� � conclure qu�il faut �casser� le syst�me de l�ext�rieur�

En quittant le gouvernement, je me suis pos� la question suivante : que faire pour le changement ? J�ai fait une analyse comparative des exp�riences de l�Alg�rie, des pays d�Am�rique latine, de l�Europe du Sud (Espagne, Portugal, Gr�ce), de l�Europe de l�Est et de l�Asie. J�en ai retenu trois hypoth�ses de travail, fiables. 1- Le r�gime alg�rien travaille � sa propre destruction. Mais avec la rente, le chemin de la d�rive est lent. Du fait de la lenteur de ce processus, lorsque le r�gime se d�truit, il d�truit avec lui toute la soci�t� par un m�lange d�tonant de pauvret�, de ch�mage chez les jeunes, de corruption et de perte de morale collective. 2- Le changement pacifique ne peut venir de l�int�rieur du syst�me, ni des appareils officiels enti�rement soumis au contr�le du pouvoir en place (Parlement, partis politiques de l�Alliance ou de l�opposition), ni de la soci�t� civile telle qu�elle est organis�e par le pouvoir. Il ne viendra pas davantage via l�agenda gouvernemental (�lections, r�f�rendum, assembl�e ad hoc�). 3- La d�cennie 2010- 2020 enregistrera la d�rive de l�Etat alg�rien de sa situation actuelle de d�faillance vers une nouvelle situation de d�liquescence, c�est-�-dire un Etat chaotique, ingouvernable. Face � une telle conviction, le choix est clair : ne rien faire et subir la d�rive avec tous les risques de d�rapage ou profiter de l��veil politique mondial pour pr�parer le changement dans le calme et la s�r�nit� afin de placer le pays dans la voie du progr�s et de la prosp�rit�.
Cela vous a amen� � entrer de plainpied dans l�opposition et vous d�veloppez un impressionnant activisme par le recours � diff�rents canaux de communication, comme internet et aussi Facebook, mis � la mode par les �v�nements de Tunisie et d�Egypte. Pour quels r�sultats ?

Vous constatez que j�ai utilis� le mode de communication des TIC, plus d�une ann�e avant les exp�riences en Tunisie et en Egypte qui sont venues confirmer nos hypoth�ses de travail. J�ai lanc� mon programme Cercles d�initiative citoyenne pour le changement (CICC) en novembre 2009. Il s�agit d�appeler � une mobilisation pacifique pour le changement en r�unissant trois facteurs : 1- Une pression des citoyens forte, croissante et durable sur le pouvoir en place et r�clamer le changement du syst�me de gouvernance et pas seulement le changement des dirigeants. 2- Une alliance strat�gique entre les forces du changement pour construire une capacit� viable de propositions, de n�gociations et de mise en �uvre du changement. 3- Se pr�parer � profiter d�un �v�nement d�clencheur. Les exp�riences tunisienne et �gyptienne du d�but de l�ann�e 2011 ont prouv� que des citoyens r�unis avec pers�v�rance en un endroit strat�gique de la capitale, sans leaders, sans programme politique pr��tabli et face � des forces de r�pression importantes, sont capables de faire partir les chefs d�Etat. Ils ont d�montr� que les dirigeants actuels ne peuvent plus b�n�ficier du paradis de l�exil, ni pour eux-m�mes, ni pour leurs familles, ni pour leurs proches collaborateurs. Donc, l�objectif primordial de mon travail est la mobilisation pacifique pour le changement. Pour les autorit�s en place, le choix est clair : 1- Laisser faire et vendre des r�formes cosm�tiques et alors, elles subiront ce qu�ont subi les dirigeants de Tunisie, d�Egypte, de Libye, du Y�men et de Syrie, en mettant le pays dans le chaos. 2- Etre partie prenante de la pr�paration du changement en n�gociant avec les forces du changement une feuille de route et un agenda pour la mise en �uvre du changement du syst�me de gouvernance. Ce sera la concr�tisation d�une p�riode de transition.
Votre vision de l�Alg�rie de demain donne froid dans le dos compte tenu de notre d�pendance pratiquement totale des hydrocarbures dont �la totalit� des r�serves sera extraite en 2050�, dites-vous. Le pire est � venir ?

Oui, tr�s froid. J�ai signal� la d�rive fiscale dans une question pr�c�dente. Il en est de m�me pour le commerce ext�rieur. Les recettes d�exportations hors hydrocarbures couvraient � peine 5% des importations en 2006. C��tait d�j� tr�s inqui�tant. En 2010, ce chiffre est tomb� � 2%. Lorsque nous importons 75% des calories que nous consommons vous avez une id�e de notre d�pendance. Au niveau politique, la force d�inertie d�mobilisatrice qui gangr�ne le pays le m�nera lentement mais s�rement � la r�gression. Ce serait la marginalisation des comp�tences nationales pr�sentes dans le pays ou � l��tranger. Notre �conomie se limiterait pour l�essentiel � exploiter une ressource non renouvelable (le gaz et le p�trole) au d�triment des g�n�rations futures. Ce sera le basculement dans une anarchie rythm�e par les r�voltes de gens assoiff�s de vengeance, � la recherche de t�tes, d�cid�s � d�truire, faute de perspectives solides de changement, tout ce qui repr�sente une r�f�rence au r�gime pr�dateur responsable de leur mis�re.
Selon vous, l�Alg�rie enrichit l�Europe et les Etats-Unis en leur fournissant le gaz et le p�trole contre des �devises volatiles� que confirmerait la crise financi�re internationale en vigueur ?

Ce que j�ai dit, c�est que l��conomie alg�rienne se sp�cialisait dans la transformation d�une r�serve non renouvelable (le p�trole et le gaz) en une r�serve volatile (les devises d�pos�es � l��tranger). Par exemple, en 2007, sur 59,61 milliards de dollars de recettes d�hydrocarbures, 28,27 sont all�s gonfler un niveau de r�serves d�j� �lev�. En d�autres termes, sur 100 dollars de recettes d�exportations, 47 dollars sont rest�s � l�ext�rieur inutilement ! Aujourd�hui, des experts reconnus et ayant occup� des responsabilit�s importantes dans le secteur de l��nergie pr�voient la fin des exportations d�hydrocarbures dans 25-30 ans ! Mais les probl�mes commencent bien avant cette date ; avec la baisse sensible des capacit�s d�exportation sous l�effet de la baisse de la capacit� de production et l�augmentation de la demande nationale. Dans El Moudjahiddu 29 janvier 2006, le ministre de l�Energie pr�voyait la production de 2 millions de barils/jour en 2010 et l�exportation de 85 milliards de m�tres cubes de gaz en 2010 et 100 milliards de m�tres cubes en 2015. Les r�alisations de 2010 sont � 70% pour le p�trole et 67% pour le gaz !
Quelle serait alors selon vous l�alternative pour �viter les cons�quences catastrophiques de la �politique d�sastreuse� men�e actuellement ?
La situation de l�Alg�rie de la baisse sensible des capacit�s d�exportation d�hydrocarbures que je situe en 2018-2020 d�pendra essentiellement de deux facteurs : 1- La qualit� des politiques de substitution entre les hydrocarbures et le savoir, c�est-�-dire la transformation d�une �conomie malade de la mal�diction des ressources en une �conomie de protection et de d�veloppement ; autrement dit, la transformation du capital naturel non-renouvelable en capital humain g�n�rateur de flux de revenus stables et durables (investissements de qualit� dans les ressources humaines : �ducation, sant�, savoir, comp�tences �). 2- La qualit� des politiques d�int�gration dans une �conomie mondiale de plus en plus globalis�e, o� les fronti�res nationales seront totalement perm�ables. Face � ces deux facteurs et la caract�risation de l��conomie alg�rienne que je viens de faire, l�Alg�rie se distinguera par l�un des deux sc�narios suivants : 1- Une �conomie de d�veloppement et de protection qui a �limin� la mal�diction des ressources dans sa politique int�rieure ; doubl�e d�une �conomie bien int�gr�e � l��conomie mondiale qui a su profiter du rattrapage technologique. Ce sera l�Alg�rie de nos r�ves. Pour cela, il faut un changement de syst�me de gouvernance dans les meilleurs d�lais. 2- Une �conomie malade de la �mal�diction des ressources� sans ressources naturelles parce que �puis�es ; doubl�e d�une �conomie marginalis�e par la contagion au niveau de l��conomie mondiale.
Vous avez d�clar� ne pas avoir �t� suivi par la soci�t� civile et la population lors du lancement des initiatives citoyennes. Qu�est-ce qui a chang� aujourd�hui ?

Le train de changement est en marche dans toute la r�gion, le freiner ou le retarder ne fera qu�aggraver la situation et en premier lieu le salut des autocrates. Hier, la lutte pour l�ind�pendance s�est appuy�e sur le nationalisme au niveau local et la d�colonisation au niveau international. Aujourd�hui, la mobilisation pour la lib�ration de l�individu s�appuie sur la citoyennet� au niveau local et sur les droits universels � la libert� et � l��mancipation au niveau international. Les temps, les espaces, les environnements sont diff�rents, mais les processus sont les m�mes. Hier, c��tait la lutte arm�e pour chasser l�occupant sourd � toute id�e de n�gociation ; aujourd�hui, c�est le combat citoyen pour changer le syst�me autocrate, r�pressif, sourd � toute id�e de dialogue, par une mobilisation pacifique qui s�exprime par les marches, les rassemblements, les manifestations et les gr�ves. Plus que jamais, le peuple exige le changement et veut �radiquer les stigmates des malheurs qu�il a endur�s. De fait, tout est d�j� en place pour assurer la fin de partie pour les gouvernants reni�s par leurs peuples. La suite des �v�nements pourra alors s�envisager dans un esprit nouveau, d�ouverture, de justice et de sagesse. Une transition sera instaur�e, comme diverses personnalit�s n�ont pas manqu� d�y faire r�f�rence.
L�ANC � Alliance nationale pour le changement � que vous avez cr��e et dont vous �tes le pr�sident participera-telle aux prochaines �lections �lectorales ? Au demeurant, votre parti sera-t-il agr�� � la lumi�re de votre participation avort�e � la pr�sidentielle du fait du nombre insuffisant de signatures ?

Merci pour cette question parce qu�elle me donne l�occasion de corriger pas mal de fausses informations. D�abord, en ce qui concerne l��lection pr�sidentielle de 2004, j�avais �crit un article en avril 2003 o� j�affirmais qu�en Alg�rie, tout comme dans n�importe quel syst�me autocrate, lorsque le pr�sident en exercice se pr�sente aux �lections, il ne laisse aucune chance � tout autre candidat de r�ussir. Quand le pr�sident a annonc� officiellement sa candidature, j�ai retir� la mienne. Quant � votre question sur l�ANC, je voudrais pr�ciser que j�ai lanc� en novembre 2009, le programme des CICC. Apr�s une ann�e, j�ai fait le point de notre exp�rience et j�ai vu que le moment �tait venu de passer � la cr�ation des conditions d�alliances entre les forces du changement pour d�finir une capacit� de proposition de n�gociations et de mise en �uvre. C�est alors que j�ai lanc� en novembre 2010 le Manifeste pour une Alg�rie nouvelle et appel� � une mobilisation des Amis du Manifeste. La construction des alliances s�impose comme une solution viable parce que : 1- Apr�s vingt ann�es de divisions id�ologiques qui nous ont dress�s politiquement, physiquement, moralement et intellectuellement les uns contre les autres, les blessures sont encore profondes et douloureuses au sein de la soci�t�. 2- L�incapacit� des courants politiques continuellement divis�s � proposer une alternative cr�dible risque de provoquer la lassitude et la d�motivation d�une population fatigu�e et d�sabus�e. 3- Les tentatives r�p�t�es de fractionnement, divisions et manipulations de la part de certaines franges du pouvoir rendent impossible un travail d�union des forces du changement dans le court terme. D�o� l�appel � l�alliance qui ne signifie ni union, ni fusion, mais, simplement, la mise en commun des moyens de mobilisation pacifique pour le changement. C�est � la suite de cet appel que certains partis politiques, associations et personnalit�s ont organis� une rencontre � Z�ralda pour discuter des conditions d�alliances. J�y �tais invit� en tant qu�initiateur du manifeste. La rencontre a conclu � la pr�paration d�un congr�s national pour la cr�ation de l�Alliance nationale pour le changement. Les conditions d�organisation de ce congr�s ne sont toujours pas r�unies. Il n�y a pas de pr�sident, c��tait un travail d��quipe, j�en �tais le catalyseur. J�ai clairement d�montr� que le changement d�sir� ne viendra ni des partis politiques, ni de l�agenda gouvernemental (�lections ou autres). En coh�rence avec cela, je n�ai pas l�intention de cr�er un parti, ni d�appeler � la participation aux �lections.
Un dernier mot pour clore cet entretien et � la veille de la nouvelle ann�e ?

J�aimerais souhaiter � toutes les Alg�riennes et � tous les Alg�riens mes meilleurs v�ux de bonheur et de prosp�rit� dans une Alg�rie o� ils pourront vivre leur modernit� dans la paix et la s�r�nit�. Pour que cela ne reste pas un simple v�u, il faudrait int�rioriser le fait que la sauvegarde de la Nation alg�rienne devrait devenir, par del� les vicissitudes du moment, l�objet principal de notre mobilisation et de nos pr�occupations quotidiennes et nous incite � pr�parer, dans les plus brefs d�lais, la transition que le peuple alg�rien, dans son ensemble, souhaite voir s�installer.
B. T.
Radioscopie de la gouvernance alg�rienne- (Edition revue et corrig�e) - 280 pages - Edif 2000 - 800 DA





Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2011/12/27/article.php?sid=127922&cid=2