Contribution : LE MAL POLITIQUE ALG�RIEN
Ou le boumedi�nisme rattrap� par l�histoire (1re partie)


Par Kamel Khelifa, journaliste-auteur
Les contributions des moudjahidine Mohamed Maarfia et Mahdi Ch�rif ont fait l�effet d�un coup de tonnerre dans le microcosme alg�rois, au grand bonheur de bon nombre d�Alg�riens avides d�en savoir un peu plus sur leur histoire verrouill�e, cloisonn�e et �touff�e par un syst�me qui a l�air de m�priser la m�moire des hommes et des �v�nements.
Leurs t�moignages, � travers les colonnes du Soir d�Alg�rie, sont � applaudir, d�autant qu�il s�agit de faits et d�hommes que le syst�me, mis en �uvre par Houari Boumediene, a voulu effacer de la m�moire collective. D��vidence, le monde s�interroge sur le silence des stentors du boumedi�nisme d�autant qu�il s�agit de d�lits, de crimes et d�atteintes � la dignit� humaine r�guli�rement port�s sur la place publique. Mais les derni�res r�v�lations en relation avec des h�ros de la R�volution de Novembre, les colonels Amirouche et Si El-Haoues, morts sans s�pulture et leurs d�pouilles enfouies dans les sous-sols d�une gendarmerie, apr�s avoir subi le m�me sort dans une caserne militaire de l�arm�e fran�aise, outre qu�elles donnent froid dans le dos, ne sont pas de nature � honorer les auteurs de ce d�lit de profanation... M�ditons cette maxime : �Les m�mes causes produisent toujours les m�mes effets.� En guise de r�ponse, l�opinion publique a eu droit � un fatras d�arguties agit�s depuis le 13 octobre 2011, date du premier article de Mohamed Maarfia, par une petite poign�e de thurif�raires et autres laudateurs du r�gime de Boumediene avec lesquelles ils n�arrivent � convaincre personne. Mais la plus surprenante des r�ponses, vient sans doute de Noureddine Boukharouba, livraison du Soir d�Alg�rie du 30 d�cembre 2011, dont voici r�sum� en substance le contenu et le style : �Qu�on nous dise pourquoi Houari Boumediene, dont le seul regard faisait trembler les plus endurcis de ses adversaires, pourquoi donc aurait-il eu peur de quelques ossements de qui que ce soit�� Si M. Noureddine Boukharouba ne renie pas la r�putation d�un parent qui inspirait la peur, il semble, � en juger par les propos, qu�il en tire motif � gloriole ! Cela peut � la rigueur se comprendre, mais la question lancinante qui reste pos�e est de savoir si l�Alg�rie gagnait � �tre gouvern�e par la peur ou la raison ? Ce faisant, par de telles d�clarations, n�enfonce-t-il pas un peu plus l�homme de tous les coups de force : dont les plus connus sont les coups d�Etat de 1962 contre le Gouvernement provisoire, de 1965 contre Benbella, l�homme coopt� par lui trois ans plus t�t� Paradoxalement, la r�ponse de N. Boukherrouba ne fait que justifier, si besoin est, l�insurrection du 14 d�cembre 1967 (qu�il consid�re comme �trahison, d�loyaut�, et tutti quanti�) contre le pouvoir d�un colonel qui avait suscit� beaucoup plus la crainte au lieu d�inspirer le respect, l�admiration, voire l�amour� Ne serait-ce pas du pur sadisme pour un homme d�Etat de faire trembler son monde ? Les Alg�riens ne lui ont pas exig� de lire, de s�impr�gner et de respecter les id�es des Lumi�res, mais il y avait un minimum de morale politique � observer envers un peuple encore traumatis� par une sale guerre ayant dur� plus de 7 ans� Au-del� du r�sultat, de cette tentative de coup d�Etat de 1967 relat� par Mohamed Maarfia et Mahdi Ch�rif en toute objectivit� et que M. N. Boukharouba juge �lamentable�, le fait de s�insurger prouve que ces hommes ne tremblaient pas devant Houari Boumediene et le r�gime de terreur par lui instaur�. En effet, il fallait beaucoup de courage, dans un pays tenu d�une main de fer, � quelque 5 000 personnes d�entrer en dissidence � cette �poque, dont 2 000 environ furent interpell�es et des centaines enferm�es (sans jugement) pendant des ann�es dans des prisons dont la plus sinistre et la plus inhumaine �tait certainement la prison militaire d�Oran(1). Les propos du neveu de Boumediene sont pour le moins �tranges. Ils sont tenus par un universitaire de son �tat, nanti d�un titre scientifique r�put� �tre guid� par l�id�e de raison et la rigueur des connaissances v�rifiables de l��tre humain. Celui qui semble �pein� par la haine et la d�sinformation subies par son pauvre oncle� doit sans doute ignorer que ces gens et leurs compagnons d�armes, leurs proches, leurs amis, leurs voisins, se comptant par centaines dans ce cas, n�ont pas fait �tat (certainement par pudeur ou par d�cence), de ce qu�ils ont subi personnellement dans les ge�les, et leurs familles � l�ext�rieur, comme atteintes � la dignit� humaine, au droit de la personne et des prisonniers politiques� quoique le moudjahed Mahdi Cherif en avait fait allusion dans sa contribution�. Et voil� en quels termes injurieux, vindicatifs, voire hargneux M. Boukharouba traite des hommes qui se sont �lev�s contre le pouvoir d�un colonel qui assume sa dictature (exempt selon son neveu de tout reproche), pour faire trembler tous les Alg�riens en d�saccord avec lui : (�Cette brochette d�ex-officiers rebelles, copains issus d�un m�me �douar� ; ��Ils se tenaient au garde-�-vous devant ces grands chefs d�alors, sans oser lever les yeux ni dire un mot�� ; Ils ont trahi leur fr�re d�armes d�hier lors de la tentative de putsch lamentable de d�cembre 1967 et tent� de l�assassiner par la suite�� ; �La d�loyaut� et la trahison sont les titres de noblesse de ces mercenaires de la plume�� Enfin ! on peut comprendre le fanatisme et la sublimation du r�gne de Boumediene par ses idol�tres et a fortiori par son parent, mais sachons raison garder : au nom de quelle l�gitimit�, ou pour quel autre motif un Alg�rien (soldat ou civil) accepterait-il de se mettre �au garde-� vous et sans mot dire� en voyant son pays livr� � la merci d�un dictateur ? A elle seule, cette phras�ologie de glorification de Boumediene et de son r�gne est une sentence sans appel du boum�di�nisme et elle justifie pleinement tous les actes de r�bellion, les tentatives de coup d�Etat et d�assassinat dont fut l�objet cet homme en 1967, en 1968, etc. Le Boumedi�nisme, en tant que syst�me de pouvoir autocratique et cryptocratique, est fond� sur l�absolutisme beylical d�esprit et l�autoritarisme militaire de fait, mat�rialis�s par des coups de force, pr�c�d�s de calculs froids, aliment� par la parano�a et la m�fiance envers tout le monde, ayant pour lubrifiant la ruse paysanne et appuy� d�une seule devise : �La fin justifie les moyens.� N�oublions pas que l�unanimit� contre cet homme ne remonte pas � 1967, ou 1968, elle commen�a en 1962 lorsque le GPRA lan�a un mandat d�arr�t contre �cet officier rebelle� (sic) et ses compagnons de l�EMG� Un proverbe dit : �On ne re�oit qu�en raison de ce que l�on donne.� Et ce n�est pas un hasard si tous les historiques de la premi�re heure ou presque (Hocine A�t Ahmed, Mohamed Boudiaf, Krim Bekacem, Mohamed Khider, le colonel Mohamed. Chaabani, Bachir Boumaza), et tant d�autres hommes politiques en 1967 (Tahar Zbiri, Laroussi Kh�lifa, Azziz Zerdani), puis dans les ann�es 1970, Ferhat Abbas, B. Benkhedda, Cheik Kheirdine, Lahoual, etc., se sont oppos�s � la mainmise totale de cet homme sur le pays... Comme si le destin d�un pays ne pouvait d�pendre que de la volont� d�un seul homme... Ces moudjahidine ne se sont pas soulev�s contre Boukharouba ou Boumediene en tant qu�officier ou individu, mais contre le boumedi�nisme en tant que syst�me fait de m�pris et de culte de la personnalit�, en refusant pr�cis�ment de �trembler, de se mettre au garde-�-vous et rester sans mot dire� devant un militaire dont le credo politique est la ruse et la force. Tahar Zbiri avait �chou�, parce qu�il consid�rait le dialogue comme le propre de l�homme politique. Profitant de ses consid�rations et atermoiements, Boumediene, poursuivant l�objectif d��tre le ma�tre absolu du pays, n�h�sita pas une seconde : non seulement il provoqua le clash mais il prit en outre le parti d�engager l��preuve de force, selon son concept favori : �La fin justifie les moyens.� Nul ne conteste le droit � N. Boukharouba de prendre la d�fense et vanter le courage de son oncle, mais il ne doit pas omettre que l�histoire ne parle plus d�un �pauvre oncle (sic)�, mais d�un homme public qui a fait le choix de faire de la politique, de surcro�t en s�emparant et en confisquant la souverainet� du peuple alg�rien. O� est donc la �haine et la d�sinformation� lorsque de nombreux t�moignages font �tat des cruaut�s d�un homme qui avait fait parler la poudre dans les rues, ordonner des descentes de la milice politique dans les foyers, commanditer des barbouzes pour liquider des opposants dans des h�tels � l��tranger, pousser les ge�liers � maltraiter des d�tenus politiques dans les prisons, s�questrer des d�pouilles d�authentiques h�ros du pays, etc., � chaque fois que son r�gne �tait menac� ? De gr�ce, si les propos et articles parus dans diff�rents m�dias nationaux et �trangers, sur le compte de Boumediene et de son r�gne, sont faux, il faut le dire de fa�on concr�te et argument�e et non en ayant recours � l�insulte et aux faux- fuyants. Comme on dit, il n�y a jamais de fum�e sans feu, sinon comment s�expliquer cette contestation r�guli�re, y compris dans le fief-m�me de Boumediene, lorsque des habitants sont sortis dans les rues � Annaba, Guelma, et d�autres villes de l�est alg�rien, pour manifester leur d�sapprobation contre le coup d�Etat en 1965. En guise de r�ponse, ce fut un bain de sang provoqu� par les hommes de Boumediene qui tiraient dans le tas sur les manifestants, avec un bilan de dizaines de morts et un nombre incalculable de bless�s et d�intern�s. Pourquoi le r�gne de cet homme fut-il aussi marqu� par la violence et la r�pression sanglantes ? Au sujet du 19 juin, il e�t suffi de publier le livre blanc, promis au lendemain du coup d�Etat, pour expliquer aux Alg�riens les raisons de son geste envers son pr�d�cesseur� Comme le pouvoir de Boumediene fut usurp�, il ne trouvait nulle racine o� puiser sa l�gitimit� Ainsi, faute de justification institutionnelle, a-t-il r�gn� tout ce temps dans un �tat de pseudo �l�gitime d�fense� que ses idol�tres rab�chent sans cesse : �Il est nationaliste, il d�fend l�Alg�rie.�� Mais contre qui ? Contre des Alg�riens qui manifestent dans les rues les mains nues ? Cet homme n�a-t-il pas mis fin � toute l�galit� constitutionnelle en pronon�ant la dissolution de toutes les assembl�es �lues pour r�gner par ordonnances sur le pays en ma�tre absolu ? Et � la fratrie et aux ouailles de crier � la �trahison � et � la �d�loyaut�, d�s que des �non-khobzistes � refusent de servir la gloire, les int�r�ts et la soif de pouvoir d�un dictateur, dont le tour de force fut de jouer la division des membres de la junte et des clans qu�il anime et dont beaucoup de proches feront � un moment ou un autre d�fection� Comme le boumedi�nisme s��tait impos� par la r�pression des Alg�riens, il est ais� de comprendre les autres alternatives faites de r�voltes, m�me au prix de l��chec (T. Zbiri, A. Mellah, etc.), l�exil � l��tranger avec le risque de se retrouver �suicid�s� (Krim Belkacem, Mohamed Khider, etc.) ou bien de moisir dans les prisons (la multitude, � commencer par Benbella)� Pour le coup, �taient-ils tous �copains et du m�me douar� ? A preuve, m�me parmi le dernier carr� de fid�les, rescap�s du Conseil de la r�volution, il s�est trouv� en 1974/1975 quelques-uns, devant les m�thodes peu orthodoxes de leur chef, � faire � leur tour de la r�sistance ouverte ou larv�e (Ka�d Ahmed, A. Medeghri, A. Bouteflika, A. Draia, etc.). Boumediene, apr�s avoir transform� l�Alg�rie en prison � ciel ouvert que les Alg�riens ne pouvaient plus quitter sans �une autorisation de sortie du territoire�, s�est par la suite lanc� dans une v�ritable traque des opposants. Voil� pourquoi il est poursuivi � son tour par l�histoire indomptable... Comme tous les dictateurs, cet homme ne semble pas avoir compris beaucoup de choses et en particulier un aspect fondamental en politique : un pays ne se gouverne ni au son du clairon, ni avec des d�tenus en prison, ni � coups de citation des versets du Coran ! Un pays se gouverne par le dialogue et l��change, dans la libert� totale et la confiance mutuelle entre l�ensemble du corps social et politique, sans quoi il ne conna�tra jamais la paix ! Mais apparemment il n�est pas le seul � ne l�avoir compris. Il se trouve h�las des intellectuels et m�me des anciens maquisards, ayant fait tr�s t�t (� partir de 1962) la course de fond aux pr�bendes, aux privil�ges et aux postes de sin�cure, qui chantent aujourd�hui des louanges � la gloire de Boumediene� On peut certes mentir aux hommes, �touffer des �v�nements pendant un temps, mais pas ind�finiment car l�histoire est un juge implacable qui prend tout son temps pour s�parer le bon grain de l�ivraie. Pour en finir avec la propagande politique, entretenue pendant des d�cennies par le syst�me, sur le personnage et le mythe de Boumediene, selon lequel tout allait bien en Alg�rie durant son r�gne, n��tait la faute de ses successeurs, incapables de poursuivre son �uvre, et tutti frutti, il est temps de remettre les pendules � l�heure pour qu�enfin cesse le leurre des Alg�riens avec de tels propos pour le moins mensongers. Si avant qu�il ne soit rappel� � Dieu, cet homme avait laiss� une maison moins cryptocratique (o� tout est enfoui, cach�, envelopp� de secrets que lui seul connaissait�), l�Alg�rie aurait �t� certainement plus transparente, pour pouvoir assurer la suite dans de bonnes conditions avec, notamment, �des institutions qui survivront � l�histoire et aux hommes�, dixit Houari Boumediene. Qu�en �tait-il de ces belles phrases, au lendemain de sa mort ? Il a fallu un conclave de plusieurs mois pour d�partager les pr�tendus �l�gataires universels��
K. K.
(� suivre)
1) Cf. � cet �gard, les conditions de d�tention dans cette prison, d�crites dans ses m�moires par le Dr Ahmed Taleb El-Brahimi, qui eut droit lui aussi aux ge�les de son pays.

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