Actualit�s : �VOCATION
Pour Katia, encore et toujours


Par Ahmed Halli
Katia Bengana a �t� assassin�e le 28 f�vrier 1994 pour avoir refus� de porter le voile. Son sacrifice interpelle encore ceux qui se sont laiss� bercer par la douce somnolence de l'amn�sie. Par un absurde encha�nement de l'Histoire, toute l'Alg�rie se voile aujourd'hui, sous la seule menace lointaine des tourments d'un enfer incertain, compar� � celui d'ici-bas. Pire encore : tout un pays se couvre aussi les yeux et les oreilles, pour ne plus voir l'image de Katia, digne descendante de Fadhma N'soumeur, pour ne plus entendre sa voix nous appelant � dire non !
Cela va faire dix-huit ans que tu es partie. Il y a encore ici des m�moires qui n'ont pris aucune ride, tout comme le souvenir de ton sacrifice qui r�siste envers et contre tout. Vois-tu, Katia, les r�serves de larmes de ce pays se sont �puis�es, on ne pleure plus aux injonctions de la joie ni aux sollicitations du malheur. Le bonheur ne se montre plus, sauf lorsqu'il est factice et roule en quatre-quatre. Ton Alg�rie, j'allais dire leur Alg�rie, c'est un pays en proie � un deuil dont il ne conna�t pas tr�s bien la nature, ni la raison. Mais je crois bien, moi, que ce pays souffre avant tout de devoir pardonner � ses assassins, comme le ferait une m�re indigne. Cette m�re indigne, Katia, qui n'a pas su arr�ter le bras meurtrier et qui s'est empress�e de t'�riger un tombeau pour y enfouir ses col�res en m�me temps que ta d�pouille. Tu as brav� la mort parce que tu ne voulais pas porter le voile, aujourd'hui les jeunes filles de ton �ge se voilent pour ne pas affronter les foudres de l'inquisition islamiste. Celles qui ont l'�ge que tu avais au moment de ton assassinat rituel ne comprennent pas qu'on puisse mourir pour avoir refus� de porter le voile. C'est normal : elles ont grandi dans une autre Alg�rie, dans un pays format� aux normes de ses �visiteurs�. Elles sont venues au monde voil�es, et leurs m�res l'�taient d�j�, au-dedans comme au-dehors, et pour cause. Le voile aujourd'hui, Katia, il est partout, c'est comme une ceinture de chastet� qui se porte autour de la t�te, pour rassurer la m�le engeance. C'est ce voile-ceinture qui serait l'ultime rempart contre le d�shonneur, et qui emp�cherait le pantalon des hommes de tomber. �Votre voile, c'est votre vertu�, leur dit-on, et du coup m�me les petites vertus, aux enseignes bibliques, se surprennent � l'arborer. Oui, Katia, ce pays a bien chang�, mais pas comme tu l'aurais esp�r� � l'or�e de tes dix-sept printemps, brutalement interrompus par l'ignorance et le fanatisme. Aujourd'hui, la �soci�t� civile�, cette expression brandie comme pour un exercice d'exorcisme, n'est plus. Le peuple, dont on c�l�bre l'amazighit�, l'arabit� et l'islamit� comme pour mieux l'enfermer dans un carcan mortel, ne croit plus qu'aux promesses de l'Au-del�. Pour me r�sumer, laisse- moi te citer l'exemple de la grenouille qui ne savait pas qu'elle �tait cuite. C'est un conte de l'�crivain Olivier Clerc que m'a fait parvenir, en guise d'alerte, notre v�n�rable cheikh, Si Mohamed Baghdadi, qu'il en soit remerci� : �Imaginez une marmite remplie d'eau froide dans laquelle nage tranquillement une grenouille. Le feu est allum� sous la marmite, l'eau chauffe doucement. Elle est bient�t ti�de. La grenouille trouve cela plut�t agr�able et continue de nager. La temp�rature continue � grimper. L'eau est maintenant chaude. C'est un peu plus que n'appr�cie la grenouille, �a la fatigue un peu, mais elle ne s'affole pas pour autant. L'eau est, cette fois, vraiment chaude. La grenouille, commence � trouver cela d�sagr�able, mais elle s'est affaiblie. Alors elle supporte et ne fait rien. La temp�rature continue � monter jusqu'au moment o� la grenouille va tout simplement finir par cuire et mourir. Si la m�me grenouille avait �t� plong�e directement dans l'eau � 50�, elle aurait imm�diatement donn� le coup de patte ad�quat qui l'aurait �ject�e aussit�t de la marmite. Cette exp�rience montre que : lorsqu'un changement s'effectue d'une mani�re suffisamment lente, il �chappe � la conscience et ne suscite la plupart du temps aucune r�action, aucune opposition, aucune r�volte.� Or, c'est ce qui nous est arriv� depuis quelques d�cennies, et de fa�on insidieuse au point de nous persuader que certains gestes, certaines pratiques font partie de notre patrimoine ancestral. Aujourd'hui, avec les nouveaux rituels, le voile est d�sormais la r�gle sur tous les terrains de la vie sociale. Tes s�urs alg�riennes, Katia, s'y mettent parfois d�s l'�cole primaire, voire la maternelle, o� le personnel f�minin est voil� dans son �crasante majorit�. Si seulement, ces femmes savaient, mais le voudraient-elles ? La grenouille n'est-elle pas d�j� cuite ? pour reprendre l'exemple ci-haut. Avons-nous encore la volont� de sauter hors de la marmite ? comme nous y invite l'�crivain. Savent-elles, les malheureuses qui croient s'assurer la f�licit� �ternelle en ob�issant � des diktats obsol�tes, qu'elles font de leur vie ici-bas un enfer ? En se soumettant � l'obligation du voile, premier canon du nouvel Islam, elles renoncent � la libert� de dire non. Elles prononcent, par leur docilit�, l'absolution pour tes assassins, Katia, et pour leurs commanditaires qui sollicitent aujourd'hui nos suffrages.
A. H.

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