Reportage : Qu�il est beau l�hiver avec les grives !

Reportage r�alis� par Yazid Yahiaoui
Il est des �v�nements que la m�moire collective garde jalousement. La chasse aux grives en fait partie ; surtout dans la vall�e du Sahel, dans la r�gion de M�chedallah.
A l�approche de l�hiver, la question lancinante qui taraude les esprits est : est-ce que cette ann�e sera la bonne ? Par �bonne�, le jargon populaire ne fait pas r�f�rence � l�abondance des pluies et donc � la bonne saison agricole, mais � la disponibilit� de la grive ou pas.
Quand les caprices de la nature attirent la grive
Car ce qu�il faut savoir c�est que depuis le d�but des ann�es 1980 et l�affaire des insecticides que Bourguiba avait intentionnellement sem�s en Tunisie � cause des ravages que ce volatile occasionne aux oliveraies, ces oiseaux migrateurs qui faisaient la joie des gens et la pitance des pauvres en hiver, et qui nous venaient d�Europe via justement la Tunisie, sont devenus rares pour presque dispara�tre dans les ann�es 1990. Depuis, l�existence occasionnelle des grives � il y a des hivers o� elles font leur apparition timide et il y a d�autres o� l�on ne voit m�me pas une grive � devient un sujet qui est sur toutes les l�vres et constitue un moment de joie et de ga�t�, qui rend les gens affables et aimables. Aussi, cette ann�e, l�hiver allait partir comme celui des ann�es pr�c�dentes avec ses regrets en attendant le prochain avec l�espoir qu�il sera bon. Mais miracle, les derni�res chutes de neige � travers le pays ont �pargn� la vall�e du Sahel qui n�a �t� touch�e que partiellement et avec une mince �paisseur de neige, les grives et les �tourneaux se sont donc concentr�s dans cette espace compris entre la cha�ne du Djurdjura par le nord et celle des Biban par le sud, cr�ant une dynamique non ressentie depuis longtemps au sein de la population. En l�espace de quelques jours, jeunes et moins jeunes, et m�me les vieux, ch�meurs ou fonctionnaires, tout le monde s�est mis de la partie. C�est la course � la chasse � la grive.
Au bonheur des ch�meurs
Bien entendu, la grande part du g�teau, ou si l�on veut �l�affaire �, est revenue aux ch�meurs. Tous les proc�d�s sont bons pour ramasser le maximum de grives et les vendre le long de la RN15, surtout du c�t� du village Raffour, dans la commune de M�chedallah. Tous les jours, des centaines de personnes, de tous les �ges, sillonnent les plaines, les collines et m�me les for�ts, � la recherche de ce volatile tr�s pris�, autant par nostalgie que pour la saveur de sa viande. Des centaines de jeunes arpentent champs, ravins et montagnes, en qu�te de cet oiseau migrateur � l�aide de pi�ges, de glu, de rets ou de fusils de chasse pour les �tourneaux qui vivent en essaims. Chacun y va de sa propre technique, mais certains parmi les ch�meurs, infatigables qu'ils sont tant ils savent que le moment du d�part de ce volatile est tr�s proche, chassent m�me de nuit. A l�aide de torches et de tireboulettes, ou encore des carabines, des groupes de jeunes sillonnent les champs d�oliviers � la recherche de cet oiseau qui, une fois rep�r� sur la tige tout endormi, est litt�ralement abattu par des sp�cialistes de la fronde ou de la carabine. Toute la nuit, les jeunes partent � la conqu�te de la grive. A l�aube, une fois, l'oiseau r�veill� par les premi�res lueurs du soleil, la prise est g�n�ralement plus qu�inesp�r�e. �� l�aide de tire-boulettes, nous chassons jusqu�� 80, 90 unit�s par nuit�, dira Na�m, 36 ans, mari� et p�re d�un enfant. Na�m avoue que les intemp�ries de ces derni�res semaines �taient une aubaine pour lui et ses deux compagnons. Peintre � plein temps en �t�, il se retrouve souvent en ch�mage technique en hiver. �Je m�occupe de la cueillette des olives, mais avec la disette de cette ann�e, j��tais vraiment au ch�mage jusqu�� ce que le mauvais temps nous envoie comme par miracle les grives � gogo�, expliqua- t-il. �Toute la journ�e, moi et mes deux compagnons, Mohand, 18 ans, et Allaoua, 40 ans, allons d�abord l�-haut au village Taddart, en pleine montagne. L�, nous posons des pi�ges, nous arrivons � attraper jusqu'� 150 pi�ces. Nous pla�ons pr�s des cours d�eau des brins d�alfa enduits de glu pr�alablement chauff�e et dilu�e. Les grives mais surtout les �tourneaux sont pi�g�s au moment de leur atterrissage au sol. Leurs ailes restent prisonni�res, ils sont cueillis vivants sans aucune r�sistance�, dira Na�m avant d�encha�ner : �Mais le meilleur proc�d� avec lequel on peut aller jusqu�� 200 unit�s est les rets qu�on met sur un couloir � l�approche du cr�puscule, � la lisi�re de la for�t ou d�une oliveraie. � Un proc�d� d�vastateur que les oiseleurs utilisent abusivement pour attraper le chardonneret. Toute la journ�e, les trois compagnons font des va-et-vient entre la vall�e, � Raffour, et leur village ou Taddart Lejdid, situ�e en haute montagne, le village de leurs anc�tres. Ce lundi, nous avons d�abord rencontr� sur le bas-c�t� de la route Mohand qui tout en exposant le butin de la nuit aux passants s�affairait � d�plumer certaines grives pour les manger sur place sur un feu de bois improvis�. C e n�est qu�un peu plus tard que Na�m est arriv� tenant dans ses mains un chapelet d'oiseaux chass�s la nuit et suspendus � un fil de fer. Na�m pla�a son lot aux c�t�s des autres chass�s auparavant. �Nous chassons ensemble, nous vendons ensemble et nous partageons l'argent�, dira Na�m. �Aujourd�hui, nous avons ici plus de 90 grives attrap�es vivantes et que nous avons �gorg�es.� Et comment saurais-je qu'il s�agit vraiment de grives captur�es vivantes puis �gorg�es ? �C�est nous-m�mes qui les avons captur�es et �gorg�es. Je vous dis que je la capture surtout � l�aide des rets ou de la glu, et m�me avec le tire-boulettes, les grives sont aussit�t �gorg�es. Hier, en tout et pour tout, nous avons eu deux grives mortes ��asphyxi�es�� que nous avons naturellement jet�es�, dira-t-il.
100 DA l�unit� et ce n�est pas cher pay� cette viande rustique
Tout en nous parlant, un passager s�arr�ta et demanda aussit�t 10 grives. �J�ai l�habitude d�acheter des grives � cet endroit. J'aime les grives, j�en raffole. Pour le prix, je crois que le go�t et la saveur n�ont pas de prix�, nous dira-t-il. Sans que nous lui posions la question, Na�m dira que les grives sont c�d�es � 100 DA l�unit� et personne parmi les acheteurs ne rechigne sur ce prix. �Les grives sont bien engraiss�es en ce moment. Leur saveur est exquise et les gens sont souvent satisfaits quant au rapport qualit�-prix.� Cela �tant, outre Na�m et Mohand qui s�en sortent tr�s bien et qui sont en train de faire de bonnes affaires avec pas moins de 100 grives vendues par jour, il y a �galement parmi eux Allaoua qui est l� pour le plaisir. �Je suis un transporteur, mais crois-moi, avec le plaisir de la chasse, j�en arrive � emprunter un fourgon � des connaissances pour m�adonner compl�tement � ce loisir�, dira-t-il. D�ailleurs pour expliquer la raret� des jeunes qui vendaient en ce matin les grives, Allaoua dira : �La majorit� n�est pas encore arriv�e. Certains devront venir � pied. Ils parcourent quelque 10 kilom�tres avec leurs sacs pleins de grives qui p�sent jusqu�� 40 kg, sinon plus pour certains d�entre eux.� Mais cela vaut la peine puisque les jeunes s�en sortent avec un pactole au bout de quelques jours. Quand on gagne jusqu�� 2 millions de centimes ou plus par jour, il y a de quoi oublier toutes les souffrances du froid et des kilom�tres parcourus des nuits durant. Au moment o� nous prenions cong� de Na�m et ses compagnons, un autre acheteur en famille s�arr�ta devant eux, avec une voiture immatricul�e 16 et venant de B�ja�a. � � C�est combien la grive ? � 100 DA, mon ami. Le gars repart sans mot dire. Apr�s quelques discussions avec ce qui devait �tre vraisemblablement sa m�re, il revient tout souriant pour en prendre une vingtaine� Le plaisir de la grive en hiver n�a pas de prix ; surtout pour ceux qui sont prisonniers du monde citadin et qui gardent encore la nostalgie du monde rural de leur enfance.
Y. Y.

Nombre de lectures :

Format imprimable  Format imprimable

  Options

Format imprimable  Format imprimable