Chronique du jour : ICI MIEUX QUE LA-BAS
Marsien et martien


Par Arezki Metref
[email protected]

1962 nous aura donn� coup sur coup une nouvelle tribu et un nom pour la d�signer : les marsiens. Avec un S pas avec un T. Plut�t dr�le comme g�n�rique. Il nomme les tra�nards du nationalisme, ceux-l� qui au dernier moment pressent le pas, les ralli�s du dernier quart d�heure, qui enfilent vite fait l'habit r�volutionnaire quand les armes ont cess� de tonner. Et quand le seul courage efficace est de se pr�cipiter sur les si�ges vacants du pouvoir. Les si�ges interm�diaires, �videmment. Les si�ges du haut, eux, sont d�j� pris, depuis belle lurette, objet de luttes f�roces impliquant des moyens immenses et le sang froid idoine.
Le 19 Mars, journ�e d�entr�e en vigueur du cessez-le-feu d�cid� dans le cadre des accords d�Evian, a forg� les marsiens. Une esp�ce de mecs qui n�ont pas froid aux yeux, fonceurs en diable, maniant l�opportunit� avec la dext�rit� de soudards faisant de la broderie. Une esp�ce prolifique qui a prosp�r� dans les trois mois qui s�parent le cessez-le-feu de l�ind�pendance, le 5 juillet. Qui sont les marsiens ? Par �limination. Ce ne sont pas des maquisards qui ont donn� du fil � retordre � l�arm�e d�occupation. Ce ne sont pas ces moussabilines qui ont risqu� leur vie pour une cause qui leur paraissait au-dessus de tout. Ce ne sont pas non plus les militants citadins du FLN, ces clandestins cloisonn�s dans des structures qui faisaient battre les pulsations d�un peuple tendu vers l�ind�pendance. Ce ne sont pas enfin tous ces gars propres sur eux en costume cravate accourant de l��tranger pour s�approprier ce pouvoir qui leur revient comme de droit divin. Eux, au moins, ils ont risqu� quelque chose. Tandis que les marsiens� Alors qui sont-ils, ces fameux marsiens ? D�o� sortent-ils ? Que voulaient-ils ? A croire qu�une soucoupe volante, une immense plateforme intersid�rale, a atterri dans quelque terrain vague � l�or�e de l�ind�pendance qui les a lib�r�s. Petits hommes verts qui se sont partout r�pandus, dans les moins recoins, les moindres interstices de l�Etat qui se mettait laborieusement en place ? Oui on croirait qu�ils ne sortaient de nulle part, qu�ils �taient l� embusqu�s, camoufl�s, d�guis�s en passe-murailles, depuis toujours, attendant patiemment que la bataille se termine pour se parer de la toge du vainqueur, se fondre dans la foule de la masse jubilatoire d�un peuple arriv� � la force de sa volont� et de son combat au bout de la nuit coloniale. Et, eux, les marsiens, ils �taient l� et ils continuaient � �tre l�, voil� tout ! Ils seront, comme il se doit, les plus z�l�s, les plus intol�rants, les plus obtus des nouveaux occupants d�un pouvoir neuf. Pour s�r que nos marsiens ont quelque chose � voir avec les autres, leurs homonymes, les habitants possibles, en tout cas fantasm�s en veux-tu en voil� de la plan�te Mars. Sans doute, partagent-ils avec leurs homonymes venus de l�autre c�t� de l�univers l��tranget�, la face cach�e, la distance. S�agissant du marsien, le n�tre donc pas le petit bonhomme vert avec des antennes de col�opt�re, son �tranget� r�side dans cette capacit� d�acclimatation z�l�e et somme toute ordinaire qui s�appelle opportunisme. Je me place ni vu ni connu ! Ils s�englobent dans cette v�rit� pr�visible qui veut qu�il y ait toujours plus de combattants apr�s la guerre que pendant. La face cach�e, c�est ce myst�re qui, cinquante ans apr�s, demeure plus que jamais entier ; myst�re de leur capacit� d�adaptation si grande et si rus�e qu�ils ont failli finir par faire oublier qu�il y a eu de vrais combattants, des fonceurs de la premi�re heure, des patriotes ombrageux qui ont fonc� dans le chou du colonialisme sans attendre de se garantir la s�curit� sociale et la retraite. Enfin, la distance ! Ils la cultivent comme une plante v�n�neuse en un jardin secret, ne se sentant concern�s que par ce qui les int�resse. Comme dans le verbe int�resser, il y a le mot int�r�t, �a leur colle juste bon. Distance, contraire de l�implication. Le marsien a d�barqu� de si loin que la distance est son vaisseau. Cinquante ans donc que l�esp�ce marsienne existe. S�est-elle d�compos�e dans le magma ? Peut-�tre qu�elle a fini par conditionner ce qu�elle a infiltr� au point qu�on en oublie l�origine. Mais elle a beau muter, se confondre avec son nouveau milieu, s�accaparer de nouveaux espaces de conqu�te, �a n�enl�ve rien, achama, walou, � la grande aura de ce 19 mars 1962, jour o� les armes ont cess� de tonner parce que le combat s�culaire d�un peuple h�ro�que et humble a abouti. �a n�enl�ve rien au souvenir de toutes celles et tous ceux qui ont tout sacrifi� pour lib�rer ce pays et qui n�ont pas attendu des r�compenses sonnantes et tr�buchantes en retour. Au fond, la diff�rence entre marsien et martien, c�est que ce dernier, s�il existe, il y a au moins une chance qu�il reparte. Tandis que le marsien, lui, il s�est incrust� dans le calendrier. Rien ni personne ne l�en d�logera. Sacr� marsien, va ! Je crois que l�avenir est encore devant toi.
A. M.



Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/03/18/article.php?sid=131677&cid=8