Chronique du jour : KIOSQUE ARABE
Un panth�on pour nos gloires nationales


Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com

Des questions lancinantes � propos des �Gloires� nationales : � quel moment on a droit � ce titre, et en contrepartie de quels signal�s services rendus � la patrie reconnaissante. Le titre de �Gloire� nationale est-il d�cern� par les m�dias, par cooptation, ou par r�f�rendum populaire ? Faut-il attendre d'�tre mort pour m�riter cette distinction ? La r�ponse est oui, et souvent pour ce qui concerne des pays comme le n�tre.
Ailleurs, on peut �tre une �gloire� nationale et se faire d�livrer l'attestation ad hoc pour tout le reste de son existence. Toutefois, la cons�cration n'est pas r�serv�e au tout-venant et n'est pas �gloire� nationale qui veut. Les h�ros d�chus sont malheureusement l�gion, victimes de leurs propres turpitudes ou de caprices d'autocrates. Qui de nos concitoyens de Mascara s'est souvenu du glorieux Belloumi, en allant voter aux l�gislatives du 10 mai dernier ? Apparemment, ils n'�taient pas tr�s nombreux, ou pas assez, � consid�rer que l'ancienne star du football national �tait de taille � dribbler dans les surfaces de r�paration parlementaires(1). J'ai ou�dire que Belloumi avait m�me �t� battu dans son fief par un candidat venu d�ailleurs, ce qui prouve que les Mascar�ens savent rire d'eux-m�mes � l'occasion. Esp�rons que le d�put� qu'ils ont �lu en lieu et place de l'homme qui battit l'Allemagne ne leur fera pas regretter cette mauvaise blague faite � une authentique gloire du football alg�rien. Cela dit, Belloumi aura peut-�tre trop gard� la balle et a d� susciter des antipathies par ses prises de position politiques. En attendant que la post�rit� reconnaisse les siens, admettons, cependant, qu'en dehors de sa d�convenue �lectorale, Belloumi n'a pas eu une destin�e aussi paradoxale que celle de feu Ben Bella. Voici un homme qui a fait un coup de force, � l'aube de l'ind�pendance, qui est renvers� alors que le b�b� commen�ait � peine � marcher, puis jet� aux oubliettes, et qui finit enterr� pr�s de son ge�lier num�ro un. Pendant une quinzaine d'ann�es, le nom m�me de Ben Bella pouvait vous �corcher les l�vres et vous faire prendre en charge par les �quarrisseurs de service. Remis en libert�, il a continu� � �tre regard� avec suspicion par le cercle du pouvoir et par les clients qui gravitaient autour. Et le voil� consacr� h�ros national et inhum� en grande pompe, par la volont� d'un pr�sident jadis au c�ur du complot qui avait mis fin � sa br�ve carri�re de chef d'�tat. Je sais qu'il n'a pas �t� consult� sur la date de sa mort, mais je pr�sume que Ben Bella aurait pr�f�r� suivre les fun�railles nationales d'un autre, ou d'autres, que lui. On peut se demander aussi s'il a vraiment d�sir� tout ce dispositif d�magogique, larmoyant et ce voisinage post mortem. Avant lui, Mohamed Arkoun avait eu le bon go�t de mourir ailleurs, et il avait fait surtout le choix de ne pas se faire enterrer par la troupe de ses d�tracteurs. Les anciens fatalistes d�ploraient l'impuissance d'un d�c�d� entre les mains du pr�pos� � sa toilette mortuaire. Les nouveaux fatalistes, de plus en plus nombreux, pourraient dire la m�me chose d'un d�funt tomb� entre les mains des autorit�s. Quoique je lui souhaite de vivre encore de longues ann�es, je serais curieux de savoir si M. A�t- Ahmed souhaiterait avoir le carr� des martyrs comme ultime demeure. Adul�e et consid�r�e comme l'une des plus grandes chanteuses arabes, Warda n'a pas �t� toujours choy�e dans son pays natal, l'Alg�rie, et dans son pays d'adoption, l'�gypte(2). Ici ou l�-bas, elle n'a pas �chapp� aux critiques et aux attaques les plus vulgaires. Pendant des ann�es, les responsables de la culture alg�rienne l'avaient pratiquement inscrite sur leur liste noire. Puis Warda, un moment oubli�e, a su reconqu�rir sa place dans le c�ur des Alg�riens et pas seulement, en interpr�tant des chansons patriotiques(3). On ne saura jamais si le plus cher d�sir de Warda �tait d'�tre enterr�e(4) au carr� des martyrs d'Al-Alia, mais il est s�r que l'initiative ne fait pas l'unanimit�. Il n'y a aucun doute que Warda est une grande patriote, doubl�e d'une artiste renomm�e, et qu'elle a droit � tous les honneurs, mais il est � craindre que son cas suscite des pol�miques, voire des vocations. Ce choix relance, en effet, le d�bat sur la destination de cet espace et sur la qualit� des personnes qui doivent y reposer pour l'�ternit�. A moins de le rebaptiser carr� des �Gloires nationales �, le carr� des martyrs devrait faire l'objet d'un d�bat politique et d'un texte de loi, afin de sauvegarder son caract�re de sanctuaire. Sinon, on risque de voir demain des d�cideurs autoritaires, et l'Alg�rie dispose d'un grand gisement en la mati�re, tenter de d�faire ce que d'autres potentats ont fait avant eux. Pourquoi pas un panth�on alg�rien o� seraient transf�r�s les restes de grands hommes et femmes qui ont servi le pays, sans trop se servir, et qui ne devraient rien aux humeurs de leurs contemporains. Ainsi, pourrait-on y transf�rer les restes de ceux que l'Histoire aura reconnus et qui n'auront pas eu l'heur de plaire aux dirigeants du moment. Et puisque la politique d�nature tout et que les hommes politiques sont versatiles, essayons d'abord de cr�er un panth�on pour les artistes. On pourrait y transf�rer les cendres de toutes les gloires nationales du genre, comme Slimane Azem, El-Hasnaoui, Guerrouabi, Wahbi et Warda, bien s�r.
A. H.

(1) Entendons-nous bien : je ne m'avance pas � affirmer que les �lections du 10 mai 2012 �taient propres, honn�tes, etc., etc. Je pars seulement de l'hypoth�se, aussi absurde qu'elle puisse para�tre, que le scrutin a �t� r�gulier, pour �tayer mon raisonnement.
(2) Au fait, qu'est-il advenu du drapeau �gyptien qui recouvrait, avec le drapeau alg�rien, le cercueil de Warda, au d�part du Caire ?
(3) L'une de ses chansons que je pr�f�re, et dont j'ai oubli� le titre, c'est celle o� elle dit : �Un jour, je t'ai aim�, un jour, je t'ai trahi, un jour je t'ai quitt�.�
(4) Je l'entends d'ici r�pliquer : va t'y faire enterrer toi-m�me �Fi rassek inch�Allah !�.

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