Contribution : UNE D�FENSE ET ILLUSTRATION DE SANSAL PAR ANTOINE PERRAUD (M�DIAPART, PARIS)
Pour en finir avec �le Voyageur d�Isra�l�


Par Abdellali Merdaci
Le journaliste Antoine Perraud, du site d�information en ligne fran�ais Mediapart (Paris), r�agissant � ma contribution sur le voyage de l��crivain Boualem Sansal en Isra�l, publi�e dans les colonnes du Soir d�Alg�rie(Cf. �Le printemps isra�lien de Boualem Sansal. Posture et imposture litt�raires �, 28 mai 2012), signe, dans son �dition du 2 juin 2012, une violente attaque ad hominem contre l�auteur de ces lignes. Voici, pour les lecteurs du Soir, le texte qui introduit son entretien avec l��crivain alg�rien Boualem Sansal, de retour de J�rusalem :
�Un saut en Isra�l, cinq jours en mai (du 13 au 17), � propos desquels il s�explique avec une ing�nuit� provocante, et voil� le romancier Boualem Sansal, citoyen alg�rien, d�sign� � la vindicte. Les temps ont chang� depuis vingt ans : Boualem Sansal ne subira pas, faut-il esp�rer, le sort de l��crivain Tahar Djaout (1954-1993), liquid� de deux balles dans la t�te � Ba�nem, une cit� populeuse de la banlieue ouest d�Alger. �Cependant les arguments � ou plut�t injures � s�aff�tent � l�encontre du romancier n� en 1949, qui revivifia le fran�ais, � la Rabelais, avec son premier roman, arriv� par la poste chez Gallimard : Le Serment des Barbares (1999). Une d�claration de guerre iconoclaste, libre, tragique et joyeuse aux islamistes, mais aussi aux caciques du r�gime alg�rien. Boualem Sansal, avec Le Village de l�Allemand (2008), osait ensuite aborder l�angle mort que constitue trop souvent, en terre arabe, la destruction des juifs d�Europe par les nazis. �Menac� de prison pour avoir accept� l�invitation du Festival international de litt�rature de J�rusalem � o� il rencontra David Grossman, comme lui laur�at du Prix de la paix des libraires allemands �, Boualem Sansal est tra�n� dans la boue par une presse alg�rienne haineuse, aux ordres, cadenass�e politiquement et mentalement. �Il faut lire ne serait-ce qu�un article t�chant de d�l�gitimer Sansal. Jetez un �il sur celui d�Abdellali Merdaci. On y trouve la technique des plumes mercenaires pratiquant la chasse aux opposants dans toute dictature. Merdaci (linguiste de l�universit� de Constantine) fait feu de tout bois en plaquant du sous-Bourdieu sur-interpr�t�, avec une approche symptomatique : �ter toute racine alg�rienne � Sansal pour l�opposer aux �crivains isra�liens, enracin�s. Sa diatribe ressasse un complexe de d�colonis� � requis par son t�te-�-t�te �touffant, rageur, vain, et mystifi� � l�ancien ma�tre �, dont a su s�affranchir, pour sa part, Boualem Sansal. �Celui-ci est un �crivain �postcolonial � (Mediapart reviendra prochainement sur cette notion), comme l�est Salman Rushdie pour la langue anglaise. Le d�nigrement b�te et m�chant dont Sansal s�av�re l�objet en Alg�rie � o� sa prose est interdite �, trouve parfois quelques relais malavis�s en France. Romancier ostracis� en son pays, il serait, selon une propagande perverse, un �tre g�t� par l�Occident et perdu pour l�Orient, o� il se vautrerait dans le confort de l�h�r�sie ! Ce discours est tenu par ceux qui n�ont jamais mis le nez dans son �uvre.� Cette r�action � qui n�en exclut pas d�autres de la m�me encre putride de la presse parisienne � pose explicitement la question du m�tier de la critique, du devoir d�opinion et de la clart� du d�bat intellectuel contradictoire ; ce d�bat pr�suppose une �thique dont ne peuvent se pr�valoir les gazetiers parisiens protecteurs de Sansal, qui confondent l�odeur des poudri�res (coloniales) et la r�flexion critique. Il faudrait en signaler les �l�ments � charge : M. Perraud me range tr�s vite, sans me conna�tre et sans avoir lu mes travaux, parmi les �plumes mercenaires pratiquant la chasse aux opposants de toute dictature� et me renvoie cat�goriquement � une lecture de �sous-Bourdieu surinterpr�t� �. Ce ton vengeur, ce m�pris et cette hargne me paraissent dat�s : Bourdieu ne les avait-il pas longtemps subis de ceux qui refusent toujours, en France, dans les m�dias et dans l�Universit�, la �critique sociale� ? Pour avoir d�crit le champ m�diatique parisien, n�avait-il pas �t� l�objet de mercuriales des �essayistes� des m�dias le traitant d��intellectuel archa�que�, �stalinien� et �faussement scientifique� ? L��lite m�diatique parisienne qui sait prescrire les �bonnes causes�, et sans doute Sansal en est une pour elle, peut se mobiliser pour flageller �le linguiste de l�Universit� de Constantine� et h�ter sa stigmatisation. En la circonstance, le journaliste Perraud joue sur le registre parfait d�une habituelle dramatisation du r�cit de presse : il campe d�j� Sansal comme �citoyen alg�rien d�sign� � la vindicte� et surtout aux �deux balles dans la t�te�, identiques � celles qui ont foudroy�, le 2 juin 1993, le journaliste et �crivain Tahar Djaout. Mesurera-t-on la gravit� de ces mises en cause, pour y r�pondre � cette fois-ci � et ne plus y revenir ? Car la meute est bel et bien l�ch�e par Sansal, qui re�oit la presse, les t�l�s et les radios, dans l�appartement d�h�te de l��diteur Antoine Gallimard ( L�Expression, 6 juin 2012), et multiplie les proc�s en sorcellerie pour �terrasser� ceux qui �ont sorti les couteaux � contre �le Voyageur d�Isra�l�. Je retiens de la saum�tre philippique de Perraud les aspects suivants :
1 - J�ai pr�vu dans ma contribution qu�on ne tardera pas � depuis Paris � � m�accuser d��tre stipendi� par le pouvoir d�Alger ; me voil� donc remplissant un effarant mercenariat de la plume. J�attends, maintenant, pour avoir dout� de la sinc�rit� de la d�marche de Sansal sur le v�cu des juifs, la lourde incrimination d�antis�mitisme. Faudra-t-il pour l�universitaire alg�rien restituer l�image �recadr�e � de son pays, selon les attentes des exacteurs de la presse parisienne ou, dans le cas contraire, passer pour un appendice du pouvoir ? Il y a, toujours en France, stupide et ind�racinable, ce sentiment que la libert� de penser et de dire est irr�m�diablement condamn�e en Alg�rie ou explicitement contr�l�e par les officines du pouvoir. Le journaliste Perraud ne puise-t-il pas dans ce manich�isme ?
2 - Si la formule �sous- Bourdieu sur-interpr�t� est assur�ment un oxymore inventif, forg� dans le croisement de paradigmes pr�positionnels spatiaux contraires (�sous� VS �sur�), le discr�dit � l�g�rement prononc� � sur ma comp�tence acad�mique me para�t sans cause et sans effet. J�ai souvent �t� redevable de mes lectures de Bourdieu, sans aucune forme de r�duction, pour ne pas exprimer ici une dette. J�observe, toutefois, que le journaliste Perraud restitue scrupuleusement aux lecteurs de Mediapart les �l�ments descriptifs de la figure d�auteur de Sansal que j�ai propos�s dans ma contribution : �opposant �, �d�racin�, �h�r�tique�, �parano�de� (�menac� de prison �). Cela devrait rester.
3 - Il est probablement aventureux de m�imputer le projet de lever contre Sansal une �vindicte� et d�armer le tireur des probl�matiques �deux balles dans la t�te�. Je ne sais trop � qui, du romancier Sansal et du journaliste Perraud, attribuer cette sombre �lucubration. Il est �vident qu�il s�agit l� d�une forme de barrage psychologique contre l�exercice de la critique et de la r�flexion intellectuelle libres. Ce type de projection appelle donc une censure de toute appr�ciation non congruente sur le travail d��crivain de Sansal et sur ses positions dans les champs litt�raire et politique. Il n�y a pour le gazetier parisien que deux alternatives : se faire louangeur de Sansal ou se taire. Me pr�valant de ma seule qualification d�universitaire alg�rien, ne figurant ni dans la client�le du pouvoir alg�rien ni dans celle de la France et de ses antennes, ne me reconnaissant aucun �ancien ma�tre�, je ne m�adresse qu�aux seuls lecteurs alg�riens pour d�fendre une litt�rature nationale alg�rienne, d�gag�e de toutes les influences n�ocoloniales. Le journaliste de Mediapart confirme la pertinence de ma r�flexion sur cette caract�ristique d��opposant� de Sansal � et pr�cis�ment �d�opposant� dans une �dictature� � qui devrait assurer sa singularit� d��crivain. C�est bien cela qui est discut� dans ma contribution, publi�e dans Le Soir d�Alg�rie, sur son voyage en Isra�l, dans ce qu�il induit en termes d�attitudes d�auteur suffisamment r�fl�chies, qui d�finissent une �posture litt�raire� (J�r�me Meizoz, 2007, 2011). Audel� de l��thos que circonscrivent les �uvres du romancier, fichtrement compulsif relativement au pouvoir d�Alger, Sansal forge donc une attitude d���crivain opposant �, faisant oublier par l�outrance de ses propos dans la presse parisienne, la vacuit� d�une �criture litt�raire sans aucune port�e dans la soci�t� alg�rienne et dans son imaginaire. Mais alors, Sansal �opposant� ? Est-il n�cessaire de pr�ciser que Boualem Sansal, l�homme et l��crivain, n�est pas connu comme un acteur public, exer�ant une quelconque opposition au pouvoir en Alg�rie. En dehors d�une ou deux p�titions vaguement politiques de �bobos� alg�rois, aussi peu efficaces qu�inspir�s, je ne me souviens pas qu�il se soit fait remarquer, en Alg�rie m�me, dans une manifestation publique, o� il aurait express�ment engag� son nom et son statut d��crivain. Il se distingue, certes, par une agitation dans la presse fran�aise et europ�enne (je peux citer au moins une soixantaine de textes d�entretiens), lourdement rem�ch�e � en devenir rebutante. Cette �opposition� tr�s circonstanci�e est suscit�e, malheureusement, � date fixe (c�est v�rifiable !) pour la promotion de ses romans ; elle induit une confusion des postures de l��crivain dans les champs litt�raire et politique, que ne temp�re pas une r�cente surench�re sur le �nazisme� et les �camps� dont il accuse �trangement l��tat alg�rien. Il faut raisonnablement entendre, en regard du r�cit sur ses �crivains que produit l�Histoire de la litt�rature fran�aise, ce que n�est pas Sansal, qui ne peut cens�ment �tre tenu pour un Voltaire, un Hugo ou un Zola alg�rien et il n�a jamais �t� �tabli, sauf dans un entendement �troit, qu�une tortueuse prose l�gitime une filiation rabelaisienne. Commen�ons par le courage dans les choix et les risques encourus. Boualem Sansal n�est pas Paul Nizan, crucifi� par une balle explosive allemande, pr�s de Dunkerque, le 23 mai 1940, ni Saint-Exup�ry, fauch� dans un dernier vol de nuit, le 11 juillet 1944, ni Jean Pr�vost, tombant les armes � la main au pied du Vercors, le 1er ao�t 1944, ni Robert Desnos, mort dans un camp nazi de Boh�me (R�publique tch�que), le 8 juin 1945, qui conjuguent, sur le front d�une guerre, l�appel de la patrie et la dignit� des �crivains fran�ais. Ensuite, l�h�ro�sme. Sansal n�est pas Malraux, chef des escadres r�publicaines d�Espagne en guerre civile, ni Romain Gary, audacieux combattant en Lorraine, pendant la Seconde Guerre mondiale, face au d�fi des esp�rances humaines bris�es. Enfin, la morale intellectuelle. Sansal n�est ni Jean-Paul Sartre dans les usines Renault, � Billancourt, ni Michel Foucault dans les prisons de France, � l�enseigne d�un militantisme social. Courage, h�ro�sme, morale intellectuelle ? L�auteur du Village de l�Allemand, qui fait de la douillette opulence des salles de r�daction parisiennes ses champs de batailles (prot�g�s) contre son pays � toujours meurtri � peut-il en tirer de la gloire ? Ce serait une gloire calamiteuse. Car, il n�a jamais exist� en Alg�rie pour faire conna�tre un message d�espoir aux Alg�riens qui doutent et pour lutter concr�tement pour une transformation de leur soci�t� politique. Le romancier Sansal est dans une qu�te compensatoire de succ�s de scandale en raison d�une �uvre sans retentissement. Les Fran�ais qui c�l�brent l�itin�raire exemplaire dans la litt�rature de Patrick Modiano � le plus grand auteur fran�ais du d�but du XXIe si�cle � ou de J.M.G. le Cl�zio, qui �voquent encore ceux de Roger Martin du Gard, Julien Gracq et Ren� Char, saluent cette subtile discr�tion d��uvres vraies, �loign�es des bruits de la foule, qui accr�ditent leur auteur, non seulement devant ses lecteurs, mais devant son pays et son histoire. De ce point de vue, Sansal, avec sa propension au clinquant criant de Paris (qui ferait honte m�me � un Fr�d�ric Beigbeder, autrement plus talentueux), n�apporte rien � la litt�rature alg�rienne et ne contribue pas � sa reconnaissance dans le monde. Jusqu�� pr�sent, et cela devient g�nant, il n�est port� que par une recherche effr�n�e et sordide de hochets des jurys litt�raires germanopratins. Son �opposition� au pouvoir d�Alger ne se rattache qu�� cette triste contingence. Je crois l�avoir dit, si fortement, pour me valoir les sarcasmes de ses commanditaires, nostalgiques de la d�funte colonie fran�aise, qui ne peuvent comprendre l�Alg�rie ind�pendante que comme un pays de mort et de d�solation, le semblable pays que la France coloniale croyait d�couvrir et ouvrir � la civilisation en 1830. Boualem Sansal �crivain postcolonial ? Il ne peut �tre � dans le d�boul� des r�cents �v�nements � qu�un pur produit de cet esprit n�ocolonial dont les missionnaires � � l�instar d�un Antoine Perraud du site Mediapart � qui lui servent dans l��cuelle des ilotes une soupe marin�e dans les fades cuisines des champs litt�raire et m�diatique germanopratins, l�ont rev�tu d�une livr�e de factotum et pourvu de nombreux masques ajust�s � une ambition de gloire d�mesur�e. Ils le poussent comme un pion dans leur �chiquier (comme c�est le cas avec ce d�bauchage au profit d�Isra�l), mais ils s�en lasseront tr�s vite, le jour o� il ne saura plus servir leurs causes, ou simplement mordre dans la chair de son pays, pour s�en d�barrasser sans �tat d��me. L��crivain postcolonial ne peut �merger qu�en Alg�rie, loin du Paris litt�raire et de son trafic de fausse monnaie, de ses poses calcul�es, de ses compromissions sans lendemain, aujourd�hui avec l��tat d�Isra�l qui bafoue la justice pour les Palestiniens, demain avec les forces coalis�es de l�Otan qui larguent sur les pays arabes les �bombes de la d�mocratie�. Il ne peut se concevoir un �crivain postcolonial sans une litt�rature nationale. Un auteur postcolonial alg�rien na�t dans la proximit� de sa soci�t�, se bat pour faire �diter et diffuser ses livres en Alg�rie pour �tre lu par des Alg�riens, parce que sans lecteurs alg�riens, ses �crits n�ont pas d�avenir. Un �crivain postcolonial ferraille dans les r�dactions des journaux de son pays, sans doute rustiques, mais plus humaines et sans parti-pris, pour faire triompher ses id�es. Un �crivain postcolonial m�rite de grandir dans les douleurs de son pays et son �uvre de m�rir dans une parole qui enfante la libert�. En Alg�rie, comme partout dans le monde, le respect par les lecteurs des �crivains et de leur litt�rature est � ce prix. �Le Voyageur d�Isra�l� a perdu ce respect.
A. M.

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