Soirmagazine : L�ENTRETIEN DE LA SEMAINE
PROFESSEUR NOURIA BENYAKHLEF, SP�CIALISTE EN PSYCHIATRIE � L�EHS DRID HOCINE AU SOIR MAGAZINE
�La sant� physique et psychologique des femmes inqui�te plusieurs sp�cialistes�


Par M. Z.
Pr Nouria Benyakhlef explique, dans cette interview, comment le mythe moderne de la beaut�, le culte de la minceur et de la jeunesse a r�ussi, en 20 ans, non seulement � remettre les femmes sous contr�le, mais aussi � faire des ravages consid�rables dans leur psychisme.
Le Soir d�Alg�rie : Depuis plusieurs ann�es d�j�, notre soci�t� a �volu� de sorte que le culte de soi est devenu omnipr�sent. Comment expliquez-vous cette mutation ?
Pr Nouria Benyakhlef :
Le culte du corps et de la beaut� a toujours exist�... Les hommes et les femmes se sont toujours souci�s et pr�occup�s de leur image. Ce ph�nom�ne n'a rien de nouveau et n'est pas forc�ment plus amplifi� ; ce qui change r�ellement, ce sont les outils de diffusion du culte du corps, � savoir la publicit� et les m�dias. A l'aide d'un bombardement d'images, la femme s�est vu progressivement imposer un mod�le physique asexu� d�sincarn� et par d�finition inaccessible : le mythe moderne de la beaut�. Flanqu� de ces deux acolytes : le culte de la minceur et le culte de la jeunesse le mythe de la beaut� a r�ussi, en 20 ans, non seulement � remettre les femmes sous contr�les, mais aussi � faire des ravages consid�rables. Haine de soi, troubles sexuels, insomnies, d�pressions nerveuses dues � des r�gimes d'amaigrissement, morts par anorexie ou liposuccion sont quelques-uns des fl�aux qui frappent aujourd'hui la population f�minine. Les m�dias nous bombardent constamment d'images du corps f�minin. Celui-ci sert � vendre n'importe quoi : des yaourts, des voitures, des films... Dans cette abondance d'images, on remarque cependant peu de diversit�. Les corps sont jeunes, tr�s minces, la peau est g�n�ralement blanche et sans d�faut. Les images des magazines f�minins et de la publicit� nous pr�sentent des femmes �parfaites� et irr�elles, clon�es les unes sur les autres. La soci�t� cr�e des normes, mais elles �voluent au fil des ann�es ! Les plus beaux tableaux repr�sentent des femmes en chair, elles sont magnifiques et elles expriment leur maturit� et le bien-�tre. Aujourd'hui, les m�dias vantent la femme allumette, avec une poitrine exag�r�e ; la chirurgie esth�tique est in�vitable pour y arriver ! C'est honteux, beaucoup de jeunes filles se sentent mal dans leur peau � cause de �a. Aucune femme ne peut ressembler � Barbie ! Cela a �t� prouv� par des sp�cialistes. L'obsession des m�dias pour la minceur et la jeunesse aurait, selon certains sp�cialistes, des racines �conomiques. En pr�sentant un id�al difficile � atteindre et � maintenir, on assure la croissance et la rentabilit� de l'industrie des produits amincissants et des cures de jouvence. Les femmes, inqui�tes de leur apparence, sont plus susceptibles d'acheter des produits de beaut�, de nouveaux v�tements et des produits de r�gime. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si la jeunesse s'impose de plus en plus comme crit�re de beaut�, au c�t� de la minceur. Des produits nous sont propos�s pour nous permettre de nous rapprocher du mod�le id�al. Les signes du vieillissement sont per�us comme une calamit� que l'on doit corriger. C'est certainement payant, car si nous n'avons pas toutes du poids � perdre, toutes nous vieillissons.
L'une des caract�ristiques de cette mutation est l'adoption d'un r�gime alimentaire � l'approche de l'�t� ou tout au long de l'ann�e. Avez-vous observ� des exc�s dans notre soci�t� ?
Il faut savoir que l�adoption d�un r�gime est le r�sultat de ce que v�hiculent le regard des autres et le d�sir de leur plaire. Notre soci�t� n��chappe pas au reste du monde dit moderne. Parmi les sujets de discussions entre femmes, les questions relatives aux r�gimes, � la mode et ses tendances ; chacune vient avec ce qu�elle a lu ou vu dans tel ou tel programme. Le plaisir qu'on a dans la vie c'est de manger. On nous conditionne � se faire ennemi de la nourriture. Il y a 30 ou 40 ans, on ne parlait pas de r�gime et de faible pourcentage de gras, etc. Les gens n'�taient pas plus gros qu'aujourd'hui, il n'y avait pas de probl�me d'ob�sit� comme aujourd'hui. Le probl�me, en plus des magazines, c'est nous qui ne bougeons plus. La bouffe n'est pas plus engraissante de nos jours qu'elle l'�tait avant. Il faut manger pour vivre, il faut grouiller aussi, rester � la maison devant la t�l�, devant le PC ou devant la play-station... Bien s�r que le r�gime devient la solution miracle � la perte de poids. Mais aller dehors, marcher, faire du v�lo, etc., je pense qu'on peut se permettre le fromage un peu plus gras, non ?
Des complexes surviennent lorsque la femme, notamment, ne r�pond pas au �top mod�le� renvoy� par la soci�t�. Comment vit-elle cette situation ?
Le flot de messages sur la minceur, les r�gimes et la beaut� ne cessent de r�p�ter aux femmes que leur corps est un objet imparfait qui n�cessite un important investissement ainsi qu'un travail constant. En tentant d'atteindre un id�al de beaut� inaccessible, les femmes mettent bien plus que leur budget en p�ril : leur sant� physique et psychologique inqui�te plusieurs sp�cialistes. Des �tudes montrent que des femmes et des filles constamment expos�es � des images de corps f�minins d'une impossible minceur risquent de d�velopper des d�pressions, une mauvaise estime de soi et de mauvaises habitudes alimentaires. Bien s�r, les magazines et la publicit� ne sont pas seuls � promouvoir un id�al de beaut� inaccessible. Le cin�ma et la t�l�vision contribuent grandement � le diffuser. Les actrices de s�ries t�l�vis�es et de cin�ma sont, g�n�ralement, de plus en plus minces et de plus en plus jeunes.
Pourtant, notre soci�t� m�diterran�enne est loin de la physionomie europ�enne. Mais, nous suivons les m�mes r�gles de beaut�...
Revenons � l�influence des m�dias aussi bien occidentaux qu�orientaux, qui font partie int�grante de notre quotidien gr�ce aux cha�nes du c�ble et du satellite.
A contrario, comment doit-on r�agir face � cette invasion culturelle ? Pourquoi cette obsession ?
Ce ph�nom�ne r�pond, d�une part, � un d�sir de l�individu de construire son identit�. Le culte du corps prend alors deux dimensions :
- l�exp�rience de soi-m�me qui vise � mieux se r�aliser, s��panouir et aller au bout de soi-m�me ;
- la v�rit� de soi qui prend appui sur l�apparence, le physique et le reflet projet�.
D�autre part, le culte du corps r�pond � un besoin d�appartenance et permet � l�individu de s�identifier � tels ou tels groupes sociaux. Le culte du corps cr�e une valorisation et une exposition d�mesur�es qui fragilisent l�individu vis-�-vis des transformations subies par le corps au cours de sa vie (vieillissement, prise de poids�). Les marques profitent de ce ph�nom�ne pour placer le bien-�tre au c�ur de leur strat�gie marketing tout en l�int�grant dans leur discours de marque.
Quels sont les conseils que vous pourriez donner pour s'accepter tels que nous sommes ?
La recherche d�une perfection dans l�apparence ext�rieure ne correspondrait-elle pas � une recherche d�un bien-�tre parfait � l�int�rieur de soi ? Dans la recherche de la perfection, c�est la recherche de l�amour des autres que l�on veut. Mais ne faut-il pas mieux d�abord s�aimer soi-m�me ?
- S�aimer, c�est avoir confiance en soi.
- Avoir confiance, c�est ne pas craindre le jugement des autres, ne pas se laisser d�molir par celui-ci.
Comment faire pour accepter la diff�rence physique des autres et les faire accepter ?
Nous on ne se voit pas, on voit les autres. Le regard change au fur et � mesure que l�on conna�t les personnes. L�image de soi est non seulement li�e � l�estime de soi, mais � ses premiers mod�les de repr�sentations du corps, ce qui constitue pour une petite fille l'identification � la m�re. Un enfant � qui ont fait des compliments pourra construire une image positive de lui-m�me, contrairement � celui que l'on critique et qui aura plus de mal � se b�tir une bonne image de soi. Beaucoup de femmes, � l'estime de soi basse, ont ainsi vu leur m�re ou leur grand-m�re se lancer pendant toute leur vie des chasses aux calories draconiennes. Mal dans leur peau, elles pensent aujourd'hui compenser leur manque d'amour d'elles-m�mes en maigrissant et se faire aimer en retour. Pourtant, c'est en prenant conscience du poids de son �ducation et des ces mod�les d'�ducation qu'on peut trouver la cl� pour sortir de ces fixations sur le corps.

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