Chronique du jour : LETTRE DE PROVINCE
Juin, la saison de la m�moire


Par Boubakeur Hamidechi
hamidechiboubakeur@yahoo.fr

Contrairement � ce que l�on suppose, il ne s�agit ni des h�sitations d�un pr�sident incapable de donner � l�Etat un nouveau gouvernement ni du �j�m�en-foutisme� de ce m�me prince qui se pla�t � faire joujou avec ses devoirs pour le seul plaisir d�affirmer une singuli�re omnipotence. Depuis le temps qu�il s�est r�v�l� � l�opinion par ce genre d�humeur changeante ce qui advient de sa part n��tonne plus. Car le pays est d�sormais ailleurs quand la gestion de l�Etat demeure son affaire.
C�est-�-dire sa priorit� dont-il a fait une chasse- gard�e. Sauf que dans la majest� de ses �carts vis-�-vis du formalisme que lui impose sa fonction, il ne peut pourtant pas censurer la m�moire collective. Car quoi qu�il fasse ou souhaite imposer � une soci�t� d�j� � genoux, les stigmates du souvenir demeurent intacts. Peuple orphelin de ses rep�res et nation veuve de ses guides, il existe n�anmoins le chemin des cimeti�res pour donner du sens au besoin du ressourcement. Evidemment, certains n�y verront que de l�emphase dans cette exigence, une forme de pathos mis�rable pour se r�fugier dans l��vocation et les hommages. Mais tant pis puisque seul le hasard avait mis, dans ces journ�es du mois de juin, les moments les plus consid�rables de nos douleurs, de nos �checs et de nos regrets. �tonnamment, c�est dans l�identit� de nos tombes que souvent ce pays r�active le souvenir d�une dignit� perdue. Elles sont nos panth�ons. En effet, dans le compagnonnage pesant des gisants, cette soci�t� a appris paradoxalement � ne jamais d�sesp�rer. En somme, la mort, en se d�multipliant, est parvenue � essaimer les cryptes de l�honneur sur cette terre. Oulkhou pour d�signer le g�nie litt�raire de Tahar Djaout, Taourirt-Moussa pour se rappeler du barde sans concession que fut Matoub Lounes puis au sommet de ce triangle de la douleur, El Alia o� sommeille �ternellement Boudiaf. Autant de lieux-dits qui interpellent ponctuellement ceux qui r�sistent et refusent la capitulation alors que l�on s�obstine depuis 20 ans � d�sarmer moralement ce pays. Ce sont donc des morts parlants qui continuent � nous sauver du renoncement. Boudiaf, entre autres, dont on comm�morera le 29 juin le vingti�me anniversaire de sa disparition, demeure la ligne qui �pargne ce pays du naufrage. En � peine six mois de pr�sence � la t�te de l�Etat, n�avait-il pas r�appris aux Alg�riens les rudiments oubli�s de la grandeur de la nation et surtout ce que le vocable �rectitude � voulait dire ? La force de sa conviction et ses accents de probit� n�avaient-ils pas contribu� � un d�but de remobilisation populaire ? C�est cet �lan, dont la p�dagogie du personnage fut � l�origine, qui se brisa le 29 juin 1992. Et pire encore, que l�on s�efforce d�enfouir dans l�oubli de nos jours. Malgr� ce veuvage multiple qui avait souvent choisi les mois de juin de certaines ann�es, la soci�t� ne s�est pas effondr�e. Au contraire, elle continue � y puiser une volont� d�mesur�e de survivre au grand dam des pr�dateurs politiques qui travaillent � son assujettissement. Qu�aujourd�hui encore Boudiaf (29 juin), Djaout (23 juin) et Matoub (25 juin) se partagent ce mois des incertitudes et qu�en m�me temps l�on continue � s�en souvenir n�est-il pas le preuve, � peine perceptible certes, que ce pays dont la m�moire est exceptionnellement tatou�e a encore de l�avenir malgr� les ravages qu�il subit depuis un demi-si�cle ? Cela s�appelle la rage de survivre. En effet, une soci�t� ne se r�g�n�re et n�avance que par la col�re. Celle que craignent les d�tenteurs de �l�ordre� � laquelle ils imputent tous les maux afin de se d�douaner de la forfaiture permanente dont ils sont eux-m�mes les continuateurs. Juin est d�cid�ment le temps de la m�moire quand les pouvoirs d�sirent annuellement en faire le panth�on de l�amn�sie nationale.
B. H.

Nombre de lectures :

Format imprimable  Format imprimable

  Options

Format imprimable  Format imprimable