Chronique du jour : LES CHOSES DE LA VIE
Soyez fiers de l�ind�pendance !


Par Ma�mar FARAH
maamarfarah20@yahoo.fr

La nuit derni�re, une panne de courant est survenue au niveau de notre immeuble. Plus de t�l�, de climatisation, de lumi�re, d�internet, de r�frig�rateur, etc. Ce n�est pas bien grave, cela arrive souvent dans beaucoup de foyers en temps de chaleur excessive. Mais, ce qui m�a surpris est la r�action de mon fils qui a demand� d�aller passer la nuit chez nos voisins si l��lectricit� ne revenait pas. J�ai cru comprendre qu�il ne peut dormir sans faire un tour par Facebook et que le sommeil serait impossible sans l�air frais de la climatisation.
Et l�, je me suis pos� la question de savoir si mon fils savait comment vivaient les Alg�riens avant 1962, s�il �tait conscient du fait que tous les gadgets �lectriques qui l�entourent et qu�on peut trouver dans la majorit� des foyers �taient inaccessibles aux Alg�riens de l��poque coloniale. Alors, oui, il faut le dire, le r�p�ter et le rappeler � ceux qui mart�lent que nous n�avons rien fait en 50 ann�es d�ind�pendance : vous n�avez rien compris � votre pays et vous faites semblant d�ignorer les r�alit�s de votre peuple lorsqu�il subissait le joug de la colonisation. J�en ai longuement parl� � mon fils et je lui ai racont� comment mon propre p�re, r�alisant que nous vivions dans des conditions enviables par rapport au reste de la population (�lectricit�, WC, eau courante, TSF, 203 familiale flambant neuf), m�avait emmen� un jour chez sa tribu. C��tait un immense bidonville et les gourbis se succ�daient dans la d�solation totale. Rues parcourues par des eaux naus�abondes, poules l�ch�es dans la nature, parfois une maigre ch�vre, unique bien de toute une famille. A l�int�rieur, une seule pi�ce servait de cuisine, salon, chambre � coucher. Les murs, en terre battue, �taient noirs : on utilisait le bois et � l�heure de la cuisson des repas, la fum�e devenait insupportable� Les hommes et les enfants pouvaient sortir mais pas ma pauvre tante qui devait surveiller le maigre repas, une p�te sans saveur barbotant dans de l�eau bouillante. Mon p�re avait d�pos� quelques fruits qui furent aussit�t cach�s pour ne pas subir l�assaut des enfants. Partout, il n�y avait pas d��lectricit�. Dans un autre gourbi, tout aussi sale, il y avait un gosse malade qui vomissait. Il y avait un seul m�decin militaire pour tout un village et conduire le souffrant chez un priv�, � la ville voisine qui se trouvait � 50 kilom�tres, �tait une v�ritable exp�dition. On laissait mourir les malades. Vieux ou jeunes, ils n�avaient aucune chance d��chapper � leur sort. Au moment o� les colons faisaient la f�te du 14 juillet, la chaleur achevait des vieillards qui avaient � peine 50 ann�es. L�esp�rance de vie de notre peuple ne d�passait pas les 48 ans et si certains veulent revenir � cette �poque, en d�non�ant tout ce qui a �t� fait par la suite, qu�ils n�oublient pas de prendre avec eux les certificats m�dicaux de leurs derniers s�jours dans les h�pitaux parisiens ! Les enfants �taient pieds nus. Leurs v�tements �taient rapi�c�s en plusieurs endroits. Ils �taient p�les et crasseux. Les gar�ons �taient mal peign�s et leurs cheveux parfois parcourus de pelades hideuses. Les filles portaient des foulards qui semblaient provenir de la garde-robe de leur grand-m�re. La nuit, avant de les coucher, les mains habiles de mes tantes s�acharnaient sur les poux. Ces gosses n�allaient pas � l��cole et n��taient pas vaccin�s. Ils jouaient des jeux simples et leurs divertissements dans les eaux us�es pr�cipitaient certaines maladies qui prenaient parfois la forme de contagieuses �pid�mies. Leur plus grand r�ve �tait d�avoir un peu de chocolat� Mon p�re est parti trop t�t (1966) et ne peut voir son village aujourd�hui. C�est devenu une ville, avec de grands b�timents � la place des bidonvilles, une grande minoterie, une poste moderne, une da�ra, un commissariat de police et une tr�s grande �cole de la Gendarmerie nationale, la troisi�me d�Afrique, �rig�e sur nos propres terres, un nouveau dock silos pour le bl�, une nouvelle gare routi�re, une piscine, des routes refaites avec des �changeurs et des ronds-points �clair�s par l��nergie solaire, une banque agricole� Mon p�re ne peut pas voir les enfants de sa tribu, bien habill�s, d�barrass�s � jamais des poux et des maladies, vaccin�s gratuitement d�s leur naissance, il ne peut pas les voir fr�quenter les nombreuses �coles, les CEM et les deux lyc�es, lui qui a souffert pour m�envoyer �tudier � 150 kilom�tres de chez nous, et encore c��tait pour la� sixi�me ! Nous �tions les fils de l�ind�pendance mais celle-ci n�avait pas encore livr� tous ses fruits. Internes � 12 ans, arrach�s � notre enfance heureuse, nous avions appris le sens du s�rieux et de la discipline ; nous avions appris � respecter les sacrifices de ceux qui sont morts pour que le drapeau national soit hiss� au fronton de notre lyc�e ! C�est cette Alg�rie de la d�solation et de la mis�re g�n�ralis�e que regrettent ceux qui nous disent : �50 ans, �a suffit !� Non, �a n�a pas suffi pour donner plus de chances � tous les Alg�riens ; non �a n�a pas encore suffi pour que la lumi�re p�n�tre tous les foyers et ceux qui mettront aujourd�hui un drapeau sur leurs portes sont justement ceux qui attendent encore. Et vous, vous souvenez-vous du gourbi ? Et de l��ne ? Oui, l��ne, un moyen de transport qui n��tait pas � la port�e de tout le monde ! Si tu ne t�en souviens pas, demande � ton p�re ou � ton grand-p�re ! Evidemment, les d�ceptions sont nombreuses et je crois que, travaillant dans un journal qui n�est pas tendre avec le pouvoir, nous les disons tous les jours ; nous les crions face � un syst�me qui n�a pas compris qu�il est temps de mobiliser nos devises pour la cr�ation d�emplois et que toutes les tentatives actuelles de reloger les gens et d�am�liorer leurs conditions de vie ne serviront � rien s�ils doivent rester �ternellement ch�meurs ! R�industrialiser le pays pour cr�er la richesse et arr�ter l�h�morragie de devises qui partent en fum�e dans des importations� fumeuses� Voil� le d�fi des prochaines ann�es. Mais entre les patriotes qui, au-del� de leur appartenance � l�un ou l�autre des secteurs public ou priv�, veulent l�int�r�t national et ceux qui retourneront dans leur second ou troisi�me pays � la fin de la manne p�troli�re, nous devons savoir choisir. Maintenant, va au feu d�artifice, mon fils ! Chante et danse et dis merci aux millions de martyrs qui, depuis notre cousine Dihya (dite El Kahina), enterr�e pas loin de chez nous, et jusqu�� Massinissa Guermah, sont morts pour que tu vives dans l�Alg�rie libre ! Sois fier de notre ind�pendance, mon fils !
M. F.

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