Contribution : TRANSPORT A�RIEN EN ALG�RIE
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Par Dr Zouhir Bouter *
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L��volution du transport a�rien, consid�r� en Alg�rie comme un secteur strat�gique, est appel�e manifestement � s�ins�rer � son environnement international, � r�pondre aux exigences induites par cette mondialisation et � tracer les perspectives de son d�veloppement.
L�environnement international a des cons�quences directes sur la viabilit� et la comp�titivit� des entreprises de ce secteur en Alg�rie, et il est n�cessaire de d�finir d�abord ses contours.
L�environnement international
Dans le contexte actuel de mondialisation et d�int�gration de l��conomie globale, le cadre dans lequel �volue le transport a�rien international est surtout marqu� par une orientation tr�s lib�rale, visant notamment la d�r�gulation du cadre r�glementaire entre pays et l��limination des obstacles � la libre prestation des services de transport a�rien. Il y a lieu de pr�ciser ici que ce processus de d�r�gulation a �t� �volutif. Jusqu�en 1978, le transport a�rien international a fonctionn� exclusivement selon un syst�me d�accords bilat�raux protectionnistes. C�est la �Convention de Chicago� relative � l�aviation civile internationale, sign�e le 7 d�cembre 1944, qui servait de cadre � ces accords. Aux termes de son 1er article, les Etats signataires de la Convention de Chicago reconnaissent que �chaque Etat a la souverainet� compl�te et exclusive sur l�espace a�rien au-dessus de son territoire�, et s�engagent � respecter un cadre r�glementaire r�gissant les accords bilat�raux qui permettaient aux Etats membres d�exercer un contr�le sur l�acc�s au march�, les tarifs et le niveau de service et conservaient donc la souverainet� sur leur espace a�rien respectif.
La r�forme du transport a�rien aux Etats-Unis d�Am�rique
Le coup d�envoi d�une vaste r�forme du transport a�rien international a �t� donn� en 1978, suite � la promulgation du �Airline Deregulation Act� aux Etats-Unis d�Am�rique. Le principal objectif de cette loi �tait de supprimer le contr�le du gouvernement sur les horaires, les destinations desservies ainsi que la politique tarifaire des compagnies a�riennes, tout en maintenant, par ailleurs, le contr�le sur la s�curit� a�rienne par l�interm�de de la FAA (Federal Aviation Authority). Confront�es � un environnement concurrentiel f�roce, �l�ment-clef de la culture d�entreprise aux Etats-Unis, de nombreuses compagnies a�riennes subissent des pertes financi�res consid�rables ainsi que d�interminables conflits avec les partenaires sociaux. Les r�sultats ne se font pas attendre, et entre 1978 et 2001, pas moins de 9 compagnies d�envergure, inclus Pan Am et TWA, et plus de 100 op�rateurs de moindre envergure d�clarent faillite. Mais gr�ce � la puissance �conomique du pays et l�efficacit� de ses entreprises, le secteur se restructure rapidement et rena�t plus fort. Seule une oligarchie de compagnies, les plus performantes, subsistent en contr�lant d�ailleurs l�essentiel du trafic. Elles sont pr�tes � conqu�rir aussi d�autres march�s, notamment europ�ens.
La r�forme du transport a�rien en Europe
Pour de nombreux experts, la lib�ralisation du transport a�rien en Europe a �t� dans un premier temps �subie�, et s�est donc faite sous la forte pression de la dynamique de d�r�glementation du secteur parti des Etats-Unis. Contrairement au mod�le am�ricain, et vraisemblablement dans un souci d��viter aux compagnies europ�ennes les m�mes effets d�vastateurs, une lib�ralisation plus lente a �t� amorc�e en Europe. Sans trop rentrer dans les d�tails, sujet d�ailleurs d�une r�flexion plus approfondie, la r�forme du transport a�rien europ�en, qui a fonctionn� jusqu�au milieu des ann�es 1980 par la technique d�accords bilat�raux protectionnistes, s�est d�roul�e en trois �tapes (1987, 1990, et 1993). La derni�re en date, celle de 1993, n�a pris fin qu�en 1996 par la lib�ralisation des tarifs, suivie de la lib�ralisation du cabotage en 1997, et ceci dans un souci de r��quilibrage des donn�es en mettant en place les alliances entre compagnies a�riennes et les strat�gies n�cessaires devant la conqu�te du march� europ�en par les Am�ricains. Pour conclure ce chapitre, disons que, globalement, les consommateurs ont �t� les premiers b�n�ficiaires de la d�r�gulation du transport a�rien aux Etats-Unis d�Am�rique et en Europe gr�ce � une am�lioration remarquable des produits propos�s. On peut citer notamment le nombre notable des destinations et des fr�quences, mais, surtout aussi, une offre tarifaire tr�s concurrentielle.
Les nouveaux acteurs : les compagnies a�riennes � bas prix
Suite � la d�r�gulation du transport a�rien et t�moin de la guerre tarifaire que se livrent les compagnies a�riennes, le concept de �compagnie a�rienne � bas prix� (traduction de l�anglais �Low Cost Airline �, plus usuellement utilis�) s�est tr�s vite d�velopp�. Les compagnies Low Cost exploitent un cr�neau commercial diff�rent qui consiste � mettre sur le march� un produit de base, le transport a�rien, aux plus bas tarifs. Tous les services annexes traditionnellement offerts aux clients en vol et au sol sont payants (r�servation de si�ges, repas et prestations � bord, etc.). Pour ce faire, elles agissent sur deux imp�ratifs essentiels, � savoir :
1) faire voler l�avion le plus possible ;
2) un taux de remplissage avoisinant 100%.
Afin de r�duire leurs co�ts d�exploitation, ces compagnies adoptent un r�seau de point � point (navette a�rienne sur 900 km en moyenne, sans correspondance), utilisent g�n�ralement un seul type d�avion (r�duction des co�ts de maintenance), utilisent des a�roports secondaires moins encombr�s (rotation rapide) ainsi qu�un personnel multifonctions. L�essor de ce cr�neau a connu un d�veloppent remarquable, 14% par ann�e sur la d�cennie 1999-2009, et d�montre la tendance � la d�mocratisation du transport a�rien gr�ce aux bas tarifs propos�s. Il repr�sente aujourd�hui 21% du march� aux Etats-Unis d�Am�rique et en Europe, 24% en Am�rique du Sud, 14% en Asie et 9% pour la r�gion Afrique/Moyen-Orient (Source : ICAO). Notons quelques autres statistiques qui nous serviront de rep�res dans la deuxi�me partie de cet expos� :
- Une compagnie Low Cost applique une r�duction tarifaire de 49,5% en moyenne par rapport au prix pratiqu� par l�op�rateur install� avant l�entr�e du Low Cost (Etude de Ito et Lee sur donn�es am�ricaines � 2003).
- En moyenne, 37% des clients du Low Cost proviennent de la compagnie d�tentrice du monopole (Source : Emmanuel Combe � 2010).
- Gr�ce � la baisse des prix pratiqu�s, l�installation d�une compagnie Low Cost provoque un effet d��induction du trafic� et le nombre de passagers augmente en moyenne de 112%. Notons aussi que cette augmentation profite �galement � la compagnie r�guli�re � hauteur de 37%. (Source : Emmanuel Combe � 2010)
Perspectives en Alg�rie
Nous avons essay� de pr�senter dans la premi�re partie de cet expos� le contexte mondial dans lequel �volue le transport a�rien. Les tendances et statistiques pr�sent�es montrent clairement une d�mocratisation de ce mode de transport qui devient accessible � une nouvelle client�le gr�ce aux r�ductions tarifaires, r�sultat de l�orientation lib�rale du cadre r�glementaire entre pays. Mais, face � cette situation issue de la lib�ralisation du transport a�rien, et surtout la concurrence f�roce des compagnies Low Cost, quels sont les changements possibles et les impacts sur l'industrie a�rienne dans notre pays ? Doit-on faire confiance aux m�canismes du march� et aller, � l�exemple du Maroc, vers une lib�ralisation de notre espace a�rien ? Avant de pouvoir formuler une strat�gie globale, il est utile d�apporter les constations suivantes sur la situation actuelle du transport a�rien en Alg�rie :
- Mis � part l�interm�de Khalifa Airways, la compagnie nationale Air Alg�rie a toujours exerc� le monopole public sur le ciel alg�rien. L��volution du transport a�rien est donc rest�e confin�e aux seules performances de cette compagnie. - Loin de tout pessimisme b�at, il faut signaler cependant la sous-performance croissante d�Air Alg�rie. Notre pavillon national est tributaire d�une structure organisationnelle lourde et malgr� des investissements importants ces derni�res ann�es ; Air Alg�rie reste min�e par des probl�mes, externes d�abord, telles notamment la difficult� d�adaptation aux normes et exigences internationales ; internes ensuite, comme le manque de rigueur de son personnel ainsi que les interminables conflits avec les partenaires sociaux.
- Le flux passager vers l�international est domin� par un trafic point-�-point en court et moyen courriers principalement vers le Nord. Le retour des compagnies �trang�res vers notre pays, plus r�actifs ??????? et surtout plus performantes, a induit une diminution de nos parts de march� sur ce cr�neau porteur.
- Sur le long courrier, sont � souligner les efforts encourageants d�Air Alg�rie pour la mise en place des lignes Alger-P�kin et Alger-Montr�al.
- Le r�seau domestique est domin� par les navettes a�riennes entre les grandes villes du nord, mais aussi par les dessertes vers le sud. Le d�veloppement du r�seau routier et ferroviaire (autoroute Est-Ouest, d�doublement des routes interwilayas et train � grande vitesse) va certainement marginaliser les liaisons a�riennes entre les villes du nord.
- L�activit� cargo reste faible et tr�s marginale, et ce, malgr� les opportunit�s qu�offre l�Alg�rie en cette p�riode d�embellie �conomique.
- Soulignons enfin l�inexistence du cr�neau aviation d�affaires ainsi d�ailleurs que celui du travail a�rien. Devant ce constat, l�auteur de ce rapport souligne l�urgence de la mise en place d�une strat�gie globale du transport a�rien, volontaire et cibl�e, et qui vise dans un premier temps � redynamiser l�industrie nationale du transport a�rien. Vu l'utilit� �conomique, sociale et politique de ce mode de transport, il est utile � ce stade d��num�rer les principaux objectifs et l�int�r�t des pouvoirs publics � les soutenir :
Soutenir un secteur dynamique :
Le secteur du transport a�rien est cr�ateur de valeurs, d'emplois et de p�les d'attraction �conomique. Selon les derni�res estimations de l�OACI (Organisation de l�aviation civile internationale), l�impact �conomique global du transport a�rien se traduit par la cr�ation de 610 emplois indirects pour chaque 100 emplois directs dans le secteur, et en terme mon�taire, 325 dollars sont g�n�r�s pour chaque 100 dollars produits par le secteur.
R�pondre � une demande croissante de mobilit� :
El�ment d�terminant de la croissance �conomique, le secteur du transport a�rien doit r�pondre � une demande de mobilit� des personnes et des marchandises de plus en plus croissante. Pour la seule d�cennie 2000-2010, le nombre de passagers transport�s � travers le monde a augment� de 45%. Selon les �tudes pr�visionnelles du constructeur
Airbus, ce nombre doublera encore durant les vingt prochaines ann�es.
R�pondre � une demande d�int�gration du pays : Devant une �conomie mondiale de plus en plus globalis�e, le secteur du transport a�rien constitue un facteur majeur d�int�gration g�opolitique. Il participe pleinement au rayonnement international de l�Alg�rie, mais se doit aussi, au niveau national, de r�pondre � une demande d�int�gration des r�gions d�senclav�es vers les grands centres urbains et p�les �conomiques du pays. Afin de maximiser la port�e de ces objectifs, la strat�gie de d�veloppement doit prioritairement cibler la d�mocratisation de ce mode de transport et donc encourager et soutenir une offre tarifaire concurrentielle. A cette fin, il nous semble n�cessaire d�encourager l�implantation de nouveaux op�rateurs nationaux � capitaux priv�s, sans oublier, bien s�r, d�orienter leurs apports vers les cr�neaux d�utilit� nationale. Ceux-ci peuvent �tre �num�r�s comme suit :
- Transport r�gional, particuli�rement vers le Sud, s�appuyant sur des a�roports secondaires ;
- transport de fret, domestique et international ;
- aviation d�affaires, domestique et internationale ;
- travaux a�riens (agricoles, lutte anti-feu, �vacuation sanitaire, prises de vue num�riques, lev�s Lidar etc.) ;
- transport passagers, domestiques et internationaux ; Dans un premier temps au moins, il est pr�conis� d�assurer une position de pr�dominance d�Air Alg�rie dans ce nouvel �chiquier, vu la symbolique � la charge de cette compagnie tant du point de vue du rayonnement international du pays que celui d�acteur �conomique de premier ordre. Malgr� des efforts m�ritoires, Air Alg�rie reste confront�e � de nombreux probl�mes (liste noire europ�enne, gr�ves des pilotes, des techniciens ou du personnel navigant) qui risquent � terme de compromettre s�rieusement son devenir face � l�environnement concurrentiel � venir. Il nous para�t donc urgent de mettre en place une dynamique de changement afin d�am�liorer les performances d�Air Alg�rie sur les plans op�rationnel et financier ainsi que son image de marque. L�acceptation et le d�sir de changement, l�appui de tous les employ�s du niveau sup�rieur au niveau inf�rieur ainsi que des autorit�s gouvernementales sont d�une importance capitale au succ�s d�un tel projet. Notons enfin que le d�veloppement du transport a�rien doit imp�rativement s�accompagner du d�veloppement des deux autres piliers du syst�me que sont les autorit�s de r�gulation de l�aviation civile et les infrastructures a�roportuaires qui doivent faire l�objet d��tudes compl�mentaires s�par�es. Il nous para�t utile, cependant, de souligner l�importance capitale des autorit�s de r�gulation de l�aviation civile en citant un cas, celui de l�Indon�sie, devenue depuis un cas d��cole. En effet, suite � la lib�ralisation du transport a�rien en 2001, les infrastructures du pays et les autorit�s de r�glementation du transport a�rien sont vite submerg�es. Les r�sultats ne se font pas attendre, et tragiquement, un Boeing 737-400 de l�op�rateur priv� Adam Air s��crase le 1er janvier 2007 dans une zone maritime avec 96 passagers � bord. Le 7 mars 2007, c�est un autre Boeing 737-400, cette fois du pavillon national Garuda Indonesia, qui termine en feu en sortie de piste sur l�a�roport international de Adisucipto causant la mort de 21 passagers. Fait troublant, les enqu�teurs, tout en reprochant les performances du capitaine, d�couvrent qu�� la date de l�accident, les autorit�s de l�aviation civile n�avaient effectu� qu�un �seul audit de s�curit� depuis 1998, et que le rapport d�audit n�a m�me pas �t� communiqu� � Garuda. En cons�quence, et conform�ment aux recommandations de l'OACI, toutes les compagnies a�riennes indon�siennes sont interdites de vol dans tous les pays de la Communaut� europ�enne � compter du 6 juillet 2007.
A propos de la lib�ralisation du ciel alg�rien (Open Sky)
Un simple calcul arithm�tique au niveau des compagnies nationales des trois pays du Maghreb (Alg�rie-Maroc-Tunisie) nous donne une flotte combin�e de 118 avions. En face de nous, le sous- ensemble g�ographique France-Espagne-Italie offre un total de 684 avions, sans compter les nombreuses entit�s priv�es. Un rapport alarmant de 6 pour 1 au moins et qui, combin� � une bien meilleure gestion et productivit�, c�t� europ�en, montre l�in�galit� du cadre concurrentiel entre les deux bords de la M�diterran�e. Nos compagnies nationales auront donc bien des d�fis � relever, surtout que le r�seau des destinations desservies reste domin� par un trafic point � point en court et moyen courriers, donc tr�s expos� � la r�cup�ration par les compagnies Low Cost. Mais l�Open Sky, comme d�montr� par les statistiques donn�es plus haut, a �t� une r�ussite pour de nombreux pays. Pour les pays africains, cette strat�gie a �t� adopt�e principalement comme tremplin � l�essor du secteur du tourisme. Notre voisin de l�Ouest, signataire de l�Open Sky avec l�Union europ�enne, depuis 2005, a pu r�aliser ainsi une croissance de 60% des passagers internationaux et des centaines de milliers d�emplois ont �t� cr��s. Globalement donc, l�Open Sky engendre des avantages �conomiques certains, mais, et l� est le d�bat, cela se fait aux d�pens des compagnies a�riennes nationales qui, support�es par les pouvoirs publics, restent min�es par une l�thargie devant la comp�tition qui s�annonce. Il est important de rechercher dans la concertation les solutions � ce d�bat. Les partisans de l�Open Sky soulignent, � juste titre d�ailleurs, les bienfaits au d�veloppement de l��conomie nationale. Le camp oppos� propose une strat�gie protectionniste visant principalement � sauvegarder l�industrie nationale du transport a�rien. Nous pensons que l�Open Sky est une �ch�ance in�luctable. Nous pensons aussi et croyons surtout que le g�nie cr�ateur national, avec l�aide des pouvoirs publics, pourra relever le d�fi. Nous proposons une p�riode de transition �tal�e sur trois ans, � l�horizon 2016, durant laquelle des mesures proactives et cibl�es seront mises en place. Ces mesures s�articuleront autour des strat�gies suivantes :
1- redynamiser le secteur du transport a�rien (compagnies a�riennes, autorit�s de l�aviation civile et infrastructures a�roportuaires) ;
2- encourager et soutenir l�implantation d'op�rateurs priv�s comme d�crits plus haut ;
3- adopter et encourager une politique de d�mocratisation de ce mode de transport, l�objectif �tant de rendre notre pays une destination abordable ;
4- se pr�parer pour l�option Open Sky. Dans ce contexte, une lib�ralisation �chelonn�e est souhaitable et pourrait commencer d�abord au sein de l�espace maghr�bin, beaucoup plus � notre port�e ;
6- consid�r�e comme secteur important et strat�gique, l��volution du transport a�rien en Alg�rie requiert une volont� des pouvoirs publics, la mobilisation de moyens financiers et surtout des hommes poss�dant la �qualification� ad�quate et une exp�rience av�r�e ; et il en existe dans le domaine en Alg�rie.
Z. B.
Ing�nieur en A�ronautique, Floride, Etats-Unis. Membre de l�Algerian-American foundation for culture, Education, Science and Technology.



Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/07/29/article.php?sid=137239&cid=41