Chronique du jour : KIOSQUE ARABE
Hadj-Soule�mane, priez pour nous !


Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com

Iblis aurait �t� �borgn� par une pierre ou un autre objet h�t�roclite, lors de sa lapidation rituelle au dernier p�lerinage de La Mecque. C'est la premi�re fois depuis des si�cles et des si�cles que les lapidateurs, maladroits par exc�s de pr�cipitation, auraient vis� juste et atteint leur cible. Ce serait l� un premier accident s�rieux depuis que le diable, chass� du paradis, a �lu domicile en ces lieux. Bien que handicap� par la perte d'un �il, Iblis pouvait encore pr�tendre � la royaut�, en vertu de la sacro-sainte r�gle du droit des borgnes � r�gner en pays de c�cit�.
Il a pr�f�r� renoncer parce qu'il a subi surtout une blessure d'amour-propre, post�rieure � son �borgnage. Le projectile lanc� par une main qui avait d�, un jour, �tre amie a raviv� le douloureux souvenir de la tra�trise des hommes, mais la suite a fait d�border le fiel. Voir autant de r�f�rences � la divine providence, alors que son travail � lui, le diable, est nettement plus efficace, lui a laiss� une impression de g�chis, d'efforts mal r�compens�s. Iblis ne se sent plus � sa place, et il a donc d�cid� de renoncer � son sanctuaire arabe. Il s'en va ! Devant les cam�ras de la cha�ne qatarie Al-Jazeera, qui scrutent en permanence les mondes naturels et surnaturels, il s'est expliqu� sur sa d�cision de s'expatrier. �Comprenez, a-t-il dit, que je m'applique depuis des temps imm�moriaux � enseigner aux Arabes le mensonge, la dissimulation, la rapine, l'enrichissement rapide et illicite. Mais une fois parvenus � leurs fins, une fois qu'ils ont acquis fortune et aisance, en pillant de fa�on �hont�e leurs voisins, et les biens du peuple, ils expriment leur reconnaissance � Dieu. Cette reconnaissance, ils l'affichent publiquement et avec ostentation par des ex-voto proclamant : �Ceci est un don de mon Dieu� (Hadha mine fadhli rabbi). Sur le fronton de leur maison, ou les pare-brise de leurs luxueuses voitures (1), ils remercient Dieu pour des bienfaits qu'ils ont acquis gr�ce � moi. Si ce n'est pas de l'ingratitude, c'est quoi ? En tout cas, je renonce, je vais aller exercer mes dons ailleurs, tiens peut-�tre au paradis dont les portes sont ouvertes en cette p�riode. Avec un peu de chance, je pourrais m'y faufiler, et une fois dans la place, je suis certain que j'aurais moins de tracas avec les Arabes. C'est l� qu'ils sont les moins nombreux !� Mais non, mon cher Iblis, si tu permets que je t'appelle ainsi, bien que tu n'ais rien fait pour moi, pourtant catalogu� arabe, tu n'as aucune raison de d�sesp�rer. Il n'y a rien de plus ridicule au monde qu'un diable qui se d�sesp�re (Faust Goethe), et tu ne dois pas c�der au d�sespoir, que diable ! La (mauvaise) graine est sem�e, il suffit de lire les journaux arabes pour s'en convaincre : ici, des messages d'intol�rance et de haine : des apprentis imams qui ont fait un d�tour par Djeddah appellent Dieu � an�antir les �chiites criminels�(2). Ceci, bien s�r, apr�s avoir atomis� tous les autres juifs et chr�tiens. L�, un d�put� �gyptien du parti fondamentaliste Nour, la lumi�re, surpris � disjoncter, en promiscuit� illicite, dans sa voiture gar�e sur la voie publique. Et puis, voici la meilleure du mois, l'oscar de ce Ramadan 2012, la trouvaille qui devrait ravir Iblis et tous les diablotins qui grenouillent dans le monde musulman. Depuis le d�but du Ramadan, une publicit� envahit les �crans et les sites internet, ainsi que les murs d'�gypte. Elle invite les croyants du pays � se consacrer uniquement au je�ne et � s'en remettre aux sp�cialistes pour ce qui est des invocations. Pour 1 000 LE (1 livre �gyptienne = 0,13 euro), les annonciateurs s'engagent � faire, � votre place, les invocations rituelles d'avant la pri�re du Maghrib. Pour 1 500, ces invocations d'avant la rupture du je�ne se feront avec des pleurs � l'appui. Avec 2 000 LE, �l'abonn� aura droit aux invocations de la fin de la nuit accompagn�es de pleurs et de d�votions. Et en promotion, on vous propose le bouquet complet, durant tout le mois sacr�, contre le versement d'un forfait de 4 000 LE. La soci�t� publie un num�ro de compte pour accueillir les paiements et donne m�me une adresse postale au Caire. On apprend aussi que le patron de cette institution pieuse s'appelle Hadj Sule�mane Al-Damenhouri (sans doute en r�f�rence � sa ville natale Damenhour). Quant � l'entreprise qui se charge du salut de l��me, elle a pris le nom tr�s po�tique et tr�s litt�raire de �Dou'aa al-kiraouane� (Le Chant du Courlis). �trange r�f�rence au roman du m�me nom de Taha Hussein, port� � l'�cran par le c�l�bre metteur en sc�ne Henry Barakat et interpr�t� par la grande Faten Hammama. Les deux �uvres immortelles n'ont rien � voir avec ces formules aguicheuses pour na�fs, en mal de b�n�dictions, mais en mati�re de �tidjara sunna�, il n'y a pas d'interdits. t�t, pour peu que le prix du p�trole ne s'effondre pas, des croyants sinc�res se proposer de je�ner pour nous, voire de mourir pour nous. Ce qui est paradoxal, c'est que la premi�re d�nonciation de cette annonce nous vienne d'Arabie saoudite, l� o� l'on va jeter la pierre au diable et lapider la femme adult�re(3). C'est le quotidien Okaz qui s'insurge contre cette fa�on de pratiquer le commerce, au d�triment de la vraie foi et de la raison. Vous avez dit raison ?
A. H.
(1) Il n'y a pas que les voitures luxueuses qui affichent leur pi�t�, vous pouvez m�me, et surtout en p�riode de Ramadan, vous faire �crabouiller par un corbillard de cinquante ans vous enjoignant de prier pour le Proph�te (Salli ala Nabbi), avant de vous envoyer ad patres. Il est possible que vous ayez eu aussi l'ultime vision d'une autre profession de foi, vous informant que tout ce qui vous arrive r�sulte de la seule volont� divine (Ma Cha Allah). Il ne sert � rien d'incriminer le non-respect du code de la route ou le mauvais �tat de la chauss�e et des v�hicules qui l'empruntent.
(2) On nous dira, encore, que ce sont des faits isol�s, que le wahhabisme ne fait pas �cole chez nous, que la police ne pourchasse pas les non-je�neurs, etc. Ramadan, mois des d�n�gations et des t�tes cach�es dans le sable.
(3) Justement, dans le film Le chant du Courlis, c'est l'homme qui s�duit la jeune campagnarde innocente, qui commet la faute, mais c'est la femme qui paie de sa vie le crime commis par le suborneur.

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