Contribution : L�affaire Zohe�r A�t Mouhoub ou le prix de la forfaiture

Par Mohand Benchicou
Une r�pression nouvelle prend forme dans le pays, sous le silence des �amis� et l'hypocrite et l�che argumentaire de ceux qui se donnent pour devoir de couvrir le m�fait du bourreau.
Ce Zohe�r A�t Mouhoub, disent-ils, tout journaliste � El-Watan qu�il se pique d'�tre, ne serait, � coup s�r, qu�un d�testable non-je�neur. Pourquoi, sinon, aurait-il �t� inqui�t� par une brigade de la police alg�rienne ? Chez nous, ajoutent-ils, c�est connu, on traque utile : le non-je�neur, le Kabyle autonomiste, parfois l�amoureux surpris en flagrant d�lit de promenade avec sa dulcin�e. Mais un journaliste ? Pensez donc ! Ici, jurent-ils, la main sur le c�ur, la libert� d�expression est consacr�e par la Constitution qui, comme chacun le sait, est un texte sacr� qui s�impose jusqu�au pr�sident de la R�publique. Non, un simple non-je�neur, s�obstinent-ils, voire un espion au service d�on ne sait quelle puissance �trang�re ou, allez savoir, un ancien �meutier de Diar-Chems. C'est comme ce jeune Alg�rois, Saber Sa�di, passionn� d�internet et de Facebook, arr�t� pour terrorisme�. Ses proches pr�tendent qu'il a �t� incarc�r� pour avoir appel� � un changement pacifique du r�gime sur Facebook. Encore un autre non-je�neur qui se cache derri�re la libert� d'expression ! Les affaires Zohe�r A�t Mouhoub et Saber Sa�di �clairent pourtant sur ce qu'il faut bien appeler une brusque m�tamorphose despotique et mafieuse du r�gime. Elles symbolisent ces abus �n�cessaires�, pr�liminaires et indispensables � l'�tablissement d'un nouveau pouvoir totalitaire dont il faut craindre qu�il ne soit sanglant. Le r�gime de Bouteflika, effray� par les changements politiques au Maghreb et dans le monde arabe, arcbout� sur le tr�ne, se transforme ouvertement en association secr�te aux redoutables ramifications, et qui ne r�pugne pas � user de moyens illicites pour servir ses int�r�ts. Pas une seule voix, en dehors de celle, solitaire, des militants de droits de l'homme, pour s'inqui�ter de ce que Zohe�r A�t Mouhoub ait �t� molest� � une brigade sp�ciale, qui ne d�pend pas de la police nationale, mais de structures parall�les ! Un �tat dans l��tat ! Pas un seul article pour s�indigner que Saber Sa�di ait �t� enlev� de nuit le 13 juillet et retrouv� le 26 juillet � la prison d�El Harrach ! C�est l��tat-gang, nourri d�ambition autocratique et de pr�bendes, et dont la base n�est autre que cette soci�t� de collusion, avec ses intellectuels avis�s, ses entrepreneurs introduits, ses journalistes satellitaires et ses fonctionnaires acolytes, celle-l� qui s�est enrichie � son contact et qui fait corpus avec lui, pour le meilleur, pardi ! Toujours pour le meilleur ! Ecoutez-la r�p�ter � propos du journaliste d� El-Watan et du blogueur Sa�di : �Ils le m�ritent ! Ils sont all�s trop loin ! On ignore les dessous de l'affaire�... J�ai connu cela, avant, pendant et apr�s mon emprisonnement. �Il est all� trop loin�� Jusqu�o� va-t-on trop loin en journalisme ? On pourrait convenir, certes, que toute libert� a ses limites. Encore faut-il qu�elles soient librement reconnues. Huit ans apr�s, je d�couvre qu��aller trop loin� avait seulement consist� oser mettre, �trop t�t�, son nez dans le monde de l'argent sale, c'est-�-dire dans le c�t� cour, le plus malsain, du pouvoir alg�rien. �Aller trop loin, pour le Matin, aura �t� de parler, cinq ans avant d�autres, de l'argent du p�trole d�pens� entre amis, de Sonatrach livr�e � la pr�dation d�un certain Chakib Khelil et d�un certain Hemche, natif de Hennaya, pr�s de Tlemcen, une bourgade qui �lit aux meilleurs destins puisque c'est le village natal du p�re de Bouteflika, Hemche aujourd�hui recherch� par la justice alg�rienne mais qui, � l��poque, n�h�sitait pas � utiliser cette m�me justice alg�rienne pour nous faire condamner ! Aller �trop loin� consista, en fait, � r�v�ler, quelques ann�es trop t�t, les frasques de la soci�t� mixte alg�ro-am�ricaine, Brown and Root Condor, BRC, une jointventure entre Sonatrach (51%) et la compagnie du vice-pr�sident am�ricain Dick Cheney, Halliburton, dirig�e par un autre natif de Hennaya, Moum�ne Ould Kaddour, et qui finira en prison ! Alors cher confr�re Zohe�r A�t Mouhoub, jusqu�o� va-t-on trop loin en journalisme ? Te voil� face � cette communaut� d'esprits travestis qui consid�re la presse libre comme un acquis embarrassant, un peu comme un �p�ril d�mocratique� qui hypoth�querait les positions acquises, les amiti�s de cour et les avantages de l'entregent. Elle ne veut rien conna�tre de ce qui serait une information de trop. Ils redoutent de faire l'affront aux puissants que de s'informer sur leurs intrigues. Et c'�tait juste pour rire qu'ils revendiquaient l�alternance d�mocratique. Maintenant qu'il est �tabli que le clan Bouteflika s�ing�nie � assurer un quatri�me mandat, ils d�cr�tent la blague ennuyeuse et rappellent que les plaisanteries les plus courtes ont toujours �t� les meilleures. Oui, confr�re, ce que cette collectivit� de faux aristocrates exige de sa presse, ce n'est point un journalisme d'�clairage mais un journalisme d'ornement, rassurant par ses demiv�rit�s, complice par ses demi-mensonges et qui se prendrait � l'heure des cocktails pour accompagner les mondanit�s. Ce journalisme d'�lite bien pensante qui souhaite tout savoir du superflu et surtout rien de l'essentiel, rien de ce qui pourrait briser des amiti�s de s�rail, rien de ce qui pourrait compromettre les ambitions, serait somm� de n�informer que sur les futilit�s indispensables pour les d�ners en ville. Le journalisme qu'ils sugg�rent de pratiquer serait un m�tier p�dant o� l'on passerait la moiti� de sa vie � parler de ce qu'on ne conna�t pas et l'autre moiti� � taire ce que l'on sait. L�affaire Zohe�r A�t Mouhoub, par l�indiff�rence qu�elle suscite, vient-elle nous rappeler que la presse comme la soci�t� civile, gangr�n�es par la fougue corruptrice du pouvoir, ne sont pas en �tat de faire face � la m�tamorphose despotique et mafieuse du r�gime. Voil� presque six ans que l�une comme l�autre � � quelques exceptions pr�s � ont opt� pour servir d��l�ments de d�cor de la d�mocratie de fa�ade. Le pouvoir a su utiliser la presse pour remodeler, de fa�on plus globale, l�autoritarisme et le mettre � l�heure de la d�mocratie. Cr�er l�illusion du pluralisme en assurant la repr�sentation m�diatique d�une r�alit� politique inexistante. �Nous avons une presse libre !�, entendon dire nos dirigeants. Ils avaient compris que dans un monde o� la d�mocratie et les �lections �taient devenues la seule source de l�gitimit� reconnue, dans ce monde-l�, la violence, en tant qu�instrument de perp�tuation du pouvoir, avait fini par acqu�rir un prix trop �lev�. Le mieux c��tait d�utiliser la presse plut�t que de la frapper, l�utiliser pour remodeler, de fa�on plus globale, l�autoritarisme et le mettre � l�heure de la d�mocratie. Cr�er l�illusion du pluralisme et offrir � admirer au monde, une �d�mocratie sans repr�sentation� avec ses partis sans militants et ses initi�s bien r�mun�r�s qui se font passer pour les opposants les plus bruyants au r�gime. Nous avons go�t� � la r�pression douce et appr�ci� la manipulation dure. Le r�gime va persuader la presse ind�pendante de l�avantage qu�elle aurait � se convertir en r�giments de tirailleurs � son service. En �t� 2006, j�entendais encore M. Djiar racoler avec talent : �Le temps du conflit avec la presse doit se terminer et je l�invite d�sormais � �tre aux c�t�s du pouvoir et pas contre lui.� Aux c�t�s du pouvoir ? Avec ses ors, ses attributs et ses honneurs ? Devenir un homme de cour ? Monsieur Djiar savait que sa machiav�lique proposition �tait infaillible : il existe peu d�esprits qui ne se laisseraient griser par la proximit� de l�escorte royale. Il va alors entreprendre de transformer les dirigeants des journaux libres en acteurs de la d�mocratie de fa�ade en leur faisant miroiter la p�riph�rie du pouvoir ! C�est le fameux brainstorming ! Le ministre eut, d�s le mois de mai 2006, l�id�e pernicieuse d�organiser ces st�riles conciliabules avec les dirigeants de la presse, des s�ances de r�flexions communes, absolument inutiles mais dont l�insigne avantage fut de donner au directeur du journal l�illusion d��tre consult� pour l��laboration d�une strat�gie de pouvoir. Le brainstorming devint vite un vocable � la mode et son charme conquit les salles de r�daction o� les journalistes n�avaient plus que ce terme � la bouche : �C�est l�heure du brainstorming avec le r�dacteur en chef !� Puis s�encha�n�rent toutes sortes de subterfuges loufoques, afin d�int�grer les dirigeants de la presse dans l�arri�re- cour du pouvoir. Le plus cocasse aura �t� ce match de football entre les directeurs de journaux et les ministres de Bouteflika, une path�tique chor�graphie entre gens bedonnants, organis�e, comble de l�infamie, en comm�moration de la Journ�e internationale de la libert� de la presse ! Nos journaux vont perdre la voix virile qui fit leur r�putation. Ils vont �viter les sujets qui f�chent le pouvoir et se pr�ter aux �th�mes sublimes�, les reportages �pipoples�, sombrant dans les vieilles orni�res du d�tail pittoresque et de l��rotico-commercial, l�obsession d�gradante de plaire � n�importe quel prix, l�amputation de la v�rit� par �n�cessit� commerciale�, la flatterie des bas instincts, l�accroche sensationnelle, la vulgarit� typographique ... Cr��e au lendemain des �meutes populaires d�octobre 1988 avec la mission de porter la plume dans la plaie, la presse de mon pays allait se transformer en se reniant. Mouhoub ou le prix En quelques mois, elle succombera aux deux vices fatidiques, l�app�tit de l�argent et l�indiff�rence � la grandeur, pour reprendre la belle formule camusienne d�un vieux confr�re. Elle �tait n�e avec une vocation fantasm�e : servir la qu�te de justice, en s�imposant comme le plus moderne, le plus d�mocratique des porte-voix. Elle grandira avec les d�rives redout�es : la subordination au pouvoir de l�argent, l�obsession de servir les puissants, le souci de plaire et non d��clairer, l�asservissement au mensonge au prix de mutiler la v�rit� Elle tombera au final dans le p�ch� irr�m�diable : le m�pris de ceux � qui l�on s�adresse�. Alors, pour tout cela, je crois bien que l�affaire Zohe�r A�t Mouhoub est de celles qui rappellent qu�il y a un temps pour s��garer et un autre pour payer.
M. B.

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