Chronique du jour : HALTES EST IVALES
Territoire de Mezghenna, an 2195


Par Ma�mar FARAH
maamarfarah20@yahoo.fr
Lorsqu�ils p�n�tr�rent dans le Forum, immeuble mythique de Sidi Abdallah � capitale du territoire de Mezghenna � construit en 2085, Kamel et ses amis �taient loin de se douter qu�ils allaient � la d�couverte d�un secret jalousement gard� par les templiers, ces dirigeants de l�ombre dont on ne voyait jamais les visages et qui vivaient dans la cit� interdite de Mahelma. Les amis de Kamel avaient peur : si l�Autorit� venait � apprendre qu�ils avaient mis les pieds dans ce sanctuaire, ils se verraient infliger de lourdes peines de prison dans la sinistre prison de Bourouba. Mais la bande voulait avoir le c�ur net : le monde existait-il avant la bombe ?
L�histoire officielle s�arr�tait � une �re trouble que l�on d�signait sous le vocable de �Second Moyen-�ge� et qui se situait entre l�an 2000 et 2012. Tout ce qui s��tait pass� avant cette date �tait occult� et rares �taient les personnes qui poss�daient quelques bribes d�informations sur le monde d�avant le XXIe si�cle. Kamel avait pos� la question � son professeur : �Si le monde n�existe que depuis l�an 2000, que signifie alors cette date ? Ne devrait-elle pas �tre l�ann�e z�ro ?� Le professeur n�avait pas r�pondu � la question qui triturait l�esprit de Kamel. L�endroit �tait humide. La bande avan�ait au milieu de d�chets divers. Sur un mur, l�un d�eux remarqua une ouverture. Ils s�y engouffr�rent rapidement et furent surpris de d�couvrir une salle presque intacte avec un �cran g�ant et un appareil de projection vid�o d�une vieille technologie : l�Ultra Haute D�finition qui �tait totalement d�pass�e par les nouvelles formes d�images t�l�port�es gr�ce � la physique quantique. Les �l�ments du groupe s�assirent sur les fauteuils demeur�s miraculeusement debout de cette ancienne salle de cin�ma num�rique. Kamel appuya sur le bouton d�allumage du vid�oprojecteur et le film d�marra. Il s�ouvrait sur la p�riode du �Second Moyen-�ge�. Les images refl�taient la grande inqui�tude qui s��tait install�e dans le monde de l��poque. Une succession d��v�nements internationaux avaient pr�cipit� la plan�te dans le chaos. Ce fut le grand d�sordre du 21 d�cembre 2012, date � laquelle le troisi�me conflit mondial se transforma en une v�ritable guerre nucl�aire. Toute la plan�te fut pratiquement touch�e et seules quelques r�gions avaient �t� �pargn�es. Emu, le commentateur arrivait difficilement � lire son texte sur fond de vieilles images num�riques � la qualit� douteuse : �Comme pour le pr�c�dent conflit mondial, personne n�avait fait attention � la folie guerri�re d�un certain philosophe qui arriva � convaincre les autorit�s fran�aises d�attaquer la Syrie. Avec l�aide des Etats-Unis et d�autres puissances occidentales ainsi que de la Turquie, de l�Arabie saoudite et du Qatar, une importante coalition se forma contre la Syrie. L�Iran, � son tour, d�clara qu�il allait envoyer des troupes en Syrie. Isra�l, qui attendait l�occasion, lan�a une attaque contre les sites nucl�aires iraniens. Personne ne pensait que l�Iran poss�dait d�j� la bombe atomique. En quelques secondes Tel-Aviv fut transform�e en cendres. Les Etats-Unis lanc�rent des attaques atomiques massives contre T�h�ran et d�autres villes perses. La Russie et la Chine r�pliqu�rent en envoyant des missiles � t�te nucl�aire sur Paris, Istanbul, Doha, Ryad, Londres et Washington. Adieu !� Ce fut bient�t le grand conflit nucl�aire tant appr�hend� ! La guerre, qui �clata fin 2012, fut particuli�rement meurtri�re. Les grandes civilisations furent ray�es de la carte et l�ensemble de la population �pargn�e par les radiations dut se r�soudre � vivre dans des abris souterrains sp�cialement am�nag�s. Apr�s plusieurs d�cennies, on d�cida de sortir � l�air libre, se prot�geant des radiations mortelles � l�aide d�immenses bulles couvrant les nouveaux territoires. R�alis�es dans une nouvelle substance faite d��crans en polym�re, ces bulles avaient l�avantage de restituer, en repr�sentation holographique 12 K, les images r�elles du ciel, tel que l�avaient connu les anciens. La bulle du territoire de Mezghenna s��tendait du Spatiodrome Abdelhak Benhamouda, situ� pr�s de Dar-El-Be�da, � Tipasa. Au Nord, les autorit�s avaient d�cid� de pousser les limites vers le large, malgr� les avertissements des scientifiques qui mettaient en garde contre la contamination des eaux sal�es de l�ancienne mer M�diterran�e. Mais, on tenait � profiter des plaisirs de la plage, malgr� tout. Quelques soleils artificiels install�s sous la vo�te, tout au long du rivage, permettaient m�me aux accros du bronzage de dorer leur peau � n�importe quel mois de l�ann�e. �Et le vrai soleil ?�, allez-vous nous dire. Depuis pr�s de deux si�cles, il �tait pratiquement invisible � partir de la terre ! Certes, sa chaleur �tait toujours l�, sinon l�esp�ce humaine aurait �t� totalement d�cim�e. Mais les tonnes de nuages soulev�s par l�explosion le masquaient � la vue des hommes et cela pouvait durer des si�cles encore. Pour l�observer, il suffisait de grimper au-del� de l�atmosph�re terrestre et, heureusement, que cela �tait possible gr�ce aux fus�es de l�Agence spatiale mezghennie. La lumi�re, revenue soudainement, fit mal aux yeux de Kamel qui, instinctivement, s�en prot�gea d�un geste de la main. Quand ses yeux s�habitu�rent � la forte luminosit� des lampes, Kamel aper�ut, dans une esp�ce de biblioth�que murale, un dossier avec la mention �Tr�s secret�. Il proposa aux autres membres du groupe de voir ce qu�il contenait. Il y avait des papiers et un film qui fut aussit�t projet�. C��tait un documentaire de l�arm�e. On y voyait des barbus arm�s ex�cuter des gendarmes dans de beaux d�cors verdoyants. Ensuite, les bandits br�l�rent les v�hicules de la gendarmerie. Dans la sc�ne suivante, on pouvait voir les barbus jeter sans m�nagement les corps sans vie des militaires qu�ils pi�tin�rent de toutes leurs forces. Les sc�nes devenaient insupportables. Kamel arr�ta la projection. C��tait l�horreur. Interloqu�s, les membres de la bande ne comprenaient plus rien. Que veut dire tout cela ? Kamel tira un papier du dossier �Tr�s Secret� et lut le petit texte �crit dans un vieil arabe : �Ceci est le t�moignage de quelques gendarmes, de ceux qui refusent d�oublier, ceux qui ont jur� de faire parvenir aux g�n�rations futures la v�ritable image de la barbarie int�griste afin qu�ils sachent que leur pays �tait peupl� de h�ros qui sauv�rent l�Alg�rie et le Maghreb de la terreur talibane. Un jour, les enfants de l�Alg�rie d�couvriront ce t�moignage et sauront que tout ce qu�on leur racontera dans les si�cles futurs sur ce qui s�est r�ellement pass� est un tissu de mensonges. Nous avons jur� de t�moigner. Au moment o� le monde va s��crouler sous les bombes atomiques, nous avons eu peur que l�histoire de ce pays soit travestie et avons d�cid� de laisser ces traces. Alger, le 20 d�cembre 2012, 21h30.� Le film s�achevait sur l�hymne national. L�ancien, bien entendu. Kamel et ses amis n�avaient jamais �cout� �Kassaman� mais ils se lev�rent aux premiers battements des tambours qui, telles des rafales d�armes automatiques, retentirent dans le silence profond des lieux. Mais ils ne comprenaient plus rien : qu�est-ce que l�Alg�rie ? Ils connaissaient le territoire de Mezghenna et n�avaient jamais entendu parler d�un territoire nomm� Alg�rie. Quant � la barbarie d�avant la bombe, ils n�en savaient rien. Mais, enfants de ces m�mes vallons qui surplombent Sidi Abdallah, ils �taient fiers des gendarmes d�avant le �Second Moyen-�ge�. Alg�rie ? Un joli nom. Al-g�-rie : debout devant l��cran lumineux, Kamel et ses amis s��taient mis au garde-�-vous en scandant Alg�-rie ! D�sormais, ils savaient que des h�ros avaient sauv� ce pays. Al-g�-rie, tu peux �tre fi�re de tes baroudeurs, de tes intellectuels et de tous tes hommes libres ! Kamel et ses amis �taient satisfaits de leur visite au Forum de Sidi Abdallah. D�sormais, tout le monde saura ce qui s��tait r�ellement pass� sur le territoire de Mezghenna qui s�appelait jadis Alg�rie. Al-g�-rie : un joli nom� Maintenant, il fallait chercher les tombes de ces h�ros et b�tir des cimeti�res de martyrs, �lever des statues partout� Mais l�Autorit� les laissera-t-elle faire sans broncher ? Ces vieux dirigeants qu�on ne voyait jamais et qui vivaient dans le luxe derri�re les murs de la cit� interdite de Mahelma pourront-ils ouvrir le dossier de ces ann�es de martyre et d�h�ro�sme ? Ce n��tait pas s�r. Un dur combat en perspective surtout que les habitants du territoire de Mezghenna s�en f� de l�histoire et de ses h�ros. Ils avaient des bagnoles de toutes les couleurs pour s�amuser sur les pistes du circuit de Magta� Khe�ra, ultime zone avant le territoire interdit qui s��tendait, � n�en plus finir, au-del� de la bulle. Ils avaient aussi des gadgets de toutes sortes et semblaient heureux. A chaque discours des chefs supr�mes (on ne les voyait jamais), c��tait le d�lire : le peuple sortait dans la rue pour dire sa joie et sa reconnaissance� Comment le r�veiller ? Kamel savait que la t�che sera ardue�
M. F.

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