Contribution : HOMMAGE � L'OCCASION DU 113e ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DU REGRETT� PR�SIDENT FERHAT ABBAS, SON PARCOURS
Ferhat Abbas : un homme de courage et de conviction


Par Nassim Abbas*
Ferhat Mekki Abbas est n� le 24 ao�t 1899 dans la commune de Chahna situ�e � Taher, dans la wilaya de Jijel. Originaire du Arch de Bouhamdoune, commune de Tassoust, sa famille, les Bendaoui, appartient � la tribu des Beni Amrane dont les terres sont situ�es dans la plaine de Tassoust � l�est de la ville de Jijel. Il est le cadet d'une fratrie de six gar�ons et sept s�urs, son p�re Sa�d �tait agha.
Ferhat Abbas disait du vingti�me si�cle qui se meurt qu��il a �t� le si�cle du sang et des larmes et c�est nous indig�nes qui avions saign� et pleur�. Loin d��tre timor� et frileux, cet humaniste convaincu s�est jet� physiquement, moralement et politiquement dans toutes les batailles men�es au nom des causes justes et particuli�rement celle que son peuple a men�e pour s�affranchir du joug colonial. Ferhat Abbas avait le courage de ses id�es et mettait � leur service toute son �nergie. Ainsi aimait-il � dire que �la t�che du militant est de ressusciter les courages morts et de redresser les fois battues�. Homme des joutes oratoires, il �tait aussi un homme de terrain tr�s rude que l�effort et le combat physiques ne rebutaient pas comme en t�moignent les faits suivants : il rudoya le pr�sident des maires du Nord Constantinois, le fameux Gratien Talabot qui humiliait sans cesse l��indig�ne� et lui dictait sa volont� toute puissante ; il se battit avec succ�s, et physiquement, contre la d�me pr�lev�e par l�adjudicateur sur les revenus insignifiants des �indig�nes� qui abreuvaient leur b�tail � A�n Fouara (S�tif) ; il organisa la manifestation m�morable de S�tif en 1934 pour d�noncer avec v�h�mence l�occupation de la Libye par les troupes de Mussolini. Infatigable, il fit le tour des douars, des villages et des villes d�Alg�rie pour faire signer le Manifeste par les �lus. Ferhat Abbas fr�quenta l��cole primaire de Taher et fit ses �tudes secondaires au lyc�e Luciani de Skikda. Apr�s l�obtention du baccalaur�at, il entama des �tudes de pharmacie � l�universit� d�Alger qu�il interrompit en 1921 pour accomplir son service militaire. Parall�lement � ses �tudes de pharmacie qu�il acheva � la fin des ann�es vingt, il suit des cours de philosophie et d�histoire en tant qu�auditeur libre dans la m�me universit�. A la reprise de ses �tudes m�dicales, Ferhat Abbas se lance dans l�activit� militante au sein de l�Amicale des �tudiants musulmans d�Afrique du Nord dont il est le pr�sident de 1927 � 1928. Un fait marquant pour l��poque : il fit entrer une femme au conseil d�administration de l�Amicale, en l�occurrence Mlle Houria Ameur, premi�re �tudiante musulmane de l�universit�. Durant cette p�riode, il fonda Ettelmidh, une revue estudiantine illustr�e, et programma des visites de d�l�gations de l�Amicale � travers tout le pays. Ferhat Abbas publia aussi en 1926- 1927, dans l�hebdomadaire Ettakadoum une s�rie d�articles sous le pseudonyme de Kamel Abencerage, anagramme form� � partir des noms du fondateur des Jeunes Turcs et du dernier roi andalou. Ces articles seront rassembl�s et publi�s sous le titre Le Jeune Alg�rien en 1930, ann�e du centenaire de la colonisation de l�Alg�rie. C�est dans ce livre � dont le titre �voque franchement la filiation moderniste et nationaliste avec les mouvements de renaissance qui travaillent � l��poque l�espace arabomusulman � que Ferhat Abbas �nonce clairement les principes qui fonderont les grandes lignes d�une strat�gie pragmatique et orienteront son action politique future.

L�engagement dans le combat politique, de la F�d�ration des �lus aux AML
D�s son installation comme pharmacien � S�tif, Ferhat Abbas se lance dans le combat politique dans sa ville d�adoption et se fait �lire entre 1930 et 1935 membre du Conseil municipal de S�tif puis au Conseil g�n�ral de Constantine. Il devient porte-parole de la F�d�ration des �lus du Nord-Constantinois, pr�sid�e par le docteur Bendjelloul, et collabore r�guli�rement au journal L�Entente o� il publia en 1936 le fameux texte �La France, c�est moi� qui est une adresse et une r�ponse aux chantres de l�Alg�rie latine et aux t�nors de la colonisation comme Louis Bertrand et Emile Morinaud. Dans cette d�claration, Ferhat Abbas revendique l��galit� des droits pour les Alg�riens musulmans et le respect de la personnalit� musulmane, revendications qu�il d�fendra au Congr�s musulman � sa cr�ation le 7 juin 1936, et ce, dans une conjoncture particuli�rement difficile marqu�e par la mont�e du fascisme en Europe et l�av�nement du Front populaire en France. Dans le cadre du Congr�s musulman, il participe aussi, avec ses amis les �lus et aux c�t�s des oul�mas et des communistes, � l��laboration d�une �Charte revendicative du peuple alg�rien�, dont la revendication essentielle �tait la mise en �uvre du projet Blum-Violette relatif � l��mancipation des Alg�riens musulmans dans le cadre des lois de la R�publique fran�aise. En 1938, Ferhat Abbas cr�e l�Union populaire alg�rienne (UPA) dont les principaux axes programmatiques sont l��galit� des races, la fraternit� humaine et la libert� politique. Le d�clenchement de la Seconde Guerre mondiale en 1939 am�nera Ferhat Abbas � s�engager dans la lutte antifasciste et � geler les activit�s de l�UPA.

Le m�morandum au mar�chal P�tain
Le 10 avril 1941, Ferhat Abbas adresse au mar�chal P�tain un m�morandum connu sous le titre de �Rapport au mar�chal P�tain� dans lequel il d�nonce la condition de ses coreligionnaires et la mise � l��cart de leurs �lites.

Message aux Alli�s
Le 20 d�cembre 1942, il remet aux Alli�s d�barqu�s � Alger un m�moire connu sous le titre �Message aux autorit�s alli�s� dans lequel il revendique l�affranchissement politique des Alg�riens musulmans, un nouveau statut abolissant le syst�me colonial et la tenue d�une conf�rence permettant aux repr�sentants de toutes les organisations musulmanes de d�finir cette politique.

Le Manifeste
Le 10 f�vrier 1943, Ferhat Abbas r�dige � S�tif �Le Manifeste du peuple alg�rien�, texte dans lequel il fait le bilan n�gatif de 112 ann�es de colonisation et demande l�abolition de la colonisation, l�application du droit des peuples � disposer d�eux-m�mes et une Constitution pour l�Alg�rie. Ce texte est suivi d�un autre document appel� �L�additif� qui, au grand dam des autorit�s coloniales, est approuv� et sign� par des �lus repr�sentant l�administration. Dans le but de faire conna�tre Le Manifeste, Ferhat Abbas cr�e le journal L�Egalit�. Cela lui vaudra d��tre arr�t� pour provocation et envoy� en r�sidence surveill�e � Tabalbala dans le Sud oranais. Il sera lib�r� le 2 d�cembre 1943.

Les AML
Le 14 mars 1944, Ferhat Abbas donna naissance � S�tif � un vaste rassemblement, les Amis du manifeste et de la libert� (AML). A travers les statuts des AML, se trouve exprim�e la revendication de la reconnaissance de l�identit� alg�rienne et de l�ind�pendance de l�Alg�rie, ce qui repr�sente, � n�en pas douter, une �tape importante dans l�histoire de notre pays. Cette �tape d�cisive va se caract�riser en effet par l�apparition du peuple alg�rien sur la sc�ne politique, le renforcement de la conscience nationale et l��largissement de la base du nationalisme autour d�un programme minimum. Les AML consolident davantage leur position au sein de la population musulmane puisque le nombre de leurs adh�rents d�passe ce moment les 800 000. Suite aux �v�nements du 8 Mai 1945, les AML seront dissous et Ferhat Abbas, arr�t�, ne sera lib�r� que le 16 mars 1946 � la faveur d�une loi d�amnistie.

De l�UDMA au FLN
A sa sortie de prison, Ferhat Abbas lance un appel � la jeunesse alg�rienne et � la jeunesse fran�aise � travers �Mon Testament politique� o� il parle du devenir de l�Alg�rie et de la mani�re de r�gler le probl�me de la colonisation. Il y expose la doctrine d�un nouveau parti politique, l�Union d�mocratique du manifeste alg�rien (UDMA). La cr�ation de l�UDMA survient en mai 1946, ce qui lui permet de participer aux �lections de la deuxi�me Constituante, qui ont lieu la m�me ann�e, et d�enlever 11 si�ges sur 13. Le 9 ao�t 1946, il d�pose sur le bureau de l�Assembl�e fran�aise le premier projet de Constitution de la R�publique alg�rienne. Il prend l�initiative de former l�intergroupe des d�put�s d�outre-mer avec Lamine Gueye, Senghor, Reseta, etc., et, pendant qu�il se trouvait � Paris, organise une rencontre entre l�intergroupe et le leader vietnamien H� Chi Minh. Il publie ensuite un autre journal, La R�publique alg�rienne, pour d�fendre et faire conna�tre ses positions.

J�accuse l�Europe
Le 20 septembre 1947, les �lus UDMA d�missionnent de l�Assembl�e nationale, en r�ponse au statut de l�Alg�rie adopt� par cette derni�re. Ferhat Abbas publie alors son c�l�bre pamphlet �J�accuse l�Europe� dans lequel il lance : �Quand les nationalistes fran�ais nous offrent le culte de Jeanne d�Arc ou tout simplement celui de sainte Genevi�ve comme symbole de l�id�al patriotique, que peuvent faire nos m�res musulmanes sinon refuser leur acquiescement.�Les �lections frauduleuses � la Naegelen passent dans les m�urs. Tout est mis en �uvre pour r�duire l�UDMA � une pr�sence symbolique.

De quoi demain sera-t-il fait ?
Face � cet immobilisme voulu par la colonisation, Ferhat Abbas publie en f�vrier 1948 un ouvrage intitul� Du Manifeste � la R�publique alg�rienne, ouvrage dans lequel il note que la R�publique alg�rienne est en marche et qu�il y aura une patrie moderne pour chaque peuple libre.Dans le chapitre �De quoi demain sera-t-il fait ?�, Ferhat Abbas pose les fondements de cette construction.La situation s��tant encore d�t�rior�e, l�UDMA, le MTLD, le PCA et les Ul�mas constituent, en ao�t 1951, un Front alg�rien pour la d�fense et le respect de la Libert�.

De novembre 1954 � l�ind�pendance du pays
Au d�clenchement de la lutte de Lib�ration nationale, pr�sents le 2 novembre 1954 dans les locaux du journal la R�publique alg�rienne, les membres du comit� central de l�UDMA d�cident � l�unanimit� de la position � tenir � l��gard du d�clenchement de l�insurrection : �tre pr�sents dans la lutte en soutenant le FLN. Ce dernier demande dans un premier temps � l�UDMA de pr�senter des candidats � l��lection pour le renouvellement partiel des conseils g�n�raux et de mobiliser l�opinion musulmane en sa faveur. En septembre 1955, l�UDMA initie la mention c�l�bre dite des �61� r�clamant les n�gociations directes avec le FLN. Le 24 f�vrier 1956, l�UDMA c�de son local place Lavigerie (Mohammadia, Alger) l�UGTA, nouvellement cr��e par le FLN.

Dissolution de l�UDMA et adh�sion au FLN
En avril 1955, � la suite d�une r�union avec Abane Ramdane, Ferhat Abbas d�cide de dissoudre l�UDMA, de rejoindre le FLN et de renforcer la d�l�gation ext�rieure. Le 22 avril 1956, Ferhat Abbas se rend au Caire en compagnie de Ahmed Francis et proclame publiquement son adh�sion au FLN.

Au CEE et � la t�te du GPRA
Membre de la d�l�gation ext�rieure, Ferhat Abbas voyage � travers le monde pour faire conna�tre le combat du peuple alg�rien et d�fendre les th�ses du FLN. Lors du congr�s de la Soummam, le 20 ao�t 1956, Ferhat Abbas devient membre du Conseil national de la r�volution alg�rienne (CNRA). En application des d�cisions du deuxi�me congr�s du CNRA de 1957, Ferhat Abbas est membre de la direction coll�giale du Comit� de coordination et d�ex�cution (CCE).En septembre 1958, il devient pr�sident du Gouvernement provisoire de la R�publique alg�rienne (GPRA), et ce, jusqu�en octobre 1961. En mai 1962, il publie La nuit coloniale, ouvrage retra�ant le combat contre le code de l�indig�nat et les souffrances du peuple alg�rien.

De l�ind�pendance � sa disparition, l�Assembl�e nationale constituante
Ferhat Abbas est �lu, au mois de septembre 1962, premier pr�sident de l�Assembl�e constituante de l�Alg�rie ind�pendante. Devant la confiscation du pouvoir l�gislatif qui se pr�parait, Ferhat Abbas d�missionne de la pr�sidence de l�Assembl�e et adresse, le 13 ao�t 1963, une longue lettre aux d�put�s dans laquelle il explique sa position. Intitul�e �Pourquoi je ne suis pas d�accord avec le projet de Constitution �tabli par le gouvernement et le bureau politique�, cette lettre, qui fait date, d�nonce la politique de confusion et de concentration des pouvoirs et pr�dit des jours sombres pour le peuple alg�rien. Arr�t�, Ferhat Abbas est emprisonn� � Adrar, dans le sud du pays, o� il sera atteint d�une maladie chronique qui le rongea jusqu�� sa mort. Elargi le 8 juin 1965, il entreprend la r�daction de deux ouvrages : L�Autopsie d�une guerre et L�Ind�pendance confisqu�e.

L�appel au peuple alg�rien
En mars 1976, il signe avec Benyoucef Benkhedda et Hocine Lahouel (anciens responsables du PPA/MTLD) et Cheikh Kheireddine (ancien responsable de l�Association des oul�mas), l�appel au peuple alg�rien qui s��l�ve contre le projet d�une charte nationale octroy�e et l�exercice du pouvoir personnel. Il est arr�t� et assign� � r�sidence. Sa pharmacie est nationalis�e, son compte bancaire bloqu� et ses biens confisqu�s. La mise en r�sidence surveill�e qui le frappait sera lev�e durant l��t� 1978 et le r�tablissement de ses droits et la r�cup�ration de ses biens interviendront apr�s 1980. Ses livres sont publi�s � l��tranger et interdits en Alg�rie jusqu�� l�av�nement du pluralisme au d�but des ann�es 1990. Ferhat Abbas d�c�dera � Alger le 24 d�cembre 1985.

Ses publications :
Le Jeune Alg�rien, �ditions La Jeune Parque, Paris, 1931.
Le Manifeste du peuple alg�rien, �ditions Lib�ration, Alger, 1943.
J�accuse l�Europe, �ditions Lib�ration, Alger, 1944.
La nuit coloniale, �ditions Ren� Julliard Paris, 1962.
Autopsie d�une guerre, l�Aurore, �ditions Garnier, Paris, 1980.
L�ind�pendance confisqu�e, �ditions Flammarion, Paris, 1984.
Le jour se l�vera (livre paru � titre posthume). Alger-Livres, 2010.
N. A.
*Neveu du pr�sident Ferhat Abbas



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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/08/28/article.php?sid=138402&cid=41