Soirmagazine : L�entretien de la semaine
LE SOCIOLOGUE MEHDI LARBI AU SOIRMAGAZINE :
� A travers les marques, les jeunes cherchent une place dans la soci�t�


Par Fatma Haouari
Le sociologue Mehdi Larbi, dans cet entretien qu�il nous a accord�, estime que les jeunes qui aiment s�habiller en v�tements de marque de renomm�e internationale n�ont plus de rep�res et qu�ils sont dans une d�marche d�identification, dans une soci�t� renti�re, bas�e sur la consommation. Notre interlocuteur rel�ve que �pour le jeune, le probl�me, c�est qu�autour de lui, il n�y a pas de structures ou organismes qui prennent en charge ses besoins et qui r�fl�chissent pour l�int�grer dans un processus normal de d�veloppement de ses aptitudes et de ses comp�tences�.
Il ajoute qu���tant donn� qu�il y a une g�n�ralisation de ce ph�nom�ne, d�j� par l�Etat dans la consommation des biens, des villas, des belles voitures qui sont visibles et qui g�nent les jeunes qui n�ont pas les moyens, la jeunesse suit ce mouvement�.

Soirmagazine : Comment expliquez- vous l�engouement des jeunes pour les marques de prestige, m�me les plus pauvres d�entre eux ?
Mehdi Larbi :
Oui, effectivement, c�est un ph�nom�ne, et en tant que sociologue, j�observe le comportement des jeunes. Mais avant d��voquer ce ph�nom�ne, il faut retenir qu�il n�y a pas qu�une seule jeunesse. La jeunesse se conjugue au pluriel. Ce ne sont pas tous les jeunes qui s�int�ressent � la marque mais effectivement une grande majorit�, notamment celle des grandes villes, qui est branch�e sur ce qui se fait ailleurs. Je pense qu�on peut parler de probl�me d�identification. C�est une jeunesse qui cherche des rep�res. D�abord, il y a une jeunesse qui n�a pas r�ussi � l��cole et qui n�a pas une situation socio�conomique stable et �tant donn� que la soci�t� n�a pas d�velopp� des symboles auxquels les jeunes s�identifient, l�appartenance � une marque est un moyen de rechercher une certaine reconnaissance. Les jeunes veulent avoir une place dans la soci�t�, et vu qu�ils n�ont ni dipl�me ni situation, ils trouvent un raccourci par le biais d�une marque internationale pour �tre reconnus.

Mais il me semble que ce ph�nom�ne ne touche pas uniquement ceux qui n�ont pas fait d��tudes, parce qu�on voit des gens ayant fait l�universit� exhiber leurs biens comme un troph�e, que ce soit des voitures, des v�tements ou autre, n�est-ce pas ?
Effectivement, on est dans une logique de mondialisation car on dit qu�une marque, c�est une identit� � une certaine r�ussite pour dire qu�il est l�, qu�il est pr�sent, c�est presque une affirmation de soi � travers des biens mat�riels. Pour le jeune, le probl�me c�est qu�autour de lui, il n�y a pas de structures ou organismes qui prennent en charge ses besoins, et qui r�fl�chissent pour l�int�grer dans un processus normal de d�veloppement de ses aptitudes et de ses comp�tences. Le jeune qui est fier de s�exhiber dans ces v�tements de marque utilise cette derni�re comme un instrument qui lui permet de se situer dans la soci�t�. C�est � travers cette marque qu�il parle � son entourage. Il dit : �Regardez-moi, voil� ce que je porte !� Comme un autre dirait : �Qu�est-ce que je porte comme dipl�me, que je poss�de comme m�tier?�

Est-ce que cela n�a pas un rapport avec les cas fr�quents d�enrichissement rapide que conna�t notre soci�t� ?
Quand on parle d�enrichissement rapide, cela a un rapport direct avec notre �conomie nationale o� il n�y a pas de v�ritable entrepreneuriat. L�Alg�rie ne poss�de pas d�entreprises de production ou � un tr�s faible niveau. A part l�exportation d�hydrocarbures, il n�y a rien. En Alg�rie, il n�existe pas de production de qualit� dans les chaussures, les v�tements, accessoires, etc. En l�absence de cette production nationale, les jeunes se tournent vers une culture internationale. Ce ph�nom�ne se propage car il n�y a pas de rep�res auxquels les jeunes s�identifient, ce qui nous am�ne donc � dire que la recherche de rep�res passe par cette reconnaissance, que ce soit au niveau de la famille, le quartier ou du groupe. Ils n�gocient leur place par le biais de la marque. Pourquoi ces jeunes d�veloppent-ils ce comportement ? C�est tout simplement par d�sir de r�ussite. Il va donc se d�brouiller pour trouver de l�argent afin de s�acheter ces v�tements qui sont souvent co�teux pour dire : �Voil�, je suis l�, j�existe et je r�ussis.� Ce ph�nom�ne s�inscrit dans une approche de n�gociation avec la soci�t�.

Est-ce que cela ne renvoie pas � l�existence d�un malaise dans lequel on d�veloppe des complexes qui se traduisent par l�envie de para�tre ?
Il y a une angoisse derri�re, celui qui se vante d�avoir des biens, qui exhibe sa voiture luxueuse, ses beaux v�tements dans son quartier ou dans sa ville ou au sein de son groupe a peur de l�autre qui va lui faire de l�ombre. C�est pour cette raison qu�on a ces reflexes de rejet du b�douin, celui qui ne vient pas de la ville, de celui qui est pauvre et donc cet autre�, ce dernier va tout faire pour ne pas �tre rejet� par le groupe auquel il veut appartenir et cela passe souvent pas les signes ext�rieurs. Ce qui accentue cette situation, c�est que nous sommes dans un syst�me rentier, et la crise vient de l�. Un syst�me qui ne cherche qu�� consommer ne r�fl�chit pas � d�velopper un projet de soci�t�, qui ne r�fl�chit pas � un type d�individualit� qui travaille, qui produit et qui ne s�int�resse pas aux signes ext�rieurs ; au contraire, nous sommes face � des individus qui sont de plus en plus dans les apparences, cela se traduit par une crise profonde. Etant donn� qu�il y a une g�n�ralisation de ce ph�nom�ne, d�j� par l�Etat dans la consommation des biens, des villas, des belles voitures qui sont visibles et qui g�nent les jeunes qui n�ont pas les moyens, la jeunesse suit ce mouvement qui veut trouver sa place et une certaine visibilit� par le biais des produits mat�riels qui sont les marques. Et ce qui nous int�resse, c�est ce qui se cache derri�re, un grave probl�me de soci�t�. L�Etat, qui n�est pas arriv� � produire, � travers l��cole ou l�universit�, un type d�individualit� qui d�veloppe l�esprit du travail et de la production pour pouvoir accumuler une certaine richesse durement acquise, a opt� pour le syst�me de consommation. On voit surtout des ministres, des hauts responsables, des militaires, des grands commer�ants, des gens qui s�int�ressent � l�importation et ne se pr�occupent pas de l�organisation interne, qui montrent des signes ext�rieurs de richesse et se pr�sentent � la soci�t� en disant : �Voil�, c�est cela la r�ussite !� Elle est mat�rielle et cela trouve un �cho aupr�s des jeunes.

Justement, est-ce qu�on peut dire qu�aujourd�hui le travail n�est plus une valeur ?
Effectivement ! Au lieu de d�velopper le travail et la production comme une valeur qui doit �tre partag�e par les membres de la soci�t�, on a pr�f�r� �lever la marque au rang de valeur. On est donc reconnu non pas gr�ce � l�effort pour construire la soci�t� et �difier l�Etat mais � travers la marque de v�tement qu�on porte ou la voiture qu�on conduit, et comme nous ne disposons pas de marques locales, on se tourne vers les marques internationales.

Peut-on dire sans ironie que notre jeunesse, en optant pour la marque, a perdu ses marques ?
Tout � fait ! Malheureusement, c�est une jeunesse qui a du mal � trouver son horizon.

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