Actualit�s : ENTRETIEN AVEC MOHAMED CHAFIK MESBAH : �La mission de Sellal : pr�parer la pr�sidentielle de 2014�
Entretien r�alis� par Tarek Hafid
Mohamed Chafik livre dans nos colonnes son analyse du nouveau
gouvernement Sellal. Les lecteurs habitu�s aux articles de notre
collaborateur remarqueront que si le ton est moins sec vis-�-vis du
nouveau Premier ministre, le ton g�n�ral vis-�-vis du bilan du pr�sident
Bouteflika reste invariable. Le Soir d�Alg�rie : Le pr�sident Abdelaziz Bouteflika vient,
enfin, de proc�der � la d�signation du nouveau gouvernement. Quelle
lecture politique faites-vous de la d�signation de M. Abdelmalek Sellal
au poste de Premier ministre ?
Mohamed Chafik Mesbah : Le choix de M. Abdelmalek Sellal pour la
fonction de Premier ministre n�est pas pour �tonner. Il est �tabli que
les relations entre le pr�sident Abdelaziz Bouteflika et son pr�c�dent
Premier ministre M. Ahmed Ouyahia �taient ex�crables. A tel point qu�il
n�y avait aucun contact direct entre eux et les �changes passaient par
le secr�taire particulier du chef de l�Etat. Cette situation intenable
avait, gravement, perturb� le bon fonctionnement des activit�s
gouvernementales. A travers M. Abdelmalek Sellal, le choix s�est port�
sur une personnalit� qui r�unit trois param�tres essentiels aux yeux du
chef de l�Etat. Premi�rement, M. Sellal est proche, presque
affectivement, du pr�sident Abdelaziz Bouteflika. Deuxi�mement, M.
Sellal est une personnalit� consensuelle et conviviale qui adopte, sur
le plan pratique, une d�marche aux antipodes de celles de son
pr�d�cesseur. Troisi�mement, M. Sellal, jusqu�� preuve du contraire, ne
nourrit pas d�ambition pr�sidentielle. Cela le met en position
d�appliquer, sans murmures, la feuille de route dict�e par le chef de
l�Etat. Ce sont plus, au total, des crit�res subjectifs que politiques
qui ont pr�valu dans le choix de M. Sellal pour le poste de Premier
ministre.
Quel commentaire vous inspire la composition du gouvernement proprement
dite ?
Comme je l�ai toujours �voqu�, le choix des membres du gouvernement et
des �lites politiques et administratives en Alg�rie se d�roule sur le
mode endogamique. Il n�y a jamais eu, � proprement parler, de
renouvellement des �lites politiques. Dans le cas d�esp�ce, notez bien
que la moyenne d��ge parmi les membres du gouvernement reste �lev�e et
que les minist�res r�galiens restent entre les mains de responsables aux
affaires depuis plus de dix ans. M�me les minist�res techniques ont �t�
tr�s peu touch�s et, pour l�essentiel, restent confi�s, quasiment, aux
m�mes responsables qui les g�raient depuis l�arriv�e aux affaires de M.
Abdelaziz Bouteflika. C�est � peine si l�on peut noter le d�part de
certaines personnalit�s influentes, r�put�es proches du chef de l�Etat.
Les ministres nomm�s, directement, par M. Sellal se comptent enfin sur
le bout des doigts. Bien plus, ces ministres occupent des postes
d�int�r�t secondaire. Bref, la composition du nouveau gouvernement ne
comporte aucune innovation r�elle. Ce n�est ni un gouvernement de
technocrates ni un gouvernement politique. Cette composition refl�te,
naturellement, la marge de man�uvre laiss�e � M. Sellal, le centre de
d�cision strat�gique se situe toujours � la pr�sidence de la R�publique.
La fin de mission signifi�e � M. Ahmed Ouyahia constitue-t-elle, selon
vous, une sanction ?
M. Ahmed Ouyahia, aussi docile qu�il a pu �tre, a commis des incartades.
Il a voulu, notamment, faire assumer par la pr�sidence de la R�publique
le bilan n�gatif de la gestion �conomique et sociale du pays. M. Ahmed
Ouyahia, depuis longtemps, a les yeux riv�s sur l��lection
pr�sidentielle. A ses risques et p�rils, le voici d�charg� d�une
fonction qui, au regard de la d�t�rioration de ses rapports avec le
pr�sident de la R�publique, constituait pour lui un frein plus qu�un
tremplin pour la r�alisation de ses ambitions. Pour parvenir � ses fins,
Il manque, cependant, � M. Ouyahia un projet national coh�rent, un
ancrage social plus pertinent et l�appui de forces politiques et
d�appareils administratifs agissants. Au surplus, M. Ahmed Ouyahia qui a
cristallis� contre lui la vindicte populaire risque de conna�tre bien
des d�convenues � l��preuve d�une campagne �lectorale vraiment libre.
Comme je l�ai d�j� soulign�, il est, � pr�sent, bien expos� car dans la
ligne de mire du pr�sident de la R�publique.
Et dans le cas de M. Abdelaziz Belkhadem ?
M. Abdelaziz Belkhadem nourrit �galement des ambitions pr�sidentielles.
Sauf qu�� la diff�rence de M. Ouyahia, il ne compte pas sur l�appui des
appareils mais sur celui du courant islamiste adoss� au Front de
lib�ration nationale. Seulement, la crise qui frappe actuellement le
FLN, loin d��tre passag�re, est une crise structurelle. Il est probable
que le FLN en sorte affaibli si, entre-temps, il ne dispara�t pas.
Vous pensez que les islamistes ont encore un avenir en Alg�rie ?
Contrairement aux analyses de courte vue, qui stipulent que les
derni�res �lections l�gislatives ont �t� le tombeau de l�islamisme en
Alg�rie, je soutiens le contraire. Les islamistes, en g�n�ral, n�ont pas
vot� le 10 mai 2012. Ils attendent le moment propice pour appara�tre en
force sur la sc�ne politique. L�islamisme radical s�est nourri du
d�sordre social et moral, il faut donc croire que les islamistes ont, en
effet, un avenir devant eux.
Comment expliquez-vous que le FLN majoritaire � l�Assembl�e populaire
nationale n�ait pas b�n�fici� du poste de Premier ministre ?
En premier lieu, il faut se rendre � l��vidence, la victoire
�crasante dont se pr�vaut le FLN est une victoire virtuelle. Examinez
bien le taux d�abstention ainsi que les r�serves exprim�es par la
mission d�observation de l�Union europ�enne ainsi que par l�ONG
am�ricaine NDI sans oublier, au passage, le jugement, sans appel, de la
Commission nationale d�observation �lectorale compos�e de repr�sentants
de partis. Vous conclurez, de vous-m�me, que l�APN actuelle est d�munie
de l�gitimit�. Selon toute vraisemblance, M. Abdelaziz Bouteflika
utilise, pour sa finalit� politique, des instruments qu�il m�prise au
fond de lui-m�me. Je ne crois pas que l��volution actuelle du FLN
r�ponde � l�aggiornamento attendu de lui. Il me para�t, h�las pour moi
si attach� � ce parti, que c�est le chant du cygne�
Comment expliquez-vous le d�part du gouvernement de personnalit�s
r�put�es tr�s proches du pr�sident de la R�publique : Yazid Zerhouni,
Abdelhamid Temmar ou m�me Abdelaziz Belkhadem ?
A l��vidence, M. Abdelaziz Bouteflika a lui aussi � et pour cause � les
yeux riv�s sur le scrutin pr�sidentiel de 2014. M. Abdelaziz Bouteflika
veut se repr�senter, �ventuellement, en meilleure posture sans ses
proximit�s encombrantes. Il se d�barrasse de collaborateurs qui lui ont
port� tort. Il les pr�serve, sans doute, de poursuites �ventuelles.
Mais, leur limogeage est un aveu implicite de leur �chec dans la gestion
des affaires publiques.
Que faut-il penser du choix de ministres repr�sentant les nouveaux
partis qui n�appartenaient pas � l�Alliance pr�sidentielle ?
C�est une tentative vaine pour tenter de reconfigurer la sc�ne politique
en Alg�rie sur le mode artificiel. Comment des partis qui ont �t�
lamin�s aux �lections �lections pr�c�dentes, des partis sans
enracinement populaire, des partis si proches du pouvoir, pourraient-ils
contribuer � remodeler le champ politique ? Limitons-nous � dire que les
ministres coopt�s ont �t� r�compens�s pour services rendus.
Dans ce nouveau gouvernement, les femmes sont r�duites � la portion
congrue. Pourtant, la promotion du r�le politique de la femme
constituait une dimension essentielle des r�formes annonc�es par le
pr�sident Abdelaziz Bouteflika�
En effet, aucune ouverture s�rieuse n�a �t� faite en direction des
femmes dans ce nouveau gouvernement. Cela prouve que l�imp�ratif de
promouvoir le r�le de la femme dans la vie publique en Alg�rie a �t� un
simple slogan. Cela prouve, �galement, que le processus de r�formes
politiques initi� par le pr�sident Abdelaziz Bouteflika est un patchwork
sans consistance strat�gique et sans coh�sion d�ensemble. C��tait tout
juste un palliatif pour parer au plus press�.
Pensez-vous que la composition de ce nouveau gouvernement pourrait avoir
un impact sur l��volution du champ politique en Alg�rie ?
Aucunement. Le gouvernement Sellal n�est pas, � proprement parler, un
gouvernement politique. La gestion du champ politique rel�ve plus,
d�ailleurs, d�une action concert�e entre la pr�sidence de la R�publique
et les services de renseignement.
Quelle est, selon vous, la mission principale du gouvernement Sellal ?
Tr�s clairement, la mission principale du gouvernement Sellal est de
pr�parer les conditions d�un d�roulement, sans risques, du scrutin
pr�sidentiel de 2014. Au passage, le gouvernement aura � faire adopter
la r�vision constitutionnelle. Sur le plan �conomique et social, le
gouvernement dispose d�un d�lai r�duit de deux ans, avec une marge de
man�uvre insignifiante, ce qui � a priori � ne lui permet pas d�apposer,
efficacement, son empreinte.
Puisque vous affirmez que la mission principale de M. Sellal porte
seulement sur la pr�paration de l��lection pr�sidentielle de 2014,
faut-il comprendre que les questions �conomiques et sociales ne sont pas
au plan de charge de son gouvernement ?
Vous faites bien de pousser � la nuance. Pr�parer les bonnes conditions
d�un d�roulement sans risques du scrutin pr�sidentiel de 2014, c�est en
premier lieu �viter une plus grande d�t�rioration de la tension sociale.
M. Sellal va, probablement, entretenir des relations d�crisp�es avec les
partenaires �conomiques et sociaux. A d�faut d�acc�der � leurs
sollicitations, il maintiendra une oreille d��coute susceptible de
pr�venir les d�rives intervenues jusqu�ici. M. Sellal va,
vraisemblablement, tenter de �d�sid�ologiser� la gestion �conomique.
Nonobstant sa marge de man�uvre r�duite, il a pour mission, en effet, de
briser la paralysie qui frappe les activit�s �conomiques en Alg�rie.
Parviendra-t-il � lever les tabous et les entraves bureaucratiques
impos�es par le gouvernement Ouyahia ? Le temps lui est compt� et le
chemin s�annonce risqu� et laborieux.
A propos de la r�vision constitutionnelle, quels pourraient en �tre les
aspects essentiels ?
La nature pr�sidentielle du syst�me politique sera maintenue. Pas de
place pour le r�gime parlementaire, si d�aucuns en ont r�v�. La
principale innovation porterait sur la limitation � deux des mandats
pr�sidentiels, en pr�cisant, le cas �ch�ant, que la r�gle ne s�applique
pas au chef de l�Etat en fonction. Il sera, probablement, proc�d� aussi
� l�institution d�un poste de vice-pr�sident de la R�publique qui
remplacerait, automatiquement, le chef de l�Etat, en cas
d�indisponibilit� ou de d�c�s. Cela permettrait � M. Abdelaziz
Bouteflika d�assurer sa succession sans devoir recourir aux �lections.
Dans l�esprit de M. Abdelaziz Bouteflika, cela peut procurer � sa
famille une garantie en cas de d�c�s. Ce n�est pas du tout les pr�mices
d�une v�ritable transition d�mocratique comme le laissait penser le ton
path�tique du pr�sident de la R�publique lors de son fameux discours
d�avril 2011.
Vous consid�rez, en somme, que les r�formes politiques promises par le
pr�sident Abdelaziz Bouteflika ont �t� abandonn�es ?
Analysez, correctement, les projets de lois adopt�s par la pr�c�dente
Assembl�e populaire nationale. Examinez, attentivement, la composition
de la nouvelle Assembl�e. Attardez-vous sur la composante du
gouvernement actuel, simple reconduction du pr�c�dent pour l�essentiel.
Oui le projet de r�formes politiques du pr�sident Bouteflika d�j� mince
est d�j� un projet avort�. Ce n�est, sans doute pas, la nomination d�un
Premier ministre � la personnalit� chaleureuse qui viendra � bout des
r�ticences obstin�es au changement que manifeste le syst�me.
Contrairement � l�habitude, le gouvernement fran�ais vient de saluer
l�intronisation du gouvernement Sellal. Cela rev�t-il, selon vous, une
signification particuli�re ?
Les �tats-Unis comme l�Union europ�enne et la France n�ont pas, dans
leur agenda, une r�volution en Alg�rie. Du moins, � titre transitoire.
C�est pourquoi ils mettent du z�le � manifester un appui hypocrite aux
pouvoirs publics en Alg�rie. Ce qui les int�resse, c�est la
disponibilit� � � titre h�g�monique � du march� alg�rien ainsi que
l�engagement � sans r�serves � de l�Alg�rie dans la lutte contre le
terrorisme coordonn�e � un niveau occidental. Les puissances
occidentales n�ignorent, pourtant, rien de l�obsolescence du syst�me
alg�rien. En cas de pr�cipitation des �v�nements, ces pays disposent de
solutions alternatives. Aussi, les d�clarations fran�aises pour saluer
le gouvernement Sellal semblent relever de la clause de style. Il ne
faut pas imaginer une modification de substance dans la politique
alg�rienne de la France.
Quelles sont, � votre avis, les mesures d�urgence que devrait prendre
le gouvernement Sellal ?
Renouer avec l�anticipation strat�gique, r�tablir les liens avec la
population et inscrire l�action du gouvernement dans la dur�e, avec une
visibilit� accessible.
Comment, selon vous, pourrait se pr�senter la situation � l�approche du
scrutin pr�sidentiel de 2014 ?
Si le statu quo actuel persiste, sans l�ombre d�un doute M. Abdelaziz
Bouteflika sera candidat � sa propre succession. Dans les m�mes
conditions o� se sont d�roul�es les pr�c�dentes �lections, il sera
r��lu. Si M. Abdelaziz Bouteflika n�est pas candidat, un successeur sera
coopt� qui prendra l�engagement de ne pas torpiller le syst�me en place.
Si, cependant, un soul�vement populaire venait � intervenir � et
l�hypoth�se est pertinente �, nous passerons de la situation o� c�est la
soci�t� virtuelle qui est l�acteur principal pour une autre o� ce serait
la soci�t� r�elle qui d�terminerait le cours des �v�nements. Il n�est
pas possible de mesurer les cons�quences de cette �volution de
conjoncture, mais elles seront, certainement, certainement, gravissimes.
Pensez-vous que l��volution de l��tat de sant� du pr�sident Abdelaziz
Bouteflika pourrait pr�cipiter le cours des choses comme vous le dites ?
Ne nous attardons pas sur un domaine qui rel�ve de l�intimit� du chef de
l�Etat. Je m�en tiens � la r�gle que j�ai toujours observ�e. Il est
possible, n�anmoins, d�aborder la question du point de vue de l�impact
de l��tat de sant� du chef de l�Etat sur le fonctionnement du syst�me de
gouvernance publique. Les dysfonctionnements d�j� recens�es appellent
l�attention au plus haut. Si, cependant, cet �tat de sant� d�crit comme
d�l�t�re venait � persister, la machine gouvernementale serait de plus
en plus gravement gripp�e. Un soul�vement populaire pourrait s�ensuivre
face auquel la police serait impuissante. L�arm�e, vraisemblablement,
refusera de tirer sur la foule. De facto, le pr�sident de la R�publique
sera mis en demeure de se d�mettre. Comment, en l�absence de partis
performants, de syndicats agissants et de leaders l�gitimes, l�Alg�rie
pourra entamer sa transition d�mocratique ? C�est l�absence
d�alternative politique � en termes cr�dibles, c'est-�-dire, de partis
performants et des leaders charismatiques � qui constitue l�obstacle
principal � une mutation du syst�me politique. Car, en effet, il
n�existe pas une seule parcelle de vie politique qui ait �t� laiss�e �
la dynamique naturelle. Le bilan de M. Abdelaziz Bouteflika est, � cet
�gard, catastrophique. Ne dites, surtout pas, que ce sont les services
de renseignement qui bloquent cette dynamique politique.
Incontestablement, ils peuvent agir sur le volet virtuel de la sc�ne
politique et ils ne manquent pas de la faire. Mais, ils sont incapables
de contenir une vague populaire imp�tueuse. Je n�ai pas connaissance
d�exemple de services de renseignement qui ont pu, ind�finiment,
r�sister � un peuple d�termin�, encadr� par une �lite r�solue.
T. H.
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