Culture : 50 ANS DE POUVOIR EN ALG�RIE DANS UN FILM DE HERV� BOURGES*
Ceux qui l�ont exerc� et leurs opposants en parlent


De notre bureau de Paris, Khedidja Baba-Ahmed
Raconter l�histoire du pouvoir en Alg�rie sans complaisance ni parti-pris, promettait Herv� Bourges pour le film qu�il vient de commettre, intitul� L�Alg�rie � l��preuve du pouvoir et dont la premi�re partie sera diffus�e dimanche � 21h (22h, heure fran�aise) sur France 5, la deuxi�me partie devant suivre le dimanche d�apr�s au m�me horaire et sur la m�me cha�ne.
Vu dans son int�gralit� en service presse, ce film ne laissera s�rement pas indiff�rent comme il ne laissera pas un sentiment d��uvre majeure, loin s�en faut, sur l�analyse du pouvoir depuis l�ind�pendance. Mais il fourmille de d�clarations, pour beaucoup d�entre elles exclusives, sur leur lecture du pouvoir dans lequel ils exercent ou dont ils furent les opposants. Un grand absent dans ce documentaire, les citoyens, comme si en dehors des dirigeants et de leurs opposants, les autres ne peuvent s�exprimer sur la nature du r�gime qui les a gouvern�s. �Tous ces gens-l� sont discr�dit�s. Si vous posez la question aux citoyens, ils vous diront que tout le monde est voleur, trafiquant� Il s�est cr�� des conditions � Alger o� s�enrichir, s�adonner � la corruption est devenu normal et l�exemple vient d�en-haut.� C�est feu Boudiaf qui parle et qui livrait alors son effarement devant ce qu�il d�couvrait en ses d�buts d�exercice du pouvoir, lorsque les d�cideurs lui firent appel. Il y a ainsi tout au long des deux parties du documentaire des fragments d�interviews donn�es en leur temps ou pour certains hommes politiques vivants exprim�s r�cemment (2010-2011) � Bourges et qui donnent froid dans le dos tant le marasme d�alors a non seulement perdur� mais s�est amplifi�. Le propos essentiel du film est de faire parler beaucoup d�acteurs politiques ou de la soci�t� sur l�exercice du pouvoir depuis l�ind�pendance. La premi�re partie s�ouvre sur la fin de la longue nuit coloniale et l�explosion de joie des Alg�riens sortis en masse le 5 juillet 1962 et se poursuit jusqu�aux �meutes de 1988 et leur tragique r�pression. Tous les antagonismes, latents d�j� entre le GPRA et Bureau politique du FLN, les d�saccords d�clar�s ou tus sur le contenu des accords d�Evian et les compromis n�goci�s sont �voqu�s par beaucoup d�acteurs de cette p�riode, le tout ramen� � une seule question : qui sortira vainqueur pour la prise du pouvoir et avec quelles connivences ? �La v�rit� est que nous �tions divis�s pendant la guerre de Lib�ration et maintenant on conna�t l�histoire. � C�est ainsi qu�explique Bachir Bouma�za la lutte pour le leadership. Le pouvoir �autoritaire� de Ben Bella � ce dernier vainqueur de la bataille au koursi �avec la b�n�diction de Djamel Abdenasser affirme A�t Ahmed� � est tr�s vite confront� � la contestation et ses alli�s d�alors, Boudiaf, Khider, Ferhat Abbas�, d�missionnent. Et comme tout pouvoir dictatorial, face � la contestation, Ben Bella d�cr�te ill�gale toute voix discordante et dans la foul�e interdit le Parti communiste et arr�te, dit le commandant Azzedine, une �cinquantaine de cadres dont lui-m�me, Ferhat Abbes, Ma�tre Bentoumi. Septembre 1963, A�t Ahmed d�fie le pouvoir et r�clame le pluralisme politique. Ben Bella donne son explication de la fermeture du champ politique : �Je ne suis pas un dictateur mais nous sommes dans un r�gime r�volutionnaire.� Le coup final � cette �tape est le coup d�Etat du 19 juin 1965 justifi�, comme le dit dans le film Ka�d Ahmed, �par le pouvoir personnel, la destitution d�un homme qui a bouff� tout le monde !� ; ce qui frise le ridicule lorsque l�on sait qu�en tant que chef �de l�organe du FLN�, ce responsable �crasa toute r�volte estudiantine. La souverainet� en principe retrouv�e n�est qu�illusion et Sid Ahmed Ghozali a eu ce bon mot : �Nous �tions souverains dans nos bureaux mais pas sur les gisements.� Dans ce coup de force, �Bouteflika a jou� le d�clencheur�, affirme Lakhdar Brahimi, ancien ambassadeur et ancien ministre des Affaires �trang�res et actuel envoy� sp�cial de l�ONU en Syrie. A propos de ce coup de force, de ce nouveau type de prise de pouvoir (�Apr�s tout Nasser aussi a fait un coup d�Etat�, justifie Anissa Boumedi�ne), pour Bouma�za �ni Boumedi�ne ni Bouteflika ne sont responsables. En r�alit�, on est pass� de la p�riode des b�ni-oui-oui � la p�riode des garde-�-vous. Nous sommes partie prenante. Ceux qui se targuaient de faire partie de la classe politique n�ont pas jou� leur r�le pour �viter le pouvoir personnel. L�arm�e devient de fait l�ossature du r�gime�. Autoritaire, le r�gime Boumedi�ne le sera aussi selon la quasi-totalit� des intervenants qui �voquent les assassinats, dont Khider � Madrid. L�universitaire, historien Djamel Eddine Merdaci est plus nuanc� : �C��tait un despote mais il avait une vision politique pour l�Alg�rie.� Et c�est justement l� tout ce qui va manquer chez les dirigeants qui vont suivre et qui va constituer la deuxi�me partie de ce film. A la mort de Boumedi�ne en 1978, les luttes intestines au sein du FLN pour sa succession vont s�intensifier et aboutir, � la grande d�ception de Bouteflika qui se voyait le successeur naturel, � la d�signation par l�arm�e de Chadli Bendjedid. �Ce sont les services de s�curit� qui ont plac� Chadli, m�me si officiellement c�est le Conseil de la r�volution�, note S. A. Ghozali. La situation est des plus chaotiques. 1980 voit le mouvement amazigh s�amplifier. 1984, un code de la famille en totale contradiction avec les dispositifs constitutionnels est promulgu�. Le nouveau locataire d�El-Mouradia �carte tous ceux qui gravitaient autour de Boumedi�ne. Le prix du p�trole sur le march� international est divis� par 6 � partir de 1986. La lib�ralisation du r�gime est proclam�e et, dit Louisa Hanoune, �l��cart entre nouveaux riches et la population se creuse�. Les caciques du r�gime �talent leurs richesses. Mieux encore, note Brahimi, �on a trouv� que Boumedi�ne �tait all� trop � gauche et on a favoris� le penchant islamiste�. Eclate alors le 5 Octobre anim� par une jeunesse qui d�fie en masse le pouvoir et ses symboles. En �cho � Ali Yahia Abdennour, militant des droits de l�Homme qui �voque disparitions, tortures et balles r�elles tir�es sur les manifestants, Nezzar r�pond : �La police �tait d�pass�e� il y a eu un d�clenchement de tirs incontr�lables. � 1988 constitue la crois�e des chemins pour les Alg�riens, �une rupture profonde entre le pouvoir politique et la soci�t� �, dit Ghozali et, pour la premi�re fois, �c�est le pouvoir qui est � l��preuve de la soci�t� alg�rienne�. Abdelaziz Rahabi, ancien ministre de la Culture et de la Communication, explique ce qui va suivre et qui va voir s�installer la b�te immonde : �On a dit aux Alg�riens vous avez le choix entre le FLN et les islamistes.� Pour Redha Malek,, la cr�ation du FIS est l��uvre de Ben Laden, et ce, d�s 1992. �A cette date, Ben Laden, le grand argentier, est au Soudan. Il finan�ait le FIS et a m�me r�dig� de sa propre main les slogans repris dans les mosqu�es, stades et rues alg�riennes. La radicalisation du discours islamiste conduit � la suspension du processus �lectoral, � la �d�mission de Chadli� et au recours � Boudiaf, l�homme sans tache que l�on a assassin�, probablement parce qu�il projetait de s�attaquer � la corruption et � l�islamisme.� Bourges n�interroge pas beaucoup ni les faits ni les interview�s sur cet �pisode. L�auteur qualifie Bouteflika, qui arrive au pouvoir en 1999, par �le consensuel�. S�il ne fait pas beaucoup r�f�rence ni aux tractations qui l�ont propuls� ni aux bourrages d�urnes, il consid�re et l��crit m�me dans sa pr�sentation du film, �� la t�te de l�Etat alg�rien, il s�emploie � rechercher le consensus pour ramener la paix civile, reconstruire le pays et lui donner son autonomie �conomique et financi�re� m�me s�il ajoute au final que �la corruption, mal universel mais aussi mal end�mique alg�rien, jette une ombre sur le tableau du bilan politique de l�actuel pr�sident�. S�ils avaient �t� questionn�s, les citoyens alg�riens que Bourges a malheureusement superbement ignor�s dans son panel d�interviews ou simplement en reprenant leurs cris et le contenu de leurs slogans lors des manifestations de rue de ces derni�res ann�es, sa conclusion n�aurait pas �t� aussi lisse. Toutefois, et m�me si la complaisance est bien l� � l�endroit de Bouteflika, le film de Bourges est � voir.
K. B.-A.
www.khedidja_b@yahoo.fr
* L�Alg�rie � l��preuve du pouvoir, un documentaire en deux parties de Herv� Bourges, r�alis� par Jer�me Sesquin. Diffusion les dimanches 30 septembre et 7 octobre � 9h (heure alg�rienne) sur la 5, dans l��mission Case du si�cle.

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