Actualit�s : MOHAMED CHAFIK MESBAH :
�Ce que je sais de Chadli�


Mohamed Chafik Mesbah, qui a exerc� au sein de l�ANP et des services de renseignement sous l��poque du pr�sident Chadli Bendjedid, a bien voulu nous d�livrer son t�moignage que nous reproduisons ci-apr�s.
Le Soir d�Alg�rie : Apr�s le d�c�s du pr�sident Chadli, une couronne de louanges lui est tress�e pour mettre en relief un bilan totalement positif de la p�riode o� il a occup� le premier poste de responsabilit� dans le pays. Vous convenez que son bilan aura �t� de bout en bout positif ?
Mohamed Chafik Mesbah :
C�est une bien mauvaise mani�re de rendre hommage au pr�sident Chadli que de l�encenser sans nuance. Le pr�sident Chadli a laiss� un bilan int�ressant mais qui n�est ni totalement positif ni totalement n�gatif. Sans nullement mettre en cause la sinc�rit� du pr�sident d�funt, il convient d�admettre que son bilan est � mi-chemin entre le noir et le blanc. Dans certains domaines, par exemple la r�pression du Printemps berb�re et l�introduction de l�article 120 dans les statuts du FLN, voire l�interf�rence de cercles familiaux dans des questions n�vralgiques relevant de la chose publique, le bilan aura �t� n�gatif. Par contre, le pr�sident Chadli aura pris, rapidement, la mesure de l�obsolescence du syst�me en se rangeant � la n�cessit� d�une lib�ralisation politique et �conomique du pays qu�il a voulu graduelle. A cet �gard, c�est l��quipe rassembl�e autour de Mouloud Hamrouche qui, sans doute, a �labor� le plan de charge des r�formes politiques et �conomiques de l��poque. Ces r�formes seraient rest�es, n�anmoins, lettre morte ce n�e�t �t� l�appui agissant et d�termin� du pr�sident Chadli.
En quoi ont consist� ces r�formes politiques et �conomiques ?
Le pr�sident Chadli n��tait pas un doctrinaire riv� � des certitudes id�ologiques. Il �tait pragmatique, impuls� par le bon sens et anim� de bonne foi. Il voulait sortir du carcan du parti unique en favorisant le multipartisme. Ce n�est point de sa faute si l�exp�rience a d�g�n�r�. Jamais, � titre de rappel, la presse n�a �t� aussi libre que lorsqu�il en a d�cid� ainsi. Il avait entam� la lib�ralisation de l��conomie selon une d�marche graduelle en r�habilitant la notion de capitaux marchands pour cantonner l�Etat � son r�le de r�gulateur de l��conomie. Des fluctuations du march� p�trolier avec la chute vertigineuse du prix du baril ont compromis une �volution qui aurait pu �tre harmonieuse. Encore une fois, il fallait avoir le courage d�engager ces r�formes. Malgr� toutes les pesanteurs du syst�me, le pr�sident Chadli, pr�cis�ment, n�en a pas manqu�. Malheureusement, les impond�rables de la conjoncture et l�obstruction aux r�formes manifest�e par des cercles agissants dans le pouvoir ont fait manquer � l�Alg�rie ce qui aurait pu �tre un rendez-vous avec l�histoire�
Par rapport � l�apparition d�une bourgeoisie d�affaires qui s�est accapar�e de certains cr�neaux d�activit�s au d�triment de l�int�r�t public, pensez-vous que le bilan l�gu� par le pr�sident Chadli soit positif ?
Il faut juger le bilan du pr�sident Chadli sur la volont� de ce dernier de r�habiliter l�initiative priv�e. Il faut tenir compte que l�initiative priv�e, durant la p�riode qui avait pr�c�d�, �tait d�sign�e du doigt. Le pr�sident Chadli a voulu bannir l�ostracisme qui frappait, parfois ind�ment, le capital priv�. Voil� le cadre conceptuel o� il faut se placer. Sur le plan pratique, il y a eu, probablement, des d�passements qui ne peuvent �tre imput�s au pr�sident Chadli directement.
Sur le plan �conomique, toutefois, il est reproch� au pr�sident Chadli d�avoir interrompu le cycle de l�investissement productif en amenuisant le potentiel du secteur public industriel. Ce jugement vous para�t-il fond� ?
Le pr�sident Chadli n�a jamais eu la pr�tention de se pr�senter comme un expert en �conomie. Le d�mant�lement du potentiel industriel public, vous savez parfaitement qui en a �t� responsable. Peut-�tre, en dehors de toute animosit� subjective ou de rivalit� id�ologique, e�t-il �t� souhaitable, en effet, de r�viser la d�marche �conomique du pays pour mieux l�adapter aux contingences nouvelles. Il faut, de toute �vidence, regretter, pour m�moire, la d�nonciation du contrat El Paso � dans les conditions o� il a �t� d�nonc� � car cela a provoqu� un manque � gagner pour l�Alg�rie et entra�n� un retard dans son d�veloppement.
Admettez que le pr�sident Chadli aura �t� bien injuste avec l��lite �conomique du pays...
H�las, vous savez que ceux qui ont conseill� le pr�sident Chadli sur le plan �conomique l�avaient pouss�, d�embl�e, � engager une chasse aux sorci�res contre les cadres �conomiques alg�riens. Je me souviens, personnellement, que le secr�taire g�n�ral du minist�re de la D�fense de l��poque, le g�n�ral major Mostefa Benloucif avait adress� au pr�sident Chadli une correspondance � aussi lucide que poignante � pour le mettre en garde contre cette guerre inutile men�e contre les fils m�ritants de l�Alg�rie. Je me rappelle qu�il �voquait, particuli�rement, le cas de M. Abdennour Keramane, pr�sidentdirecteur g�n�ral de Sonelgaz. Quelque temps apr�s, cet ami �tait lib�r� et r�habilit�. Je peux citer, �galement, le cas de mon ami Brahim Cha�b vilipend� par son ministre de tutelle en plein Conseil des ministres, ce qui poussa le pr�sident Chadli � s�enqu�rir du cas aupr�s du directeur de la s�curit� militaire. Celui-ci r�pondit que, non seulement, ses services ne d�tenaient aucune information d�favorable au sujet de ce cadre mais qu�une pl�thore de cadres pr�sentant les m�mes qualifications avait �t� chass�e de ses fonctions pour �tre livr�e � l�oisivet� sans autre alternative. Le pr�sident Chadli en prit bonne note, M. Brahim Cha�b fut nomm� au cabinet du Premier ministre et plus jamais, sous la p�riode du pr�sident Chadli et m�me apr�s, il ne fut inqui�t�.
Par rapport � l�arm�e, quelle fut la nature des relations que le pr�sident Chadli entretenait avec les chefs militaires ?
Contrairement au pr�sident Boumedi�ne qui ne d�l�guait rien en la mati�re, le pr�sident Chadli faisait confiance � ses collaborateurs au sein de l�arm�e. Il n�en reste pas moins qu�il exer�ait une autorit� incontestable sur la hi�rarchie militaire. J�ai eu, par des concours de circonstances, l�occasion d�observer des situations o� le pr�sident Chadli d�cidait, soudainement � en apparence � et sans concertation, la rel�ve de grands chefs militaires. Il a manqu� au pr�sident Chadli le temps de proc�der � une profonde r�organisation de l�arm�e, comme pouvait le laissait entrevoir la cr�ation de l��tat-major. Le chantier de la doctrine militaire est rest� en jach�re. Peut-�tre consid�rait-il que ce n��tait pas une priorit� absolue.
Et pour ce qui concerne les services de renseignement ?
Le pr�sident Chadli n�a pas �chapp� aux fantasmes qui ont nourri l�esprit de tous les chefs d�Etat qui se sont succ�d� en Alg�rie, y compris le pr�sident Boumedi�ne. La m�fiance vis-�-vis des services de renseignement a habit� leur esprit, c�est certain. D�s son intronisation, le pr�sident Chadli a entam� une d�marche visant � verser � la retraite � ou affecter � d�autres fonctions � les anciens responsables de la s�curit� militaire. Progressivement, il est arriv� � la conclusion qu�il fallait �civiliser� ces services. Il a d�tach�, organiquement, du minist�re de la D�fense nationale les structures en charge du contre-espionnage et du renseignement ext�rieur pour les placer sous l�autorit� de la pr�sidence de la R�publique, les structures en charge de la s�curit� interne de l�arm�e et du pur renseignement militaire �tant confi�es � la tutelle du minist�re de la D�fense nationale. Il avait valid� un plan de red�ploiement de la D�l�gation g�n�rale � la pr�vention et � la s�curit� qui comportait un all�gement des modalit�s de fonctionnement administratif afin de parvenir � l�efficacit� et m�me une audacieuse ouverture vers l��lite nationale en vue d�acc�der � l�excellence. L�irruption intempestive du Front islamique du salut sur la sc�ne nationale, l�interruption du processus �lectoral le 11 janvier 1992 et la propre d�mission du pr�sident Chadli en ont d�cid� autrement.
Sur le plan diplomatique, en quoi la p�riode de la pr�sidence Chadli aura-t-elle �t� marquante ?
De mani�re intuitive, le pr�sident Chadli a compris que l��re de la rivalit� des blocs tirait vers sa fin. Sans ouvrir d�hostilit�s majeures avec l�ex-Union sovi�tique ou le bloc socialiste en g�n�ral, il a entam� un r��quilibrage des relations diplomatiques de l�Alg�rie en se rapprochant davantage du bloc occidental, notamment la France, la Grande- Bretagne et les Etats-Unis d�Am�rique. Ce red�ploiement touchait m�me le domaine militaire. Avec les deux premiers pays, des accords gouvernementaux militaires avaient �t� sign�s. Avec le troisi�me, le projet �tait dans les esprits.
Ce r��quilibrage s�est effectu� au d�triment de la vocation arabe et africaine de la diplomatie alg�rienne ?
Nullement. Avec l�Afrique, le pr�sident Chadli a maintenu le rythme de la pr�sence diplomatique alg�rienne. Avec le monde arabe, jamais le pr�sident Chadli n�a �t� pris � d�faut dans le soutien de l�Alg�rie � la cause palestinienne. Corr�lativement, soulignons que les tentatives de rapprochement entre l�Alg�rie et le Maroc n�ont jamais entam� le socle de la doctrine diplomatique alg�rienne pour ce qui concerne le conflit du Sahara occidental.
Finalement, le pr�sident Chadli a d�missionn� ou bien a-t-il �t� d�mis ?
Raisonnons en contexte. Sur la base des �valuations qui lui parvenaient, le pr�sident Chadli ne pr�sageait pas la victoire massive du Front islamique du salut aux �lections l�gislatives de d�cembre 1991. Ces �lections ayant, cependant, abouti au r�sultat que nous connaissons, l�ancien chef de l�Etat s��tait pr�par� � une p�riode de cohabitation o�, avec l�appui de l�arm�e, il entendait �tre un contrepoids � toute tentative aventureuse, notamment l�instauration d�un Etat th�ocratique. Le commandement militaire n��tant pas favorable � cette cohabitation et le pr�sident Chadli n��tant pas pr�s de se d�juger, il a choisi de d�missionner. Non pas que quelqu�un parmi les chefs militaires avait la capacit� de s�opposer � lui. Il aurait pu d�capiter � symboliquement parlant � la hi�rarchie militaire, il a renonc� � une solution qui aurait pu �tre aventureuse et choisi de se d�mettre de sa propre volont�.
Revenons � la personnalit� du pr�sident Chadli. Il passe pour un �tre sensible et attentif aux cas humains. Pouvez-vous citer des exemples ?
Le g�n�ral major Benloucif m�a racont�, lui-m�me, dans quelles conditions il a eu � �voquer, le premier, avec le pr�sident Chadli le cas, successivement, du pr�sident Ben Bella � encore emprisonn� au ch�teau Holden � et du colonel Zbiri � en exil � l��tranger �. Le pr�sident Chadli, tout en pr�servant les convenances de forme, avait vite fait de r�habiliter les int�ress�s. Le colonel Fekir El Habri, ancien directeur des services financiers du minist�re de la D�fense nationale, m�a relat� que le pr�sident Chadli, lorsqu�il �tait commandant de la 2e R�gion militaire, avait, d�autorit�, pour leur venir en aide, octroy� des march�s d�infrastructures � d�anciens officiers radi�s de l�ANP parce que soup�onn�s d�avoir nourri de la sympathie pour le colonel Tahar Zbiri, ancien chef d��tat-major de l�ANP qui �tait recherch� et en exil. N�oubliez pas, aussi, le courage qu�il lui a fallu pour inhumer, convenablement, les s�pultures d�tourn�es du colonel Amirouche et du colonel Haou�s. Le courage aussi qu�il lui a fallu pour rapatrier en Alg�rie les d�pouilles des chefs de l�ALN � en particulier le colonel Mohamed Lamouri � ex�cut�s apr�s ce qui fut appel� �le complot des colonels �.
Un autre exemple plus personnel�
En 1986, mon tr�s cher ami, le regrett� Bendahmane Abdelkader qui exer�ait en qualit� d�aide de camp du pr�sident Chadli, fut entra�n�, bien malgr� lui, dans un sordide montage destin� � l��loigner de la pr�sidence de la R�publique. Arr�t� et interrog�, il ne dut son salut qu�� la d�termination du d�funt g�n�ral Mejdoub Lakhal Ayat, alors directeur de la S�curit� militaire, d�cid� � le pr�server. Bien des ann�es apr�s sa d�mission, le pr�sident Chadli demanda � rencontrer, en sa r�sidence de Bou Sfer, le commandant Bendahmane pour lui pr�senter ses excuses. C�est ce dernier qui me relata l�entrevue en me confiant : �Je suis soulag� car je ne comprenais pas que le pr�sident Chadli puisse se comporter ainsi � mon �gard.� Dont acte.
Avez-vous lu les m�moires du pr�sident Chadli ?
Malheureusement, non. Gr�ce, cependant, � mes amis Sma�l Ameziane, directeur de Casbah Editions, et de Aziz Boubakir qui a conduit, retranscrit et corrig� les m�moires du pr�sident Chadli, j�ai une certaine connaissance du contenu et surtout de sa tonalit� psychologique. Apparemment, le pr�sident Chadli a tenu � s�exprimer librement sur l�ensemble des phases de sa vie avec une note exceptionnelle de sinc�rit�. Il faut souhaiter que, cons�cutivement, � la publication de ces m�moires, des d�bats acad�miques puissent s�engager pour enrichir les pans de l�histoire nationale abord�s. Dans un esprit de tol�rance et de rigueur scientifique, loin des invectives et des anath�mes. Ce serait le meilleur hommage � rendre � un pr�sident qui n�a pas d�m�rit�.
Mokhtar Benzaki

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