Voxpopuli : La fabuleuse histoire de la patinoire du 7e Groupe

Quelque abondants et distincts que sont mes souvenirs d'adolescent, je n'ai jamais cru un jour qu’ils passeront de mon néocortex au papier. Pour ceux qui ne le connaissent pas, le 7e Groupe est un imposant immeuble de quinze étages de type HLM, dont la construction commença dans les années 40 et prit fin en 1955. Partie intégrante d'un ensemble immobilier très clairsemé, situé à la place du 1er-Mai, ex-Champ-de- manœuvres.
Très peu d'Algériens y habitaient d'ailleurs. Le taux était relativement faible par rapport à la communauté française d'Algérie qui se taillait la part du lion. Une répartition inégale valable pour l'ensemble des groupes au nombre de onze Le 7e Groupe était de loin le plus majestueux. Construit sur la meilleure assiette de toute la superficie bâtie que comptait à cette époque ce quartier névralgique d'Alger. Conçu à l'origine comme un quartier pour la population européenne, il se caractérisa très vite par une zone spécialement aménagée de petite industrie et activité artisanale pour accueillir graduellement les populations musulmanes actives. D'abord hostile à cette forme de syncrétisme culturel, l'attitude «normative» de la communauté européenne finit par s'estomper devant les exigences de la vie pratique. La planification urbaine englobant la totalité du quartier avait prévu un mode de vie confortable à l'intérieur de ces grands immeubles équipés de services collectifs et entourés d'espaces verts. Dans cette perspective, le 7e Groupe était le mieux loti : allées ombragées, terrains de jeux, et une… patinoire – transformée à l'occasion en terrain de football – qui jouxtait le bâtiment. Patinoire qui justement était la clef de voûte de cet édifice. Pour moi et pour plusieurs de mes amis encore en vie, ce lieu vit en nos mémoires comme une déchirure. La nostalgie a toujours fait recette. Ce modeste texte écrit avec mes tripes ne se contente pas d'ouvrir simplement l'album photos de l'adolescence, il dresse un véritable tableau sociologique de l'époque coloniale : - prise de conscience de notre indigénat ; - dépouillement des acquis de notre culture ; - manque de vie intérieure et de liberté. Il y avait là les prémices, les premiers souffles de l'ouragan du 11 Décembre 1960.
Les premiers souffles de l'ouragan du 11 Décembre 1960
Avec un groupe d'amis dont la moyenne d'âge ne dépassait pas seize ans au début de cette année 1960, nous menions, dans la joute sportive, une forme de lutte contre les enfants des prédateurs, des races dominées. Les quelques amis, coéquipiers qui habitaient cet immeuble mythique, s'arrangeaient pour organiser avec leurs petits voisins français des rencontres de football qui se déroulaient sur l'asphalte de la patinoire. Toutes les rencontres disputées, je ne me rappelle plus de leur nombre, se soldaient toujours par une victoire en notre faveur. Lassés de leur infliger à chaque fois une correction, nous décidâmes d'arrêter toute rencontre. Vœu vite exaucé avec le soulèvement populaire du 11 Décembre 1960. Ce qu'il y avait de formidable dans ce groupe de jeunes et d'autres qui suivront, en pleine période de troubles, résidait dans la capacité de ses membres à éviter coûte que coûte la dissension pour préserver l'harmonie. Après l'indépendance et dès 1963/1964, la patinoire renoue avec de grandes rencontres de football interquartiers. La petite pelouse bien verte et les gradins conçus spécialement pour les férus des patins à l'effet de se reposer après des efforts soutenus étaient noirs de monde. Les amateurs de la balle ronde, nombreux, venaient assister à des matchs de grande qualité. Le bouche à oreille, puissant vecteur de communication, ne tarda pas à drainer foule. En effet, entraîneurs, recruteurs, techniciens... en football, à la recherche de la perle rare. Pétris de talent, quelques-uns, trois ou quatre années plus tard, allaient faire le bonheur des clubs de Nationale Une. A la fin des années quatre-vingt, plusieurs de nos amis victimes de l'oubli ont préféré s'exiler ; d'autres tombés dans la décrépitude morale, ont déménagé pour aller s'installer loin, très loin du quartier qui les a vus naître. D'autres nous ont quittés. La patinoire du 7e Groupe est toujours ; il faut s'atteler à le sauver de l'oubli par la restauration. Elle se dégrade sous nos yeux chaque jour qui passe. Elle fait partie de cet espace dans lequel nous vivons et nous interpelle… Ce qui nous amène à affirmer que la nouvelle configuration du paysage auquel nous sommes exposés bafoue les espérances, les rêves – bref tout ce qui est susceptible d'égayer nos vieux jours – ; elle nous renvoie aux spécialistes des sciences sociales qui avouent que les multitudes de connaissances, d'expériences personnelles qui surgissent de notre passé s’entremêlent pour former l'histoire de ma (notre) vie.
Med. Bob (Belcourt)





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