Contribution : Mais qui donc de la France ou du FLN a remport� la guerre d�Alg�rie ?

Par le Dr Mourad Preure (*)
Notre po�te Bachir Hadj-Ali, paraphrasant Aragon, disait dans un de ses magnifiques po�mes : �Nous n�avons pas de haine contre le peuple fran�ais. � Il importe plus que tout aujourd�hui de projeter notre pays dans le futur pour le mettre en phase des challenges structurants du si�cle qui s�ouvre.
Nous avons combattu et remport� la victoire, nous n�avons que faire de la ranc�ur et de la haine, quand bien m�me nous y sommes invit�s avec insistance par des comportements de personnalit�s fran�aises repr�sentatives d�une mani�re ou d�une autre d�une partie de la soci�t� fran�aise. La France est une grande nation qui a les ressources morales et l�incr�ment de vision n�cessaires pour construire une relation qualitativement nouvelle avec l�Alg�rie, ouverte sur le futur. Car la France est aussi et surtout la patrie de Jaur�s, de Voltaire, la patrie du g�n�ral de la Bollardi�re, ce militaire qui d�missionna pour protester contre la torture et les exactions inflig�es aux Alg�riens, la patrie des Porteurs de valises, de Sartre, mais aussi de Camus, il faut lui rendre justice, la patrie de Chev�nement, ce ministre de la D�fense qui d�missionna car il d�sapprouvait la guerre que son pays s�appr�tait � mener en Irak. C�est aussi la France de la D�claration universelle des droits de l�homme, pas celle pour autant des lumi�res tant ces lumi�res ont pudiquement d�tourn� leur regard devant les horribles crimes coloniaux commis contre notre peuple, ces lumi�res qui, pas plus que l�esprit de 1789, n�ont illumin� plus loin que les c�tes sud de la France, ce nouveau limes, fronti�re au-del� de laquelle l�Empire romain situait d�j� la barbarie. Il ne serait pas sage de l�ignorer, cette France, dans les jugements que pourrait nous inspirer le d�risoire geste de quelque sombre h�ritier de la honte p�tainiste. Nous ne pouvons pas g�n�raliser car ce pays m�rite mieux comme repr�sentants que ces gardiens jaloux et honteux d�une m�moire coloniale tourment�e, incapables d�en assumer la triste et peu glorieuse issue. Tous les strat�ges le savent bien, l�interpr�tation de l�issue de la guerre est un acte de guerre � part enti�re, on pourrait m�me dire l�acte de guerre ultime, absolu. Si vous arrivez � convaincre le vainqueur d�une confrontation arm�e que l�issue de la guerre lui a �t� d�favorable, s�il a la na�vet� de le croire, alors quand bien m�me vous f�tes vaincu, la victoire finale vous revient. Faute de ce travail de m�moire, ce travail de deuil, cet exorcisme (les Etats-Unis l�ont fait avec l�aide de leurs �crivains, de leurs cin�astes concernant la guerre du Vietnam), on a au contraire pens� utile en France de vider l�ind�pendance alg�rienne de toute substance. Un travail de communication syst�matique et soutenu s�est acharn� � convaincre les Alg�riens de trois choses : (I) la nation alg�rienne est de cr�ation r�cente ; (II) la France a remport� une victoire militaire sur le FLN ; (III) la gestion de l�Alg�rie post-ind�pendance est un �chec absolu. Ces trois id�es vont ensemble et se nourrissent l�une de l�autre. Tout ceci a pour int�r�t d�amoindrir la l�gitimit� du combat lib�rateur d�une part, d�autre part, la faillite de la gestion de l�Alg�rie par les Alg�riens souligne bien tout l�int�r�t qu�il y avait pour eux de ne pas contester l�ordre colonial, de le laisser perdurer. La patrie de Massinissa � ce chef d�Etat dont la tombe tarde � �tre fleurie � El Khroub � devrait d�ailleurs insister davantage pour dire l�ampleur de sa profondeur historique, toute la richesse symbolique et le pouvoir f�d�rateur de son pass� numide. Un historien fran�ais � la mine fort sympathique, autoproclam� sp�cialiste de l�Alg�rie et par ailleurs tr�s en cours dans notre si na�f pays, se charge r�guli�rement de distiller avec beaucoup de conviction, de comp�tence et d�efficacit� cette vision. Et, vous ne le croirez pas, �a marche ! �a marche ! Certains Alg�riens pensent sinc�rement que le FLN a perdu la guerre d�Alg�rie, que leur nation est de cr�ation r�cente ! Voici donc maintenant que deux clowns grotesques, s�arrogeant le titre (on ne le leur contestera pas) de d�positaire de cette m�moire coloniale si tourment�e, on s�en rend compte, en viennent m�me jusqu�� nous faire des bras d�honneur. On a tout de suite envie de leur dire : ce bras d�honneur, pitoyable expression d�un inconsolable d�pit, fallait-il peut-�tre le faire sur le terrain, durant la guerre d�ind�pendance, en remportant une victoire sur les Alg�riens, en restant en Alg�rie malgr� la volont� des Alg�riens. Car la premi�re v�rit� � dire surtout est que la France a �t� vaincue, elle a perdu la guerre d�Alg�rie. Nous l�avons montr� dans notre livre (1), citant le grand strat�ge Clausewitz (2), la victoire �tait du c�t� des Alg�riens, pas de la France, m�me si, comme on le rappelle � souhait, les maquis �taient s�v�rement affaiblis, voire dans certains cas d�sarticul�s, par rapport aux 500 000 hommes du corps exp�ditionnaire fran�ais. La Casbah d�Alger h�ro�que �tait sous le contr�le de troupes d��lite venues pour ce faire des jungles vietnamiennes. Fallait-il vraiment faire venir de si loin des soldats d��lite pour mater, en perdant son �me, le petit peuple mis�rable et glorieux d�Alger ! On voudrait aussi nous convaincre que pour la premi�re fois dans l�histoire, le vainqueur d�une guerre, dans un acte magnanime et totalement saugrenu, aura abandonn� au vaincu le territoire convoit�, allant m�me jusqu�� d�placer une colonie de pieds-noirs dans la pr�cipitation, dans des conditions �pouvantables, allant m�me jusqu�� abandonner � leur sort les suppl�tifs qui au p�ril de leur honneur et de leur vie ont trahi leur peuple pour se mettre � son service. La France victorieuse de la guerre d�Alg�rie. Cette contrev�rit� prend en effet les traits de l��vidence, et une abondante litt�rature se charge de la fonder, notre histoire s��crivant malheureusement ailleurs qu�en Alg�rie, le plus souvent chez l�ancienne puissance coloniale. Clausewitz nous dit que la guerre est la poursuite de la politique par d�autres moyens. La guerre est un acte politique ultime, elle survient lorsque les int�r�ts de deux parties ne peuvent �tre d�partag�s autrement que par la violence. Son point de d�part est politique de m�me que sa conclusion. On ne fait pas la guerre pour faire la guerre, on la fait pour r�aliser un objectif politique qui ne peut �tre r�alis� d�une autre mani�re, en l�occurrence ici l�ind�pendance de l�Alg�rie, ce � quoi est parvenu le FLN on ne peut le contester. Clausewitz nous dit aussi que dans une confrontation arm�e lorsque l�un des deux bellig�rants consid�re que la poursuite des buts de la guerre ne justifie plus les pertes (militaires, �conomiques, politiques) qu�il encourt, il renonce � la poursuite de l�affrontement et est donc d�clar� perdant. N��tait-ce donc pas le cas de la France ? Abondant dans la pens�e de Clausewitz, Basil Liddell Hart, th�oricien de r�f�rence en mati�re de strat�gie, nous dit : �La victoire, au sens vrai du terme, implique que l��tat de paix, pour le peuple vainqueur, est meilleur apr�s la guerre qu�auparavant. Prise dans ce sens, la victoire n�est possible que si un r�sultat peut �tre acquis rapidement, ou si un long effort peut �tre proportionn� aux ressources nationales. La fin doit �tre ajust�e aux moyens. Si les �l�ments indispensables � une telle victoire font d�faut, l�homme d�Etat avis� ne manquera aucune des occasions qui lui seront offertes pour n�gocier la paix.� (3) Et qu�a donc fait de Gaulle sinon n�gocier la paix ! La guerre d�Alg�rie est l�un des conflits asym�triques les plus caract�ristiques dont la D�claration de Novembre et surtout la plate-forme de la Soummam ont pos� les objectifs et les principes directeurs. Guerre du faible contre le fort, c�est aussi le seul cas dans l�histoire o� la guerre a �t� port�e par le faible, avec la glorieuse F�d�ration de France du FLN (4), jusque sur le territoire suppos� sanctuaris� du fort. Les conflits asym�triques sont en effet une rupture dans l�art de la guerre ; ils y bouleversent les r�gles, rompant la lin�arit� propre aux conflits sym�triques, aux guerres classiques, le succ�s ne se concr�tisant pas par des positions sur le terrain, ni dans les pertes humaines ou mat�rielles mais dans l�impact aupr�s des opinions, la d�sorganisation que provoque la guerre dans l�ensemble des syst�mes qui constituent et fondent la force ennemie : �conomie, image g�n�rale, coh�sion sociale, stabilit� politique. La Quatri�me r�publique n�a-t-elle pas vol� en �clats en France ? La France n�a-t-elle pas manqu� d�imploser alors m�me que des paras s�ditieux �taient pr�vus d��tre parachut�s sur les Champs-Elys�es? En mai 1958, on a d� faire appel � un monsieur qui est venu avec ses galons de g�n�ral prendre les r�nes de l�Etat ; le Premier ministre Pflimlin s�est effac� de m�me que le pr�sident Ren� Coty, et le pays a �t� dirig� par un chef d�Etat, militaire de son �tat, qu�on a continu� � appeler �mon g�n�ral�. L�av�nement de la Ve R�publique n�est ainsi rien d�autre qu�un coup d�Etat, par ailleurs salutaire pour la nation fran�aise, en r�ponse � une situation de chaos dont la cause est, qu�on le veuille ou non, l�efficace r�sistance oppos�e par le FLN aux desseins fran�ais et la violence qui a r�sult� de cette r�sistance. Certains universitaires fran�ais ont beau gloser sur la question, autant en France que dans les tribunes qu�on leur offre obligeamment en Alg�rie, ils n�y changeront rien car les faits sont t�tus. Dans les conflits asym�triques, nous n�avons pas deux arm�es qui se font face sur un th��tre d�op�rations, il n�y a pas mat�rialit� d�un champ de bataille mais un espace op�rationnel englobant l�ensemble des dimensions o� la confrontation s�op�re, l�espace humain en est devenu la cl� ainsi que l�espace informationnel ou �infosph�re�. Les espaces g�ographique, a�rien, etc., n�y jouent pas le r�le-cl� comme dans les conflits sym�triques. Le �centre de gravit� cher � Clausewitz, ce point duquel d�pend la force de l�adversaire, n�est pas ici vis� directement. Nous sommes en pr�sence d�une strat�gie indirecte qui vise le syst�me dans son entier et non une partie de celui-ci. Ainsi, la d�sorganisation de celui-ci et non l�acquisition de positions sur le terrain exprime la victoire. Et en g�n�ral, les r�volutionnaires qui m�nent des batailles asym�triques l�entendent ainsi (5). La guerre du Vietnam en est un exemple frappant. Il y est admis que les Etats-Unis ont domin� sur le plan tactique sans pour autant remporter la guerre. Bien entendu, la communication y joue un r�le-cl� ; par elle le faible projette le conflit hors du champ de bataille et impose au fort un champ de bataille virtuel � son avantage, impliquant par l�information les opinions publiques, les ONG et les Nations unies. Les d�cisions tactiques prises sur le terrain y sont souvent assujetties. La gr�ve des Six jours � Alger, d�cision tactique caract�ristique d�un conflit asym�trique, �tait une r�ponse du FLN au discours d�velopp� par la France concernant l�Alg�rie lors de l�examen de la question alg�rienne aux Nations unies. �L�une des particularit�s essentielles de la guerre asym�trique est qu�elle n�est pas bas�e sur la recherche de la sup�riorit� mais sur la conversion de la sup�riorit� de l�adversaire en faiblesse� (6), nous dit Jean Beaud.Cette d�monstration �tait utile car il ne s�agit pas de r�pondre � l�obsc�nit�, juste peut-�tre l�ignorer et remettre ce faisant chacun � sa place. Il faut aussi que nos enfants sachent d�o� ils viennent, que la guerre d�ind�pendance �tait surtout le fait d�authentiques h�ros, le plus souvent anonymes. Elle est et restera aussi un cas d��cole en mati�re de strat�gie, apr�s Dien Bien Phu, une avanc�e r�elle dans l�art de la guerre, nous voulions insister sur ce point. Elle s�est surtout sold�e par une victoire indiscutable que nous devons d�fendre et consacrer chaque jour par un travail de production de sens. Nous le devons � nos martyrs. Nous le devons � nos enfants.
M. P.

* Fils de moudjahid
Professeur de strat�gie et de g�opolitique
Pr�sident du cabinet Emergy international strategic consulting
Alger, novembre 2012
www.emergy-dz.com
mourad.preure@yahoo.fr

(1) France-Alg�rie. Le grand malentendu. J.L. Levet et M. Preure. Emergy Editions, Alger 2012.
(2) Carl von Clausewitz, De la guerre, Editions Payot et Rivages, 2006
(3) Basil H. Liddell Hart, Strat�gie, Editions Perrin 2007, P. 565.
(4) Voir notamment les r�cits t�moignages de Ali Haroun, Moh Clichy.
(5) �Les m�thodes et objectifs asym�triques d�un adversaire sont souvent plus importants que le d�s�quilibre technologique relatif, et l�impact psychologique d�une attaque peut d�passer le dommage physique effectif. Un adversaire peut rechercher un avantage asym�trique au niveau tactique, op�rationnelle ou strat�gique en identifiant les vuln�rabilit�s-cl�s et en �laborant des concepts asym�triques pour les frapper et les exploiter.� Joint Vision 2020, Washington DC, Dept of Defense, Chairman Joint Chiefs of Staff, juin 2000, P.5. Cit� par J. Baud, la Guerre Asym�trique, Editions du Rocher 2003. La D�claration du 1er Novembre et la Plate-forme de la Soummam ne sont-elles pas dans cet esprit ?
(6) J. Baud, Op Cit�, page 96

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