Chronique du jour : KIOSQUE ARABE La pilule am�re de l'h�ritage
Par Ahmed Halli
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Comme les temps changent : je ne
m'aventurerais pas toutefois � incriminer la divine providence dans les
transformations ou les revirements de mes contemporains, comme ils
s'empressent eux-m�mes de le faire. Comme tous les 27 d�cembre, depuis
maintenant 34 ans, les Alg�riens comm�morent, avec nostalgie ou ranc�ur,
la disparition du pr�sident Boumedi�ne. Il est facile de c�der � la
nostalgie d'une �poque, peu affriolante somme toute, lorsqu'on voit les
d�g�ts qui se commettent aujourd'hui sous nos yeux. Tout comme il est
tentant et l�gitime d'�prouver de la ranc�ur en se rappelant que les
pr�dateurs d'aujourd'hui ont grandi � l'ombre de Boumedi�ne. Ils
n'h�sitent pas d'ailleurs � se r�clamer du d�funt, mais tout comme les
h�ritiers, tenaill�s par des instincts parricides, ils se sont empress�s
de dilapider son h�ritage, d�s qu'ils ont eu la certitude qu'il ne
reviendrait plus. C'est ainsi que cela se passe dans toutes les bonnes
familles, o� l'on a n�glig� de s�parer le bon grain de l'ivraie. Pour
2012, il a �t� question � nouveau de la th�se de l'assassinat politique,
l'actualit� venant rafra�chir les m�moires avec l'exhumation du corps de
Yasser Arafat, le leader palestinien. Dans les deux cas, d'ailleurs, un
doigt accusateur d�signe un seul et unique coupable, Isra�l, avec de
l�g�res variantes impliquant g�n�ralement les Etats-Unis. Dans le cas
pr�cis de Boumedi�ne, on a eu des th�ses plus ou moins cr�dibles, dont
la plus r�pandue est celle de son empoisonnement au Lithium, un proc�d�
dont l'Irakien Saddam Hussein �tait un fervent pratiquant. Selon le
quotidien Echourouk, qui a publi� un article sur le sujet, dans son
�dition du 26 d�cembre, Boumedi�ne aurait �t� empoisonn� lors d'une
escale de quatre heures � Baghdad. Le quotidien n'�carte pas aussi une
intervention marocaine, et il fait part des soup�ons formul�s � cet
�gard par le Dr Taleb Ahmed dans ses m�moires. Selon l'ancien
ministre(1) et proche de Boumedi�ne, ce dernier avait pr�vu de
rencontrer le roi Hassan II � Bruxelles le 30 septembre 1978, mais il
avait demand� � son interlocuteur de reporter l'entretien. Hassan II
aurait r�pondu : �Si on ne se rencontre pas � cette date, il est
possible qu'on ne puisse jamais se rencontrer.� Boumedi�ne ne s'est
arr�t� que plus tard � cette r�ponse, qui lui a paru par la suite lourde
de sens, comme il l'a confi� � Taleb Ahmed. Bref, tous les ingr�dients
sont r�unis pour �tayer le chef d'accusation contre les ennemis, ou les
fr�res et amis, ext�rieurs. Mais depuis l'assassinat de Boudiaf, il y a
des mouvements convulsifs d'index accusateurs qui n'�chappent encore
qu'aux cam�ras officielles. Anissa Boumedi�ne, invit�e par le m�me
journal � s'exprimer sur le sujet, s'est content�e de l'expression �Nwakal
alihoum Rabbi�. Ce qui signifie litt�ralement �Nous nous en remettons �
Dieu du soin de se charger d'eux�. Expression tr�s �loquente par
laquelle on peut tout dire ou pas assez. Mais dans l'entendement commun,
et pour peu que Madame Boumedi�ne ait r�ellement prononc� cette formule,
il ne fait pas de doute que les �parricides� sont parmi nous. En tout
cas, la veuve de l'ancien pr�sident se refuse � envisager un quelconque
examen l�gal de la d�pouille de son d�funt mari, comme cela a �t� fait
pour Arafat. Tout comme elle met fin aux histoires colport�es, �� et l�,
sur les circonstances de sa rencontre et de son mariage d'amour avec
Boumedi�ne(2). J'ai toujours eu beaucoup de sympathie pour cette dame,
et je comprends qu'elle se soit intronis�e en gardienne vigilante et
ombrageuse de sa m�moire, mais pourquoi tout ce manque d'�gards pour
Tahar Zbiri et pour les mineurs de l'Ouenza ? Elle a la dent
particuli�rement dure contre Zbiri, qualifi� �d'analphab�te bilingue�,
et qui avait �la pr�tention de devenir ministre de la D�fense�. C'est
oublier que si la r�volution alg�rienne a eu de brillants th�oriciens,
elle a eu aussi de g�niaux chefs de guerre, souvent �analphab�tes
bilingues�. Il a �t� prouv� par la suite, et de nos jours encore, qu'ils
ont �t� supplant�s par plus �analphab�tes�, et plus b�tes qu'eux,
puisqu'ils n'ont m�me plus honte de s'afficher en tant que tels. Quant
aux r�alisations de Boumedi�ne, tr�s controvers�es par ailleurs, elles
auraient �t� beaucoup plus durables s'il n'y avait pas eu ces �rongeurs�
que son ombre tut�laire dissimulait aux regards. Aujourd'hui, ce qu'on
appelait la �gauche du FLN� est � la droite du FIS recycl�, version
Belkhadem, ou grenouille dans les trav�es de la �Couronne� du n�o-
Hamas. Les exemples de reniement ou de remise en cause des quelques
initiatives prometteuses de Boumedi�ne pullulent dans nos journaux.
Ignorant que c'est Boumedi�ne qui a inaugur� la politique de
contraception, au d�but des ann�es soixante-dix, avec la mise en place
des PMI(3), une lectrice a interrog� l'imam d'un quotidien sur la
pilule. Il r�pond que �la f�condit� est un don de Dieu qu'il ne faut pas
contrarier, que la pilule contraceptive peut �tre nuisible pour la
sant�. Cependant, si la femme ne peut pas accoucher tous les ans ou tous
les deux ans parce qu'elle est trop maigre, ou trop faible, elle peut
recourir � la pilule, avec l'autorisation de son mari�. Selon des
statistiques r�centes, plus de 60% des femmes alg�riennes ont recours �
la pilule, sans pr�juger des autres m�thodes contraceptives. C'est un
h�ritage positif de Boumedi�ne, m�me si partout ailleurs la pilule est
dure � avaler. Elle sera encore plus am�re lorsque les petits enfants de
Boumedi�ne, nourris au fondamentalisme, d�cideront, en application de
fatwas r�visionnistes, de ne plus la rembourser. En attendant de la
mettre d�finitivement hors-laloi, afin que nous puissions cro�tre et
multiplier jusqu'� faire fondre les glaces du Groenland.
A. H.
(1) Je ne sais si l'histoire est vraie : un jour Boumedi�ne envoie le
Dr Taleb Ahmed au chevet de Bourguiba, alors tr�s �g� et alit�. Apr�s
s'�tre enquis de l'�tat de sant� du pr�sident tunisien, l'�missaire
alg�rien est interpell� en ces termes : �Dis � Boumedi�ne que c'est moi
qui vais l'enterrer.� Bourguiba tint parole puisqu'il mourut en avril
2000, soit presque 12 ans apr�s Boumedi�ne.
(2) Elle lui avait demand� une audience pour r�clamer la restitution du
cin�ma �Donyazad� qui appartenait � son p�re, et qui avait �t�
injustement nationalis�. Je le rapporte parce que j'ai affection
particuli�re pour ce cin�ma o� j'ai vu mon premier film �gyptien, une
histoire d'amour qui finit mal, sur invitation du propri�taire
justement.
(3) Pour ne pas effaroucher les tartuffes de l'�poque, non rassasi�s par
les s�minaires annuels sur �la pens�e islamique �, on a appel� ce
programme �Protection maternelle et infantile�. Tout comme on a traduit
plus tard �Ins�mination artificielle� par �Procr�ation m�dicalement
assist�e�. Tout est dans le choix des mots ! Cheikh Hamani l'avait
trouv�e saum�tre, mais c'�tait Boumedi�ne !
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